dimanche, août 27, 2017

Petite leçon d'espoir

Lorsque j'ai aménagé dans cet appartement, je me plaisais à dire à tout venant que j'habitais désormais à côté de chez les vrais Bougons. C'est une véritable smala, nombreuse et bruyante. Leur balcon donnait sur le trottoir et c'était devant celui-ci que se rassemblait le voisinage. Le mobilier était constitué de la banquette arrière d'un véhicule qui gisait entre deux immeubles complètement vidé. Ledit véhicule semblait être le projet unique de la communauté, dans un garage à ciel ouvert et tous venaient voir l'évolution de la bête. Ils étaient partis une nuit de printemps, voiture comprise, pour je ne sais trop quelle destination certainement pas très distante, puisque je n'ai jamais cessé de croiser les membre de cette communauté depuis le temps.

C'est un asiatique d'environ mon âge qui s'était ensuite installé dans le logement. Avec son fils, un tout jeune bambin qui selon mes estimations devait avoir deux ou trois ans. À leur arrivée ici, ni l'un ni l'autre ne parlait un mot de français et le papa ne baragouinait que quelques mots d'anglais. Je ne sais pas de quelle origine exacte ils sont, je ne suis pas très douée pour ces différences qui me semble si subtile à moi, occidentale, m'enfin, ils communiquaient ensemble dans un langage que je ne peux même pas imaginer commencer à comprendre.

Il va sans dire que dans secteur où je suis l'étrange, eux l'étaient d'autant plus. Les gens les regardaient de travers, un peu inquiets. Ils ne faisaient pourtant rien de mal. Je sais, pour avoir vu les travaux, que l'homme a refait l'intérieur du logement de A à Z seul. Ça lui aura pris des années, mais je suis prête à parier que les anciens locataires ne reconnaîtrait absolument plus l'endroit, de l'intérieur s'entend.

Aujourd'hui, l'homme ne parle toujours pas français. Il s'y essaie tant bien que mal, sauf que cette langue lui semble très ardue. Pour son fils cependant, c'est une toute autre histoire. Je présume qu'il a fréquenté une garderie en milieu francophone avant de débuter les classe à l'école au coin de la rue, elle aussi francophone parce qu'il parle le même français que moi. Je le sais parce qu'il vient souvent jouer avec le petit hispanophone qui reste de l'autre côté de ma porte. L'un derrière les barreaux de son balcon, l'autre devant. La clôture, ne semble en rien les déranger dans leurs jeux, j'oserais même avancer qu'elle sert bien souvent au déroulement de leurs histoires.

Quelquefois aussi, s'ajoute, un étage au dessus, les personnages de l'arabophone comme autant de spiderman qui descendent au bout de leurs cordes s'ajouter aux mêlées festives qu'ils savent créer.

Ce sont tous des enfants de gens pauvres, que d'aucun pourrait juger à leur apparence, leurs valeurs et autres petits détails de la vie aussi. Mais moi, ce que j'ai constaté c'est que des petits garçons de toutes origines savent trouver le moyen de jouer par delà les barrières physiques ou imaginaires et qu'au fond, c'est exactement ça l'espoir de l'humanité.

Libellés :

jeudi, août 24, 2017

D'un encombrement à l'autre

Sérieusement? Moi qui pensais en avoir fini avec les festivités dans mon quartier, me voilà devant une toute autre réalité.

Hier, mon colocataire et moi on se disait justement que le parc en face prenait bien du temps à reprendre sa forme habituelle, on trouvait que le montage avait été beaucoup plus rapide que le démontage et que bizarrement, c'était toute la zone qui fait face aux domicile qui restait en place. À notre très grande surprise, lorsque nous avons tourné le coin de la rue vers les 22 heures, non seulement est-ce que le parc était toujours largement défiguré par des structures qui ne lui sont pas habituelles mais il y avait là un spectacle. Pas près de la cuvette où ces derniers ont toujours eu lieu dans les dernières années, non à environ 200 mètres de la façade de la maison.

Je dois admettre qu'en terme de bruit, malgré l'orientation de la chose, c'est nettement moins pire que durant la Fierté et qu'en plus j'aime beaucoup plus les musiques que j'y entends. Musicalement, ça me semblait très années 1920 à 1940 dans un style de jazz ou de swing que je connais, sans être particulièrement douée pour en identifier les pièces. Après le boum-boum, tonitruant des dernières semaines, ça me semblait presque reposant. Presque. Je rêve d'une soirée à peu près silencieuse, ce qui dans le cas du quartier que j'habite, se résume généralement à des discussions échevelées de personnes soûles sporadiquement.

Ce soir, en rentrant, j'ai constaté que la fête battait toujours son plein en face de chez-moi. Franchement, j'étais découragée. Je suis plus que lasse de devoir me plier à ces aléas, beaucoup trop nombreux depuis juin. Comme les affichages des événements en cours est toujours placé sur Ontario, j'ai fait un petit détour par cette rue pour voir de quoi il en retournait et surtout pour savoir j'en avais encore pour combien de temps.

C'est ainsi que j'ai appris que dans le cadre de Montréal 375, on a décidé de rendre hommage à Camilien Houde. L'événement s'appelle d'ailleurs « Le festin de Camilien Houde, le p'tit gars de Ville-Marie ». Et il se tiendra du 22 août au 2 septembre de 18h00 à 23h00. Bon. Ça veut dire deux choses. Premièrement, je n'étais pas tout à fait dans le champs en terme d'identification musicale puisque Monsieur Houde a été maire de Montréal autour de ces années-là. Deuxièmement, la paix dont je rêve pour mon domicile n'arrivera pas de si tôt.

Heureusement, j'avais déjà prévu un second voyage dans une année. Je me trouvais, à ce jour, un peu fofolle de dépenser autant d'argent dans ce poste de dépense, mais en toute honnêteté, avec ces événements qui se succèdent sans préavis et sans arrêts, je crois que c'est la plus sage décision que j'aie prise dans les 20 dernières années de ma vie.

Libellés :

dimanche, août 20, 2017

Des dents de pirate

Je le dit, je suis un super nageur. Bon, c'est vrai, quand j'étais plus petit, au mois de juillet, j'avais un peu peur de l'eau. J'avais besoin de Papa ou Maman pour me tenir la main, mais plus maintenant. Je saute dans l'eau avec mon beau flotteur de crabe et je nage tout seul. Il ne faut pas que personne me touche parce que je peux aller tout seul au milieu de la piscine et revenir vers le bord comme je veux. Ben, sauf des fois quand il y a trop de monde et que je ne sais pas par où passer, alors j'accepte que Grand-mamie vienne me chercher, mais pas Tatie. Elle peut être dans l'eau avec moi, mais je ne me baigne pas avec elle. Je l'ai dit, c'est non.

J'ai deux façons de me déplacer dans la vie, soit que je chigne et que je veux me faire prendre et sinon, je courre. Pas de moyenne vitesse avec moi. Ce que je trouve pas mal moins drôle, c'est que dès que je met un orteil sur le ciment, je me fait dire : « On ne courre pas autour de la piscine Zazou! » Pfff, ça vous brise un élan pas à peu près, mais comme tous les adultes sans exception tiennent à ce que les petits garçons et les petites filles marchent sur le ciment, je n'ai aucune espèce de chance d'échapper à leur vigilance collective.

Ce n'est pas trop grave, le reste est si plaisant au Club, parce que je connais tout le monde et que j'ai des amis partout. J'aime beaucoup zieuter autour de moi pour voir ce que les autres mangent et s'il y a du mais soufflé quelque part, je vais en quémander un peu. Je suis pas mal bon pour réussir à en obtenir, non seulement un bol, mais aussi un beau sourire et des fois, quand je le veux bien, un beau câlin.

Je commence à savoir quand j'ai envie de pipi et j'en fait de plus en plus sur la toilette. Mais j'ai eu un petit accident au souper, je mangeais tranquillement mon poulet et mes patates (pour vrai, je fais maintenant la différence entre les patates et les autres légumes, idem pour la viande) quand tout à coup je me suis retrouvé inondé de pipi parce que j'avais oublié que je n'avais pas remis ma couche après la baignade. Ce n'était pas très agréable, tout ce pipi dans ma chaise, mais Maman a réglé tout cela très rapidement, et aussi tôt bien au sec, j'ai terminé de manger mon repas et j'ai même pris du dessert. Des bons bleuets avec du gâteau au chocolat que j'ai englouti à une telle vitesse que ça m'a fait des dents de pirate.

Aujourd'hui, Papa n'était pas avec nous, il était à la pêche. Je l'ai bien raconté à Tatie et je lui ai montré (un peu brusquement, c'est certain, mais le mouvement y était) à l'aide d'un bâton courbé, ce que Papa faisait. Je parle beaucoup désormais. Et j'oublie de moins en moins de mots dans mes phrases. J'étais en train de montrer à Tatie et à Francis les belles culbutes que je sais faire quand Papa est apparu juste à côté de moi. Ça c'était une belle surprise parce que je pensais que j'allais aller faire dodo sans son bisou doux et juste le voir demain. Mais non, il était là, tout près, tout vrai et je sais que je vais bien dormir parce que ça dort toujours mieux après un bisou de Papa et un bisou de Maman.

Ah, comme j'ai hâte de me réveiller demain et de voir ce que la journée pourra m'apporter!

Libellés :

jeudi, août 17, 2017

Ville-Marie Janis

Les premières fois lors desquelles je l'avais entendue parler, je croyais que c'était un homme. À cause du timbre de sa voix, mais du rocailleux abrupte aussi que celle-ci portait. Et il y avait une puissance dans la portée qui ne me laissait que peu de doutes. En réalité, sa voix ressemble énormément à celle de Janis Joplin à la différence près qu'elle chante incroyablement faux.

Je crois que j'ai mis quelque chose comme trois ans avant d'associer le bon visage à cette voix. Je l'entendais souvent la nuit surtout ou au petit matin. Je savais que c'était un personnage nocturne, de ceux qui font les histoires parce qu'elle portait une partie de la misère de Montréal dans ses récits. Je la savais prostituée, mais il était fort probable dans l'environnement que ce soit un prostitué. Ils existent, et sont d'ailleurs passablement nombreux dans les environs.

Je n'avais fait le bon lien qu'un soir où je revenais d'un souper chez une amie et que j'avais pris le raccourci par le parc devant la maison. Elle y était, dans un état lamentable. Minuscule en hauteur comme largeur, mais elle prenait toute la place. Elle était arrogante, batailleuse, vindicative et vulgaire. Tout en un. Elle m'avait alors haranguée sur je ne me rappelle plus quel sujet, ce qui n'avait, au fond, aucune espèce d'importance, puisque puisque je l'avais dérangée en traversant son territoire et que le reste ne comptait pas tellement.

Cette fois-là, j'avais eu peur. Peur de cette colère immense, de la violence qui l'habite, de ce qu'elle aurait pu me faire ou des chiens (humains) qu'elle aurait pu lancer sur moi, simplement parce qu'elle ressentait le besoin d'affirmer que la seule femelle alpha du secteur c'était elle.

Elle ne fait pas bon voisinage avec les commerces du quartier. Elle vole souvent, dans les épiceries où les dépanneurs. Et lorsqu'elle est confrontée à ses propres actes, elle se met dans des colères noires et traite tout le monde de fou, particulièrement lorsque ses interlocuteurs sont de vieilles personnes qui n'ont pas grand chose à lui opposer. Les policiers la connaissent. Ils l'embarquent et la débarquent régulièrement. Il arrive parfois qu'elle s'absente pendant plusieurs mois. Mais elle revient toujours camper dans la cours du HLM voisin, hiver comme été avec ses jeans d'enfants et sa vieille casquette des Expos trois fois trop grosse pour sa tête. Jusqu'à la prochaine fois où elle sera prise pour on ne veut même imaginer quel délit.

Elle fait partie de ces êtres, prématurément vieillis qui ont tout contre eux. La vie ne lui aura pas été simple. Un voisin m'a d'ailleurs récemment raconté qu'elle ne mangeait jamais rien d'autre que du pain blanc, pas souvent beurré, parce qu'elle prétendrait que la bière sustente davantage que n'importe quelle nourriture.

Ça en dit long sur la misère du monde, je trouve. Et surtout qu'il n'est nul besoin de laisser le regard porter dans des pays lointains pour la rencontrer.

Libellés :

dimanche, août 13, 2017

Pâté chinois

Honnêtement, Montréal 375, je commence à en avoir plein mon casque. J'appréhendais le festival de la fierté gay sous mes fenêtres, et bien, je peux affirmer sans exagération que mes appréhensions étaient sans commune mesure avec la réalité : c'est bien pire que ce que que je croyais.

D'abord, il a pleins de rues qui sont fermées à des heures bizarres et même les piétons doivent faire des détours. Les commerces du voisinage connaissent des heures de pointe à des moments improbables et imprévus, sans doute très bons pour leurs affaires, mais tout à fait désagréables pour les habitants du quartier.

Avant d'aller plus loin, je me dois de souligner que la sécurité assurée sur le site et dans les environ est particulièrement efficaces; dès l'heure de tombée des activité, tous les festivaliers sont dispersés dans l'ordre, le bruit cesse beaucoup plus tôt que lors des feux d'artifices ou autres activités du genre. Et si certains d'entre eux sont éméchés, nous n'en avons aucune conscience.

Mais aujourd'hui, c'est le bout du bout pour ma patience déjà largement malmenée. Depuis le début de l'après-midi c'est le T-Dance Beach Party. Le nom dit exactement ce que c'est. Du gros Dance très bruyant et parfaitement insupportable. Je n'ai jamais été fan de ce genre de musique. Mon cœur est resté collé dans les années 80 et je préfère de loin la musique disco pour me laisser aller sur des rythmes endiablés. Rien pour me plaire donc. Surtout que depuis des années, je ne peux faire autrement que de penser systématiquement en terme de steak et de patate ce type de rythme.

Il y avait cette fille, à l'université, que je trouvais très drôle. Je la connaissais pas le biais de la ligue d'impro surtout, mais nous étudions à la même faculté, alors on se croisait régulièrement sur le campus. On s'était retrouvée un jour, dans un quelconque party étudiant dans un bar que nous ne fréquentions ni l'une ni l'autre. Un moment donné, il n'y avait plus qu'elle et moi, ou presque autour de la table, parce que danser ne nous disait absolument rien. Et c'est là qu'elle m'avait expliquer, preuve à l'appui (c'est-à-dire qu'elle m'avait chanté sa théorie sur l'air qui jouait à ce moment-là) que selon elle la musique dance, se résumait à du steak pis des patates. Qu'on pouvait chanter n'importe quelle de ces pièces en suivant le rythme sur ces mots : « du steak, du steak, du steak, des patates, du steak ». Je suis en train de le faire en écrivant et je jure que ça fonctionne.

Rien pour me faire aimer le genre, tout pour me le rendre désagréable, sauf qu'au moins je peux en rire ne me disant que ce qui se passe sous mes fenêtre, c'est au fond, le festival du pâté chinois...

Libellés :

jeudi, août 10, 2017

Je ne perdais rien pour attendre

Je sais bien que j'ai été en vacances il n'y a pas si longtemps, mais je crois que les festivités du 375e anniversaire de Montréal commencent à me peser. Je vis depuis des semaines dans l'oeil du cyclone et les activités saupoudrées de désagréments se succèdent sans relâche autour de chez-moi. Par conséquent, mon sommeil en est atteint ne serait-ce que parce que les différents travaux d'aménagement des sites commencent généralement tôt et se terminent tard.

Bref, j'avais une petite journée de congé à la fois de travail et de construction autour de la maison quand j'ai reçu l'appel que personne ne veut avoir; des punaises de lit avaient été localisées dans l'immeuble. Fini donc la journée de congé. J'avais l'impression d'avoir à déménager à moins de 24 heures d'avis avec une énorme dose de lavage à faire en sus. Je suis bonne dans les déménagements, j'ai un super sens de l'organisation et des priorités, sauf que d'habitude je sais depuis quelques temps déjà que j'aurai un sport extrême à pratiquer; alors je peux me faire à l'idée et commencer tranquillement à faire le tri.

Dans le cas qui nous occupe, le tri s'est fait à la vitesse grand V. J'ai déménagé des vêtements d'un appartement à l'autre pendant des années sans jamais les porter une fois rendue à l'autre domicile. Pourquoi? Sans doute un peu par nostalgie, sans doute aussi par paresse. Mais quand tu penses qu'il y a probablement des bestioles indésirables dans tes chiffons, tu hésites un peu moins à tout envoyer à la poubelle, surtout quand tu sais pertinemment qu'une bonne moitié de cette accumulation sur des années est rende tellement usée que les donner n'apporterait strictement rien à personne. Je me suis découvert une quantité assez effarante de trucs dont les élastiques étaient tellement vieux qu'ils craquaient sous mes doigts.

Et, comme de bien entendu, non seulement est-ce que je devais m'activer furieusement pour arriver à dégager tous les murs de l'appartement dans les délais impartis avant l'arrivée des exterminateur, mais ma tête s'est mise de la partie et ça me grattait de partout. Pourtant, je sais que je suis un buffet à moustiques et je n'avais noté aucune piqûre correspondant à celles des punaises de lit, j'aurais donc dû pouvoir me rassurer et faire taire les manifestations exacerbées de mon subconscient. Mais rien n'y faisait : je suais ma vie en faisant le ménage et toutes les surfaces de ma peau me démangeaient.

Au final, il y avait bien des pensionnaires indésirables dans l'immeuble, mais assez peu, le problème aurait été pris à temps selon l'exterminatrice fort compétente qui s'est déplacée ici. Notre logement en était exempt. Nous en étions bien soulagés, mon colocataire et moi. Mais en même temps, je savais bien que je perdais rien pour attendre depuis des années, puisque ça fait plus de vingt ans que j'habite en appartement et que bon, si je me fie à ce que j'en ai lu, ces bibites se multiplient à une vitesse folle et qu'elles ne font pas de discrimination quand aux humains avec lesquels elles décident de cohabiter.

En somme, je me dis que j'ai payer ma dette à la chance pour un petit bout que je peux souffler au moins pour quelques mois puisque l'immeuble est maintenant bien protégé et qu'après je pourrai compter sur l'hiver pour me protéger.

Libellés :

dimanche, août 06, 2017

Technicolor

La soirée était fraîche, en tout cas, elle le semblait particulièrement après plusieurs journées consécutives lors desquelles le mercure et l'humidité se disputaient consciencieusement la première place dans l'exaspération collective. J'avais eu la mauvaise idée de me tromper en regardant l'horaire d'autobus dans un créneau qui n'était pas pré-enregistré dans mon téléphone avec le résultat que j'étais arrivée avec beaucoup trop d'avance au coin de rue ou j'attendais impatiemment le passage du prochain transport.

Sauf que je ne rate jamais une occasion d'observer mes congénères. Je ne fais même pas exprès, l'oeil de l'observatrice est toujours à l’affût. Dans la petite foule qui piétinait comme moi, il y avait deux femmes et une petite fille qui devait avoir environ 3 ans. Elle était pétillante de bonne humeur et sa seule présence faisait en sorte que mon temps de patience imposé passait avec une vitesse acceptable. Je n'avais pas l'intention de m'immiscer de quelconque manière dans leurs vies, mais bon, je ne pouvais faire autrement que de capter des mots, de ça, de là.

J'avais vite fait de comprendre qu'il s'agissait d'une famille qui revenait d'une fête d'enfant puisque la petite se tournait vers l'une et l'autre des adultes en les appelant « maman Micheline » ou « maman Louise » selon l'interlocutrice à laquelle elle s'adressait. J'étais contente de voir cette aisance avec laquelle toutes les trois vivaient publiquement leur réalité en espérant pour elles que cette apparence de bien être était une réalité quotidienne aussi tangible que l'image qu'elles m'en projetaient.

Une fois bien installée dans l'autobus, j'étais assise juste devant une jeune femme qui parlait au téléphone en espagnol à une vitesse folle, je n'avais aucune idée de ce qu'elle racontait, mais le ton de sa voix laissait entendre un taux de stress frôlant les azimuts des possibilités. Je la sentait nerveuse, comme si c'était la toute première fois qu'elle arpentait les rues de Montréal dans la nuit, ce qui était en fait, peut-être le cas.

Je n'avais ni envie de lire, ni envie de niaiser sur mon téléphone, alors je me laissait baigner par la présence des autres. C'est ce qui m'avait permis de voir entrer en scène le prochain personnage. C'était un jeune homme de la fin trentaine qui avaient toutes les caractéristiques clichées de l'Améridien des légendes : grand, élancé, souple, avec une chevelure noire ébène lustrée. Sérieusement, ce gars-là pourrait faire une fortune au cinéma américain seulement à cause de son apparence extérieure. Mais ce qui me m'amusais beaucoup, c'était sa tenue vestimentaire : il était habillé en cow-boy de pied en cap.

Et sitôt grimpé dans l'autobus, il était venu serré bien fort dans ses bras la jeune hispanophone qui paniquait derrière-moi avec autant de sourire dans la voix que dans son visage.

Moi j'avais l'impression saugrenue de vivre la finale d'une film romantico-mocheton en direct et je me disais que ça promettait de jolies rêveries pour me bercer avant de m'endormir.

Libellés :

jeudi, août 03, 2017

Sous slience

L'heure était entre chien et loup, l'enchaînement des mois aussi. Il ne faisait pas tout à fait sombre, mais plus totalement clair non plus. Je savais d'avance que la nuit serait longue, parce que cela arrive régulièrement dans le quartier, particulièrement dans les mois d'été avec tous ces marginaux qui y habitent ou y vivent sans nécessairement y avoir d'adresse domiciliaire.

Je marchais d'un pas alerte, puisque j'étais presque arrivée à mon domicile et que j'avais les pieds en compote. Je ne pensais à rien d'autre qu'au moment presque béni où je pourrais me déchausser et enfin pourvoir me dire que la journée était finie quand la démarche du jeune personnage que je suivais sans le vouloir m'avais poussée à ralentir. Il titubait en prenant maladroitement tout l'espace disponible sur le trottoir. Comme, je ne le voyais que de dos, je n'avais qu'une vague idée de son âge, mais il me semblait assez jeune si je me fiais à sa vêture.

Au départ, j'avais pensé qu'il revenait d'un 5 à 7 un peu trop arrosé et j'avais souri dans ma barbe imaginaire, mais j'avais été assez rapidement détrompée quand, même en essayant de ne pas le rattraper, les zigzags de son parcours nous avaient forcément rapprochés et qu'il avait jeté un coup d’œil par dessus son épaule. Alors j'avais vu.

J'avais vu qu'il était très jeune, entre 16 et 20 ans je dirais. Avec le corps complètement usé, déformé par toutes sortes d'abus que je ne pouvais pas vraiment identifier et arborant ce regard complètement et entièrement vide des gens qui prennent des substances qui assomment leurs adeptes. Et si comme si son tangage n'était pas suffisant, il avait un téléphone intelligent dans les mains et semblait chercher quelque chose sur l'écran. Franchement, vu son état et la qualité de la lumière, je me demandais bien comment il faisait pour comprendre quelque chose à ce qui se passait sur son écran.

Je l'avais dépassé au prochain coin de rue, croisant au passage une voiture de sport rouge qui avait ralenti à sa hauteur. Du coin de l'oeil j'avais vu qu'ils s'étaient mis à parler dans la position cliché du prostitué et du client potentiel, accoudés tous deux sur le bord de la fenêtre du conducteur, mais j'avais soupçonné que l'échange n'avait pas été concluant pour les deux parties puisque la voiture rouge avait décollé dans un crissement de pneus tandis que le jeune homme hurlait : « anyway t'es juste un vieux dégueulasse ». J'avais alors été saisie, parce que l'homme au volant de la voiture avait au moins un dizaine d'années de moins que moi et que pour la première fois de ma vie je constatais que je faisais désormais partie de la génération des vieux dégueux, que je le veuille ou non.

Le lendemain matin, j'avais croisé un autre homme aux yeux vides qui tenait la porte extérieure d'une station de métro pour les quidams qui y entraient ou en sortaient. Cet homme fait partie de mes visages familiers, que ce soit à cet endroit précis où à d'autres, dépendamment des saisons. Il est souvent dans un état tellement comateux que des passants appellent la police, inquiets pour lui. Moi, je ne le fais plus parce que ça se répète tout le temps. Je me contente de le saluer à toutes les fois où il est assez allumer pour me répondre « merci madame » et je sais pertinemment que d'une fois à l'autre il ne me reconnaît pas.

De l'un à l'autre, j'avais le cœur en charpie devant tant de détresse humaine, pour laquelle je ne peux rien faire d'autre que de l'observer et de la raconter afin que ces existences ne soient pas complètement passées sous silence.

Libellés :