lundi, octobre 30, 2006

Les plages de l'automne

Voici ma contribution au thème du Coitus cette semaine. Le thème était de moi, mais lorsque je l'ai créé, je n'avais aucune idée de l'endroit où il m'amènerait. J'ai décidé de suivre la vague... Je vous l'offre.

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C'était une soirée froide sous un ciel dans laquelle les étoiles aveuglées par les lumières de la ville. Un vent de novembre pourchassait les dernières feuilles d'octobre sur le pavé battu par les pluies torrentielles qui s'abattaient sur la tête des passants. Au delà du temps, les rivages de l'automne s'éloignaient de leurs ancrages saisonniers. La tête lourde et les doigts gourds, le corps parcouru par des frissons provoqués par l'humidité et les rafales, elle se tenait dans l'éclairage blafard d'un porche illuminé de néons. Elle pensait, sans trop savoir à quoi. Mais des images se bousculaient, flashs tenaces d'une vie qui avançait lentement. À ses côtés, l'homme parlait sans cesse, développait et défendait avidement ses opinions, sur la famille, les rêves, les absolus obsolètes des réalisations que l'on croit généralement aller de soi. Elle l'écoutait sans l'entendre vraiment. Des bribes seulement.

« T'as pas d'enfants?» Avait-il interrogé entre deux claquements de dents. Elle avait sourit et répondu d'un signe de tête négatif. Il avait jeté un regard par dessus le lainage de son manteau, surpris. Le silence s'était étendu entre eux, sans inconfort. La question, comme une brèche à travers les années. « T'as pas d'enfants? » Elle avait envie de demander s'il il s'imaginait depuis combien de temps on ne lui avait pas poser une telle question sur ce ton-là. Celui qui annonce, sans équivoque, une intention à plus longue portée. La dernière fois, c'était sans espoir. Jamais plus l'homme ne s'enchaînerait à une femme assez pour avoir des enfants d'elle. Elle le savait, était avertie. Elle l'avait choisi lui en toute connaissance de cause, faisant taire les désirs de maternité qui grondait en elle. Elle avait cru que l'amour, le grand, pourrait l'amener à revoir sa position. Que la patience viendrait à bout des réticences. Mais ses entrailles étaient restées vides. Et au final, il avait fait des enfants à une autre, bien longtemps après que leurs amours fussent mortes.

Revenant lentement au présent, à son interlocuteur du moment en songeant qu'il la fatiguait un peu. Trop, il était trop. Les grands discours sur l'art, teinté de religieux, les colères grandiloquentes sur les injustices sociales, les flammes qui le consumaient, les rêves réalisés et en cours de route. Elle savait, du fond de son âme que désormais elle faisait partie des rêves en cours. Sans fausse modestie, elle avait reconnu le sens de la question. Clair comme un soleil dans une matinée estivale. Dans les ombres de la nuit il avait poussé un cri de douleur, pour elle. Parce qu'elle n'était pas mère encore. Il avait ajouté dans un éclat de jeunesse : « Je suis certain que tu serais une excellente mère. Je sais que beaucoup d'enfants dans le monde seraient choyés de t'avoir pour maman. »

Elle lui avait lancé un regard oblique, sans rien dire d'autre que merci. Posant sur son existence un nouveau regard, sur cette nuit d'automne, trop froide pour la saison une pensée amusée. Il y a des plages sur lesquelles on s'échoue abruptement, laissant les ruines de nos rêves s'étioler sur les rives rocailleuses d'événements que l'on ne peut pas contrôler. Parfois aussi, il y a des plages qui s'ouvrent sous nos pas comme des espérances d'avenir. Sans les savoir, nos gestes et nos paroles nous guident tout droit vers ces quais qui permettent de prendre un nouveau départ.

Cette nuit-là, elle n'a pas saisi la main tendue ni mis les pieds dans l'esquif qui se dessinait devant ses yeux. Elle continua plutôt à sourire, moins seule que durant la minute précédente, sachant qu'il y avait désormais dans toute son attitude un petit quelque chose de différent. Cette étincelle qui fait en sorte que les hommes qui croiseraient dorénavant son parcours verraient en elle autre chose qu'une conquête nocturne que l'on oublie au matin. « T'as pas d'enfants? » avait-il demandé.

Elle avait compris tout ce que sous-tendait cette question. Qu'à ses yeux à lui, s'il devait choisir, elle était celle qui pourrait devenir la mère de ses propres marmots à venir.

mercredi, octobre 25, 2006

Une toute petite chance

La soirée était chaude, le temps lourd. Une odeur de pluie planait au-dessus de leur tête. Elle disait qu'elle attendait l'automne. Il n'aimait pas vraiment l'été, ni quelque saison que ce soit, en réalité. Il lui racontait ses tristesses, ses dérives. Affalé sur le divan, son corps tordu par le poids de ses pensées plus croches que lui encore. Sa voix était une longue blessure. Même si ses paroles taisaient l'innommable, elle avait toujours su entendre, dans les intonations, les secrets qui s'y terraient. Elle était jeune et idéaliste. Elle en était à ses premières amours. Elle croyait qu'elle pourrait débusquer la douleur, qu'elle pourrait la laver pour lui faire voir ce qui n'était pas l'horreur. Pour lui montrer que le soleil brille même dans le coeur de la nuit, même lorsqu'on ne le voit pas. Elle l'écoutait, le coeur ouvert, les veines à vif.

Lorsqu'il quittait les rivages de la réalité, elle se cambrait sur ses jambes, tenant à toutes forces les amarres qu'il avait laissées choir sur les grèves des minutes écoulées. Quelquefois, autour d'un verre elle disait à ses amies qu'elle ne comprenait pas vraiment pourquoi tant de malheurs, pourquoi tant d'envies comme des lests aux élans qui auraient pu le porter. Jamais elle ne s'épanchait vraiment, elle aurait eu l'impression de trahir. Elle n'avait jamais sur trahir. Elle savait qu'il en aimait une autre et que son corps à elle servait d'exutoire. Elle sentait qu'elle était un placebo, vaguement ressemblant à l'être désiré. Elle vivait d'espoirs muets, scellés aux yeux des autres. Elle ne disait pas à quel point les pieux des aveux affectifs qu'il lui faisait, lui perçaient sentiments.

La soirée était chaude, le temps lourd. Elle passait doucement les doigts dans les boucles emmêlées qu'elle connaissait par coeur à force de les avoir fixées bien avant que tout ne se concrétise. Chaque mouvement de phalanges était un aveu qu'il n'entendait pas. Elle laissait courir ses rêves sur les trait abîmés par l'absence. Elle regardait la boule dans ses tripes grandir jusqu'à l'étouffer complètement. Il prenait sa taille entre ses mains immenses. Saisissait son corps avec avidité, se nourrissait de sa sève, de sa moelle. Ses ongles lui labouraient la peau, laissant des zébrures inquiétantes sur son épiderme. Le sang perlait. Elle savait que sa mère la tancerait de questions auxquelles elle ne voudrait pas répondre. Elle lui permettait de laisser ces marques en se convainquant qu'ainsi son souvenir serait permanent. Qu'elle serait de celles que l'on n'oublie pas.

Il faisait trop chaud dans cette pièce sans fenêtres, trop chaud pour être aux aguets. Dans le soupir qui suivit les gestes, elle a murmuré : « Je suis tombée amoureuse de toi. » Alors il lui avai fait dos. Raide comme de l'acier trempé. Blanc de colère il lui avait dit qu'elle le trahissait, qu'elle n'avait pas le droit de lui faire cela. Il lui ai dit : « Je croyais que tu avais compris qu'entre nous c'était différent? Tu ne peux pas être amoureuse de moi!» Elle s'était revêtue dans le noir. Traversant Montréal dans une pluie battante de juillet, cachant sa détresse dans la tempête du ciel. Elle n'avait rien à la famille qui la questionnait.

Ce n'était qu'à l'hiver suivant qu'elle avait compris. Compris qu'il est beaucoup plus facile de croire aimer des chimères que les êtres de chair. Elle avait entendu dans les paroles d'un autres qu'elle pouvait à son tour être une invention de l'esprit.

Ce jour-là elle m'a tout confié. Avant toute chose, elle m'a dit que désormais elle choisissait le réel. Même si celui-ci se montrait souvent cruel. Elle choisissait de laisser, à leur sort, ceux qui croient que d'aimer doit être tragique, pour se donner une toute petite chance de vivre sa vie.

samedi, octobre 21, 2006

Quelques notes d'Erik Satie

Voici ma contribution pour le Coitus, cette semaine.

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C'était à une époque où la cigarette avait droit de cité dans les bars et les restaurants. J'étais dans ce bistro, trop chic pour mes moyens où j'accompagnais ma famille, en réunion officielle. À cause des bambins à la table, nous étions dans la section non-fumeurs. Mais ces réunions de familles dans des endroits pincés, m'ont toujours mis mal à l'aise. Il y a toujours une nuée de petites flèches empoisonnées qui volent au dessus de nos têtes et chacun compte ses points, comme dans une arène politique. Et puis certaines personnes m'hérissent profondément. Aussi entendre leurs discours fats sur tous les sujets abordés a tendance à me dresser la pilosité sur la peau. Surtout lorsqu'elles se mettent en devoir de me montrer de quelle manière, encore une fois, j'ai échoué à réussir ma vie, selon les termes très précis de la famille. Aussi ai-je l'habitude de m'éclipser pour fumer des cigarette, échappant ainsi à la pression que je trouvae trop lourde. Ce soir-là, mon refuge était le bar.

C'était une soirée d'effervescence qui donnait l'impression que tout le monde avait décidé de sortir de chez-soi. Cette sorte d'agitation qui fait dire à certaines personnes que la lune, si elle est pleine, doit en être responsable. Le bruit dans le bistro était une rumeur continue, presque aliénante pour l'ouïe et on pouvait voir les tables contiguës aux nôtres, se vider et se remplir à une vitesse hallucinante pendant que la file dehors ne diminuait pas. À ma seconde cigarette, le bar était plein, pas une parcelle d'espace pour que je puisse m'asseoir en dégustant mon vice. Je me suis donc approchée du comptoir essayant de trouver un cendrier à ma portée. J'ai avisé deux femmes, un peu plus vieilles que moi, sans doute, qui parlaient intensément. Je leur ai fait signe que je voulais utiliser un peu leur cendrier, sans toutefois les déranger. Elles ont acquiescé.

Perdus dans mes pensées, je n'ai pas tout de suite compris que l'une d'entre elles me prenait à partie. Elle était intensément belle, féminine et sensuelle. Assez en tout cas pour que ça me frappe en plein visage dès que la conversation fut engagée. Elle me demandait ce que je pensais de telle ou telle situation dans une relation de couple. Le type de situation tordue où X aime Y qui veut continuer à butiner tandis que X se tord de douleur dans son coin. J'étais estomaquée par la franchise de son questionnement. Après tout, je ne la connaissais pas du tout. J'ai tenté de répondre, mal à l'aise dans ce rôle d'égérie qui ne me convenait pas très bien. J'étais trop jeune et trop inexpérimentée pour avoir une opinion articulée sur des sujets aussi graves. Je n'avais pas fini de répondre qu'elle m'interrompait pour me dire, bravade, en pointant sa compagne du menton : « C'est de nous deux dont je parle. On est lesbiennes, ça te choque hein? » Je me suis mise à rire. Dans ce petit village de région où était sis le bistro, elle faisait figure d'excentrique en affichant ses préférences. Je lui ai demandé pourquoi elle voulait me brusquer et elle n'a su me répondre sur le coup. Je les ai laissées à leurs problèmes de couple et je suis retournée à ma table. En quittant le restaurant, je les ai saluées. Je ne savais pas trop si elle m'en voulait. Sa copine me fit un signe d'excuses. J'ai souri.

Quelques mois plus tard, j'ai changé d'appartement et je me suis rendue compte que cette femme, que j'avais croisé dans un bistro de petit village, était ma voisine du dessous. Nous sommes un peu devenues amies : elle questionnait continuellement mon orientation sexuelle, mon plaisir à séduire les hommes. Je la laissais parler, chipoter; elle m'attendrissait, au fond. Mais plus que tout, c'était les douleurs des peines que laissait couler sur son piano, toutes les fois où sa douce partait en cavale, toutes les fois où la douleur était trop intense pour qu'elle en voit le bout. Alors, invariablement, elle se vautrait dans la musique d'Erik Satie. Et moi j'attendais la fin de son concerto pour aller la consoler.

mercredi, octobre 18, 2006

Un prince sous les étoiles

Petit, déjà avec ses yeux de pervenche et ses boucles blondes, il attirait tous les regards. Un petit prince, magnifique au sourire désarmant qui n'avait pas cinq ans. Il était brillant, éveillé, charmant. Par dessus tout, il était drôle. Il avait compris que l'humour était une extraordinaire porte d'entrée pour créer des liens. Dans la cours de l'école, déjà, il était le centre de l'attention, on se disputait son amitié comme un fruit mur et tentant. Tous les enfants voulaient être son ami et il choisissait, en roitelet, celui ou celle qui aurait droit à la fleur de son sourire et de son attention, selon l'humeur très variable du jour. Jamais, il n'avait appris à faire quelque effort que ce soit pour arriver à se créer une petite cour, ni à la conserver. Il était né sous l'étoile brillante des gens qui ont tout pour réussir. Il était de ceux que l'on pourrait suivre jusqu'au bout du monde, rien que pour son plaisir.

C'était un enfant gâté qui avait très tôt appris à dire non, à refuser de se plier aux règles l'environnant. S'il ne le faisait pas de front, il usait de biais bien enchevêtrés pour arriver à ses fins. Il avait tous les talents, dans tous les domaines. La vie lui était douce et facile. La difficulté était une notion qu'il ne connaissait pas. Et lorsqu'un obstacle croisait son chemin, il organisait sa vie de manière à ce qu'on se plie à ses volontés. Il n'avait jamais appris à respecter un horaire, jamais appris à faire plaisir aux gens, si la gratification pour lui n'était pas immédiate. Et il jouait au lieu de faire les tâches qu'on lui attribuait, autant à l'école qu'à la maison. Il usait de son charme sans vergogne pour se faire pardonner tous ses travers, et on l'aimait tellement, il était tellement mignon que tous finissaient par passer l'éponge avec cette drôle de tendresse qu'on accorde aux petits tyrans.

Adolescent, il se plongea dans les plaisirs éphémères des artifices à sa portée. N'ayant pas appris à se battre pour obtenir quoi que ce soit, il se laissait aller dans la facilité qu'il connaissait si bien, choisissant de ne pas fréquenter l'école sous prétexte que cela ne lui convenait pas, qu'il avait autre chose à faire que de perdre son temps à user ses culottes sur des bancs inconfortables. Son bagou, sa beauté et son charme lui permirent de contourner toutes les règles sociales, faisant de lui un décrocheur que d'aucun ne percevait. Il était tellement intelligent de toute manière que personne n'imaginait qu'il pourrait un jour tomber dans une quelconque ornière. Toutes les portes lui étaient ouvertes et chacun attendait que son génie s'exprime, par le moyen qu'il choisirait.

Jamais, il ne tentait de plaire à quiconque. Jamais il ne se déplaçait s'il n'était pas le centre de toute l'attention. Et lorsqu'on s'étonnait de cette drôle d'attitude il souriait, négligemment, comme si c'était une réponse en soit. Il n'était pas gentil. N'avait jamais eu à l'être pour qu'on ait envie de l'aimer, lui. Et sans doute qu'il n'avait jamais vraiment appris à aimer quiconque sur cette planète. Il consommait sans compter les biens de tout son entourage, sans jamais redonner quoi que ce soit en retour, n'en voyant pas l'utilité. De toute manière, les gens qu'il flouait revenaient le chercher dès que possible pour le plaisir de se tenir si près d'une étoile. Quelquefois, on lui reprochait de ne pas donner de nouvelles bien souvent, alors il haussait les épaules, fataliste. Il n'avait pas appris à aller vers les gens, c'étaient eux, sans exception, qui allaient vers lui. Il ne se souciait pas de faire les ponts. Il ne se souciait pas de blesser autrui, il était imperméable aux réactions : il avait un pied dans la vie et l'autre dans les étoiles. Peu à peu, il s'est mis à vivre presque exclusivement dans ses rêves éveillés, où tout lui réussissait comme lorsqu'il était enfant.

C'était un prince dans sa splendide blondeur aux yeux si bleus que tous s'y perdaient. Il avait du charme à revendre, du bagout comme pas un. Il était un prince que tout le monde aimait, mais qui n'avait pas appris à aimer en retour.

vendredi, octobre 13, 2006

Une histoire de fin du monde

Je me suis toujours beaucoup amusée avec les horoscopes, sans réellement les prendre au sérieux. De même, je ne suis pas particulièrement superstitieuse. À mon avis, la plupart de nos malheurs sont causés par nos actions davantage que pas la présence d'un chat noir ou encore un passage sous une échelle. J'ai brisé plus de miroirs que j'ai eu d'années de malheurs consécutives et je ne me cloître pas chez moi un vendredi 13, au cas où. Mais comme je suis ce que je suis, je trafique tous ces adages à ma façon, les adaptant aux situations que je traverse. Ainsi, je prétends, depuis des années, que les jeudis 12 sont beaucoup plus traumatisants que les vendredis qui s'en suivent.

J'avais 18 ans et j'étais amoureuse. Follement. Il était beau comme ce n'est pas permis, intelligent et drôle. J'ai passé deux mois de pur bonheur à être son amoureuse. J'étais sur mon nuage rose et douillet. Il m'avait choisie. Je me rappellerai toujours du choc que j'ai eu en entrant dans le café étudiant, la première fois que je l'ai vu. Un coup de poing dans les tripes et la certitude que j'étais cuite. Je m'imaginais aller jusqu'au bout de la vie avec lui. J'étais romantique, et dramatique. Un peu lourde sans doute pour ce jeune homme qui ne pouvait pas être tout ce que je lui demandais. Alors il m'a quittée. Un jeudi 12 février. D'où mon adaptation de l'adage.

J'étais dévastée. Et je me complaisais dans mon drame. Je pleurais tous les jours, j'en parlais tout le temps. J'étais la victime. Jusqu'au bout des ongles. Je faisais pitié. Rien de moins que pitié. Je crois que j'aimais cela. Ça me permettais d'obtenir toute l'attention que je voulais. On me comprenait. Mais il y avait aussi la metteur en scène de la pièce de théâtre parascolaire qui avait compris que mieux valait mettre un holà rapide à mon attitude dépressive, sans quoi j'aurais traîné ma mine basse dans mon sillage pour le restant de mes jours. Elle m'a donc convoquée dans son bureau pour me dire que si je ne changeais pas de comportement très vite, elle me remplacerait dans la distribution. Ce petit discours m'a remis les point sur les i. C'était une année bissextile, je me suis laissée jusqu'au 29 février pour pleurer.

Le dimanche en question, j'étais toute seule à la maison à broyer du noir quand j'ai reçu un appel de l'Homme-de-vingt-ans (désormais agé de vingt-deux ans) qui m'invitait chez un de ses amis à Westmount. Je m'y suis donc rendue avec en main un copie du film Cyrano que nous avons écouté dans la soirée. Et j'ai dormi là. J'étais la seule fille de la soirée. Et les gars se sont couchés beaucoup plus tard que moi. Quand je me suis réveillée et qu'un soleil radieux taquinait les stores verticaux, j'étais un peu perdue et j'ai jeté un regard autour de moi pour m'apercevoir que l'Homme était couché à côté de moi. La première pensée qui m'a traversé l'esprit à ce moment-là c'est que si je m'étais réveillée en pareille position l'année précédente, je me serais évanouie illico. Je me suis mise à rire silencieusement, mais avec assez de soubresauts pour réveiller le mec à côté de moi. Je me rappelle qu'il a grommelé un commentaire sur la joie de vivre d'une fille qui se bidonne comme une bonne quand le reste de la ville s'endort, avant de se replonger dans le sommeil.

Depuis ce temps, je suis convaincue que les jeudis 12 sont les pires journées de l'année et que les années bissextiles sont riches en aventures improbables. Il va sans dire que je n'ai jamais recommencé l'expérience (dormir dans le même lit que l'Homme) puisque me réveiller morte de rire, était une option à bannir dans ma vie de Drama Queen.

Tout de même, j'étais plutôt satisfaite, j'avais très bien commencé à tenir ma résolution. Et si je me rappelle bien, je n'ai plus jamais versé de larme sur ma toute personnelle fin du monde.

lundi, octobre 09, 2006

Le prix du plaisir

J'étais une adolescente naïve et généreuse. D'ailleurs, je crois que l'adulte que je suis devenue l'est encore passablement. Je vivais mes histoires d'amour en nonne, comme disait l'une de mes amies, parce que ces histoires se déroulaient davantage dans ma tête que dans la réalité. J'aimais passionnément, sans jamais aller jusqu'au bout, même d'un baiser. Ma devise était que j'étais vierge et fière de l'être. Je voulais qu'on m'aime pour ce que j'étais et non pas pour mon corps. Je rêvais d'un amour unique et romantique qui m'amènerait jusqu'au bout de ma vie. Mais je me suis heurté aux impondérables de la vie, aux jalousies et aux coups bas.

J'étais amoureuse folle de ce garçon plus vieux que moi, que je voyais comme un homme du haut des quatre années qui nous séparaient. Il n'était même pas vraiment beau, même pas vraiment gentil. En fait avec le recul, je sais bien que son frère, qui avait mon âge, était en fait beaucoup plus beau et beaucoup plus gentil. Mais le plus vieux avait une fêlure au fond de l'oeil, quelque chose qui animait la salvatrice en moi. Je le voyais dans ma soupe, dans mes rêve. J'ai rempli des quantités de cahiers en lettres que je ne lui ai jamais remises. J'ai engorgé les oreilles de mes pauvres amies de réflexions sur ce mec que je trouvais si extraordinaire. J'en étais fatiguante.

À l'époque, j'avais une amie pas mal plus dégourdie que moi. À onze ans elle avait déjà un corps de femme. À seize ans, elle avait de l'expérience et du bagou. Je sentais déjà à l'époque qu'elle avait terriblement besoin d'être aimée. Je savais qu'elle séduisait des hommes pour se sentir importante. Malgré nos différences, je l'aimais beaucoup et je lui faisais confiance. Je pensais qu'elle en mesurait l'importance et qu'elle me le rendait. Et puis, un jour, je me suis rendue compte qu'elle couchait avec les gars qui me plaisaient de manière quasi systématique. Je ne voulais pas le voir, je ne voulais pas que cela puisse être vrai. Sauf que les indices pointaient vraiment dans cette direction.

J'ai pris mon courage à deux main et j'ai demandé à l'Homme-de-vingt-ans si elle lui avait déjà fait des avances. Elle savait mieux que quiconque à quel point j'étais amoureuse de lui. Il m'a dit que oui. Qu'il couchait avec elle de temps à autres. J'étais dévastée. Par la trahison de cette amie, d'une part, et d'autre part parce que lui savait très bien que je me consumais d'amour sous ses yeux noirs. Je l'ai confrontée à ce sujet et elle m'a dit que ça ne me serait pas arrivé si j'avais été du genre à coucher avec les mecs au lieu de leur faire des fausses promesses. J'étais sidérée. J'étais devenue responsable de ce que je voyais comme une trahison.

J'ai pleuré les amitiés perdues, j'ai crié ma peine. J'ai accusé le monde entier d'être responsable de ma douleur. J'ai rayé des noms dans mon carnet d'adresse. Mais je ne suis pas rancunière alors j'ai continué à voir ces personnes qui habitaient près de chez moi et qui fréquentaient les mêmes cercles sociaux que moi. La seule différence c'est que, d'une part l'amour était mort et que, d'autre part je ne livrais plus mes secrets ni mes espoirs : on ne me trahit pas deux fois.

Et puis, j'ai compris qu'un certain nombre de gens courent à perdre haleine après une appréciation et qu'ils voient toutes leurs relations en termes de séduction et de plaisir immédiat. Qu'ils iront jusqu'au bout de l'envie tout simplement parce qu'elle existe et ce, sans égard à ceux qui les entourent. J'ai même parfois joué le jeu, plus tard. J'ai à mon tour trahi des amitiés, des connivences pour tester mon pouvoir sur certains hommes. Je me suis sentie vile et sale, mais je lai fait. Je ne retournerais pas dans ces méandres d'égoïsme.

Aujourd'hui je sais que d'aller jusqu'au bout du désir en trahissant quelqu'un qui nous est cher, est une jouissance beaucoup trop passagère pour que le prix à payer en vaille la peine.

samedi, octobre 07, 2006

La fée des dents

L'été indien est enfin arrivé. Le soleil radieux, oblique sa lumière entre les feuilles qui n'ont pas encore fait le plongeon vers le sol. J'ai passé quatorze jours de grisaille avec des Français en vacances ici, qui m'accusaient presque d'être responsable du marasme terne que Dame Nature nous faisait subir. Quelques activités n'ont pu avoir eu lieu, comme le survol des chutes du Niagara en hélicoptère parce que le plafond nuageux nous narguait de sa présence lourde. Et on me le reprochait, évidemment. Comme on m'a reproché l'arrivée à la Seigneurie du Triton, ancien camp de chasse fondé au XIXe siècle, parce que le ciel nous est tombé sur la tête, sitôt sortis du train. Je n'y étais évidemment pour rien.

Ce n'était pas un mauvais groupe. Un brin hypocrites, passablement râleurs mais somme toute sympathiques, mes touristes de l'année ne se mesuraient en rien à ceux de l'année précédente. Au moins, je me sentais respectée par ceux-ci. Ce qui est déjà beaucoup. Il y a bien eu des difficultés. Rien de majeur : des plaintes dont je n'ai pas su la teneur, faites en cours de trajet à mes patrons. Des plaintes à mon sujet, évidemment. Qu'aie-je donc pu faire? Je ne le saurai sans doute jamais puisque l'envie d'investiguer ne me tenaillait pas. J'avais chopé un rhume gracieusement importé de France dans l'autobus par une passagère, qui s'est amusée toute la semaine à me répéter qu'elle était la fautive de cette hécatombe dans notre groupe. Nous n'étions pas tout à fait à la fin du trajet quand la seconde plainte m'est tombée dessus. Et ça été la goutte de trop. En plus, je me rendais compte que je n'avais su faire mes calculs adéquatement et qu'il ne m'aurait resté qu'une seule journée de vacances avant de retourner travailler à la librairie.

Je me suis mise à faire de la fièvre. J'ai eu une toux creuse et persistante. Ma voix faisait des folies et semblait vouloir s'éteindre. J'avais devant moi un trajet de rêve, avec un groupe juste assez nombreux pour ce que soit plaisant, mais je ne voulait pas repartir, je n'en avais plus du tout la force. Trop de défis pour la petite Mathilde. J'ai demandé à être remplacée. Je n'y croyais pas puisque nous étions en septembre et que les guides sont une denrée rare à cette période de l'année. Mes valises étaient prêtes : je partais, résignée. Au matin de mon départ, le surlendemain de mon retour, j'ai eu le téléphone salvateur, je ne partais plus. Ma tête tournait, j'étais épuisée et la fièvre augmentait même si le rhume lui, semblait se calmer. Je me suis détendue. Et c'est là que j'ai compris ce que j'avais.


À 14h00, ce jeudi après-midi je me suis rendue à l'évidence que j'avais un abcès dentaire. Il faut savoir que ma prémolaire droite, en bas, avait éclaté depuis plus d'un an. Je savais qu'il fallait que je m'en occupe, mais je crois que je pratiquais une forme de pensée magique : si je l'ignorais ça n'existerait pas. Erreur monumentale évidemment. Ça existait. Je suis allez chez le dentiste en urgence. Durant la dernière semaine, j'ai souffert plus que jamais auparavant. Mon abcès était tellement avancé que j'ai dû prendre des antibiotiques pendant une semaine. Et ça signifie que la douleur existe pendant une semaine. J'avais un air de hamster qui s'est roulé la joue dans de la peinture bleu et vert. Je prenais tellement de médicaments que j'en étais confuse et somnolente. Je n'ai donc rien fait de ma semaine de vacances, surtout pas écrit comme je l'aurais voulu parce que j'avais les idées bien trop emmêlées pour structurer ma pensée.

Le jeudi suivant, avant hier donc, je me suis fait arracher la dent coupable. Elle était tellement longue que le denturologue en était surpris. J'ai versé des larmes de douleur lorsqu'on me l'a ôté. J'avais l'impression d'avoir des étaux pointus autour des tempes durant les deux derniers jours. J'ai dû laisser la chose derrière moi, on ne pouvait pas me la remettre. Pour la première (et unique fois, je l'espère) je n'ai pu poser une de mes dents sous mon oreiller. Bien entendu, la fée des dents n'est pas passée.

mercredi, octobre 04, 2006

Les messages du répondeur

Voici ma participation au Coitus impromptus pour cette semaine


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En entrant dans la chambre, l'oeil unique du répondeur me narguait de son éclat rouge. Un message. Pas celui que j'attendais, bien entendu. Un unique message que je n'avais pas du tout envie d'écouter. J'en connaissais d'avance la teneur et le ton. J'aurais voulu jeter le téléphone par la fenêtre, faire semblant que rien n'existait. Surtout ce message. J'avais des pierres dans le coeur, les jambes en coton. Toutes les fois. C'était pareil toutes les fois. Quand je savais qu'il allait m'appeler. J'avais entendu le téléphone sonner plus tôt dans la journée. Je m'étais terrée sur mon divan en me bouchant les oreilles et en me balançant d'avant en arrière, comme un enfant qui cherche à fuir un mauvais rêve. Ma bouche avait un goût de sang. Le pourpre perlait à mes lèvres. Il ne me restait qu'à composer mon code d'accès pour avoir le message, pour pouvoir l'effacer.

Il y a toujours eu dans cette voix, quelque chose de possessif, de vindicatif qui me dressait la pilosité plus certainement que le bruit d'une craie sur un tableau. Cette manière de parler qui laissait supposer que tout lui était dû. Déjà, sans lui avoir adressé la parole, je me sentais coupable. Déjà sans avoir entendu ses propos, j'avais l'angoisse qui gravissait les Everest de mes paniques les plus profondes. Le coeur battant, je regardais fixement le voyant en espérant qu'il s'éteindrait de lui-même. Je me sentais plus seule que jamais. J'aurais tellement voulu que quelqu'un soit à mes côtés, un homme qui m'aimerait assez pour me protéger de ce dragon qui me happait à chaque fois que j'entendais cette voix. Cette voix comme un enfer qui me tuait.

Je regardais l'appareil avec appréhension, certaine d'y trouver exactement ce les mêmes mots qu'à l'ordinaire. Cette formule, pourtant banale, qui me tombait dessus comme la pire des menaces. Je n'arrivais plus, à expliquer ce qui me traumatisait à ce point dans la suite de mots. Je savais que ça paraissait ridicule aux yeux de mon entourage. Et quand je voyais son numéro de téléphone sur l'afficheur, je me disais : « Réponds, ma grande, tu seras débarrassée ». Invariablement, je me retrouvais, dans le coeur de la nuit, à me sentir zieutée par la lueur rouge qui indiquait un message sur la boîte vocale. Il était toujours trop tard pour rappeler. Sauf que je remettais l'écoute au lendemain matin pour ne me pas me retrouver isolée dans l'encre nocturne à tourner dans mon lit pour essayer de repousser les fantômes que la culpabilité faisait voguer autour de moi.

Le matin me voyait hagarde et peu reposée. Les loups avaient vaincu mes résistances. Je finissais par actionner le mécanisme et j'entendais le bête : «Salut, c'est moi. Rappelle-moi. » Jamais rien d'autre que cet ordre plat. La voix ne prenait jamais de mes nouvelles. Elle exigeait que je me rapporte. Bonne petite bête éduquée à répondre à l'appel. J'avais la peau plaquée de psoriasis, contre-coups de mes angoisses qui allaient en se multipliant.

Et puis un jour, j'ai dit non. J'ai crié des insultes à tue tête à l'appareil, et à la voix à l'autre bout. J'ai hurlé que ça suffisait, que j'étais épuisée et que je n'en pouvais plus. J'avais tellement peur, j'étais tellement en colère en même temps que je ne me rappelle plus très bien de mes paroles. Je versais des larmes impuissantes en me demandant d'où sortirait le prochain couteau. En sachant que quelqu'un de mon entourage servirait de nouveau vecteur de manipulation. Mais j'ai tenu bon, j'ai tenu le coup.

Aujourd'hui, je n'ai plus d'afficheur et je réponds dès la première sonnerie. Et lorsque le voyant illumine la nuit, je souris en retardant le plaisir de découvrir, celui ou celle qui aurait parlé avec mon répondeur.

lundi, octobre 02, 2006

Femme ou mère, vocations irréconciliables?

Je suis féministe, je n'y peux rien. C'est partie intégrante de ma nature, aussi certainement que j'aie les cheveux bruns. C'est là, puissant et important. Benoîte Groult fait parte de mes modèles depuis son fantastique : Ainsi soit-elle. Je n'étais pas vielle quand je l'ai lu, adolescente encore. Perméable à l'opinion d'autrui, il va sans dire, mais déjà assez allumée pour me sentir interpellée et surtout pour aller voir ce que d'autres avaient à en dire.

Je suis née dans une famille de la petite bourgeoisie montréalaise. Ma mère a cessé de travaillé peu après la naissance de mon frère cadet. Elle est restée à la maison avec nous pour veiller à notre éducation. Sa vie était donc axée uniquement sur celle de son époux et celle de ses enfants tandis que la femme qu'elle était s'éteignait lentement, mais sûrement. Elle était intransigeante, exigeante et peut-être même un peu impatiente. Et puis, elle a refait la connaissance d'une amie d'adolescence en allant nous inscrire dans une nouvelle école. J'avais huit ans. Je me rappelle très bien de ce moment dans ma vie parce qu'un changement notoire s'est opéré chez ma mère. Elle a décidé de retourner en apprentissage, elle voulait devenir sage-femme. Elle a mis ma soeur au monde à l'automne suivant, cependant les changements s'étaient installés en profondeur. Elle avait désormais un objectif, quelque chose qu'elle faisait pour elle. Je crois que j'ai commencé à être féministe à cette époque-là.

Je crois que c'est profondément absurde de demander aux femmes de s'oblitérer complètement sous prétexte qu'elles sont devenues mères. Oui, bien entendu, il faut que les enfants aient un environnement familial sain et présent. Justement un environnement familial sain, implique à mon sens que la mère se réalise pleinement dans ce qu'elle fait. Si cela signifie de rester à la maison pour élever ses enfants, tant mieux, sauf que je crois que pour beaucoup d'entre-nous d'autres impondérables viennent mettre leur nez dans la balance. Les couples ne durent plus nécessairement toute une vie, les femmes ont besoin de faire autre chose que de nettoyer la maison en attendant le retour de l'homme ou des enfants. Elles ont besoin de se réaliser. Personnellement, je pourrais sans doute passer mes journées à la maison avec des enfants parce que je me réalise en écrivant et point n'est besoin pour moi de quitter la maison pour vaquer à cette occupation. Par contre, je ne suis pas certaine que je garderais mes enfants à la maison toute la semaine. Je crois que je préférerais les envoyer à la garderie un peu, quand même. Et c'est de cette manière que j'ai compris les propos de madame Groult.

Et je trouve abominable de dire que les femmes sont de facto plus aptes que les hommes à s'occuper d'enfants en bas âges. C'est un préjugé sexiste. En fait, le meilleur milieu familial sera toujours celui où les parents seront en équilibre. Et l'équilibre ne saurait être atteint par la négation de soi. Je suis par ailleurs d'accord avec madame Groult lorsqu'elle affirme que ce que nous avons aujourd'hui, nous pouvons le perdre demain, si nous ne faisons pas attention au présent qui est entre nos mains à l'heure actuelle. Je crois que nous devons continuer à lutter pour le droit. Le droit de choisir nous-mêmes la manière de mener au mieux notre vie. Le droit à la démocratie politique à l'extérieur du foyer, mais aussi, sinon surtout, à l'intérieur de celui-ci.

Je suis féministe et je le resterai sans doute fermement jusqu'à la fin de ma vie. Il y a encore beaucoup de luttes à mener sur bien des fronts. Surtout en ce qui concerne un paquet de préjugés aussi stériles que tenaces quand aux rôles des hommes et des femmes dans la cellule familiale. Et tant qu'à y aller dans les affirmations sans beaucoup de fondement, je terminerai en disant qu'on fait des enfants par égoïsme, pour perpétuer la race avant tout, pas par altruisme. Sinon personne ne mettrait un enfant au monde dans notre univers de fous où les loups sont plus doux que les hommes.