dimanche, octobre 29, 2017

La vie d'avant

Quand je suis sortie du lot, j'étais pas mal fière de moi. C'est qu'il y avait du Y dans le magma d'où je viens, vous n'avez pas idée. Mais je suis déjà têtue et décidée, assez en tout cas pour avoir su me frayer un chemin pour m'implanter dans le milieu que je m'étais choisi.

On était tant et tant à vouloir y arriver. La lutte serait féroce, on en était tous bien conscients avant même le départ. Et les Y adoptaient cette attitude qui me titille immanquablement l'orgueil, celle de ceux qui se savent démarrer avec un avantage sur le reste de l'humanité. Bon d'accord, dans l'historique de cette entreprise, ils avaient plus de chances que tous les X en présence. Ils le savaient et je le savais aussi. J'ai donc décidé de jouer mes cartes avec stratégie et minutie plutôt que de tout laisser tomber sur la table à la première occasion.

Je me suis mise en tête que j'étais aussi bien de voir l'épreuve comme une course de fond, rester le plus longtemps possible à l'arrière, quitte à presque me faire oublier, profiter de la vitesse et de l'énergie de ceux qui me précédait pour conserver la force de les délester et les dépasser dans les derniers mètres, histoire de passer la ligne d'arrivée en tête.

J'ai été récompensée de mes efforts plus que ce que j'aurais pu imaginer. J'ai trouvé un nid confortable et douillet. Oh, ce n'est pas spacieux, mais je n'ai pas tant le goût du luxe. Actuellement, un lieu sécuritaire et lumineux de l'intérieur me suffit pleinement. Surtout que de ma niche, j'entends les voix des personnes que j'aime déjà avec un genre d'écho qui me rassure. Je perçoit surtout une voix de femme, que je trouve immensément douce, elle fait vibrer mon cocon de toutes ses fibres, surtout quand elle chante. Mais aussi des voix un peu plus distantes, mais bien présentes; une voix d'homme basse qui résonne, une voix fluette de petit garçon et d'autres, qui m'intéressent, mais comme elles ne croisent pas mon environnement tous les jours, j'en garde des mémoires assez floues.

Je suis bien dans mon cocon, pas du tout prête à en sortir. N'empêche que je suis la première fille dans une famille de gars. De mon côté paternel en tout cas. Du côté maternel, c'est discutable, étant donné que mon grand frère est le seul membre de notre génération à exister. Je crois que c'est une bonne chose qu'il soit arrivé en premier, ça aura donné à nos parents une petite pratique avant que moi je pointe le bout de mon nez. Mais je n'allais quand même pas laisser tous les Y faire la loi dans cette famille sans y mettre mon grain de sel. Je pense qu'ils étaient vraiment prêts pour une petite fille.

C'est bien beau toutes ces considérations philosophiques, mais là je dois retourner à mon silence tout relatif, parce que je dois continuer à grandir et me former. Il me reste plusieurs pouces à prendre dans tous les sens et c'est beaucoup, beaucoup de travail pour un embryon de mon envergure.

Sachez, néanmoins, que j'ai bien hâte de vous rencontrer.

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Bras de plomb

Je me suis étiré le ligament reliant mon épaule gauche à mon bras. Rien de bien grave, sauf que...

C'est arrivé à la fin de la journée de vendredi. Un faux mouvement qui m'a tout de suite fait sentir que quelque chose clocherait. Comme je fermais le magasin, et que les horaires d'ouverture des pharmacies qui sont sur mon itinéraire sont les mêmes que ceux du magasin, je ne pouvais pas me procurer de relaxant musculaire ce jour-là. Évidemment, je n'en avais plus à la maison.

Bref, je me suis couchée avec un peu d'acétaminophène et après avoir appliqué une crème analgésique, mais sans plus. Au réveil samedi, j'avais l'impression d'avoir un bras de plomb. Lourd et gourd. Tous mes mouvements étaient gangrenés par la douleur. Prendre ma douche a été une épreuve aux limites de l'intolérable. Et je ne pouvais pas prendre de relaxant musculaire avant d'aller travailler parce que comme je ne prends que très rarement ce genre de truc, j'ai la confusion omniprésente quand je me décide à en avaler. Et ce n'est pas tout à fait une bonne idée dans le service à la clientèle.

J'ai donc pris mon mal en patience, c'est le cas de le dire, pour affronter ma journée au boulot. Heureusement, les employés ont été très compréhensifs et m'ont beaucoup aidée à accomplir des tâches simples pour lesquelles on ne s'aperçoit pas souvent que ça prend deux bras pour les effectuer. Fermer une grille et poser un cadenas par exemple. Je me suis retrouvée accroupie devant ledit cadenas, morte de rire parce que j'étais incapable de soulever ce dernier pour y insérer la clef correspondante. Quelqu'un est rapidement venu à ma rescousse et les lieux ont été correctement sécurisés.

Beaucoup de gens que j'ai croisé hier, s'inquiétaient un peu de ma santé, se demandant s'il ne fallait pas que je consulte pour mon problème, ce qui m'a beaucoup touchée. Mais je me disais, que je commencerais par essayer le relaxant musculaire avant de décider d'aller passer une matinée en clinique sans rendez-vous.

Sitôt arrivée à la maison,donc, j'ai avalé la pilule et quelques instants plus tard, j'ai senti deux choses : premièrement, que quelque chose se décoinçait dans la région de mon épaule gauche répandant une espèce de chaleur autour du nœud que la douleur formait jusqu'alors. Deuxièmement, la confusion que je redoutais tant a fait une apparition tonitruante. Mon cerveau voyageait dans des flous qui ne me plaisent que très peu. En essayant de lire, je me suis rendu compte que je ne retenais pas un traître mot, j'ai alors décidé d'écouter un film, mais je ne me souvenais plus de l'histoire quand je me suis réveillée ce matin.

N'empêche que je suis très contente d'avoir retrouver la mobilité de mon bras, entre autres parce que je suis à nouveau capable de poser les doigts de ma main gauche pour écrire. Ce qui, disons le, aurait été une conséquence plus que nuisible à une très bête accident de fermage de porte...

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dimanche, octobre 22, 2017

Histoires de nausées

La dernière fois, t'avais presque eu envie de crier victoire. Tu te disais que la société commençait enfin à évoluer dans le bon sens. Les gens pouvaient dénoncer et être crus; tu commençais à voir de la lumière au bout du tunnel des non-dits. Et puis la réalité s'est rappelée à ta mémoire, peut-être même à la mémoire collective. La preuve hors de tout doute raisonnable ne donne pas beaucoup de chances à ceux à qui ont a violenté la sexualité.

Et tu sais depuis longtemps que de toute manière les victimes ont toujours tord, ou presque. Il arrive parfois qu'on accorde aux enfants le luxe (si cela puisse en être un) d'avoir une parole plus forte que le doute de la culpabilité de l'accusé. Mais pour le reste, s'il n'y a pas mort d'homme, ou de femme, les abuseurs s'en sorte plus souvent qu'autrement avec une petite tape sur la main et pas grand chose d'autre. Et puis il y a les délais de prescription et autres machins dans le même genre qui ne sont rien pour encourager la dénonciation. Anyway, à toutes les fois où tu penses à ce qui t'es arrivé, t'as des hauts le cœur et des nausées sans aucune commune mesure avec le bon sens.

Fa que tu t'es dit qu'il fallait recommencer à zéro. Pour débuter discuter de féminisme avec les jeunes personnes de ton entourage. Voir quelle sera la réceptivité, parce que tu as souvent été renvoyée à tes oignons par des femmes, des filles des hommes et des jeunes hommes qui te soupçonnaient d'être juste une frustrée sexuelle qui ne s'assumait pas quand tu te disais féministe. Pis ça, plus que n'importe quoi d'autre, ça t'assassinait le courage et les tripes.

À ta très grande surprise, cette fois-ci, tes idées, tes paroles, tes questions ont été reçue différemment. Et t'as commencé à te dire que si juste ça avait changé, peut-être que finalement, tous ces constats d'échec avaient mené quelque part.

Et puis, il y a un raz-de-marée de dénonciations d'abus sexuels et de harcèlement qui s'est abattu sur Hollywood. Étrangement, la première chose qui te soit passé par la tête c'est qu'ici, un producteur, il y a des années, avait fini par être absout d'accusations similaires parce qu'il était puissant. Alors tu t'es dit que ce ne serait que feu de paille, comme bien souvent. Mais non. Si la justice ne peut se rendre à elle-même et surtout pas aux victimes, il semblerait que le poids du nombre finisse pas faire son œuvre. Même si aucun des hommes présentement sur la sellette n'était jamais reconnu coupables, leurs vies seront à tout jamais modifiées.

Tu en étais-là dans tes réflexions quand tu as lu le nom des trois avocats qui allaient représenter le producteur hollywoodien : un homme, deux femmes. Femmes qui vont aller décrédibiliser d'autres femmes pour quoi? Notoriété? Pouvoir? Argent?

Et tu t'es retrouvée en petite boule dans ton lit en te disant que tout était encore à recommencer, sans savoir si tu aurais le courage de refaire, encore, ce chemin de croix.

Il y a des nausées plus fortes que d'autres.

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mercredi, octobre 18, 2017

Le roi lion

Ces temps-ci, c'est la fête de Maman. Mais je veux que ce soit ma fête à moi bon. J'ai deux ans. Enfin, j'aurai deux ans bientôt, mais je suis décidément plus un deux ans qu'un un an. D'abord, je sais faire plein de choses : je peux mettre la table, ranger les ustensiles quand ils sont propres et surtout surtout, je peux mener tout mon petit monde comme je le veux quand je le veux parce que je parle beaucoup et bien. Et quand tout ne va pas exactement selon mon bon vouloir, je me fâche très fort. Maman et Papa ont décidé de me dire « non » d'une telle manière que je sais immédiatement que je suis aussi bien de ne pas continuer mes colères et de passer à autre chose sans quoi... Ben je ne sais pas, mais je crois que je trouverais les conséquences pas mal plates.

Pour la fête de Maman, on est évidemment allés chez Grand-mamie. Mais avant de partir, pour faire plaisir à Maman, c'était sa fête après tout, j'ai passé la balayeuse dans la maison. J'étais très fier de pouvoir me rendre utile. En chemin, on s'est arrêtés dans un magasin avec plein de choses wow. Mais surtout plein, plein, plein de livres. J'ai tout de suite reconnu le mien. Celui avec un gros lion et une petite souris dessus. Alors je me suis exclamé : « Le roi lion Maman, chez Grand-maman! ». Moi je serais resté toute ma vie dans ce beau magasin, j'ai accepté de le quitter quand Maman m'a rappelé que je pourrais aller voir mon ami Martini si on se rendait chez Grand-mamie.

Maintenant, quand je rencontre Tatie et Francis, je ne suis plus si gêné de les voir. Je me rappelle que j'ai eu du plaisir avec eux la fois d'avant. Et puis j'avais un objectif en tête; lire mon livre du roi lion. J'ai rapidement pris Francis par la main et je l'ai emmené à la chaise bleue dans laquelle Grand-mamie me lit des histoires. Ensemble, on a pris mon livre et il me l'a lu, au complet. Après, je suis allé cherché Tatie pour qu'elle me le lise à son tour. J'ai bien rugi quand il le fallait, très content de moi. Ensuite, j'ai lancé le livre par terre et j'ai dit à Tatie de le ramasser. Tatie, riait et me disait : « Non, je ne le ramasserai pas ton livre Zazou, c'est toi qui l'a lancé, ramasse-le toi. » Avec mes grands yeux bleus innocents, je lui ai dit : « Pas capable moi, toi ramasse-le. » Elle a fait « Pfff, alors il restera par terre, de toute manière on s'en va souper ». Je pense qu'il y a quelque chose dans mon truc qui n'a pas tout à fait fonctionné avec Tatie, je me demande bien pourquoi.

Je n'avais pas très faim, alors j'ai fait plein de folies avec la nourriture, mon napperon et mon verre plutôt que de me nourrir. J'étais tellement dissipé que c'est Papa qui a dû me faire avaler les quelques bouchées que j'ai accepté de manger. Ce qui m'intéressait en fait, c'était le gâteau. Manger du gâteau et surtout souffler les bougies. J'avais hâte de chanter « Bonne fête à moi » pour souffler les chandelles. Je n'étais pas très content que ce soit en fait « Bonne fête Éléonore » et que ce soit elle qui souffle les bougies ET qui déballe les cadeau. Je trouvais la vie bien injuste. Mais on a rallumé les bougies et chanté bonne fête à nouveau pour que je souffle les bougies à mon tour. Fiou.

Et tout le monde me disait que la prochaine fois, ce serait vraiment pour ma fête à moi. C'est dans beaucoup de demains.

C'est long comment beaucoup de demains?

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dimanche, octobre 15, 2017

La douche

On fêtait ma sœur aujourd'hui et comme la plupart du temps, on s'était réunit dans la maison de ma mère pour l'occasion; il y a quelque chose qui tient de la magie dans le fait de se faire concocter un repas d'anniversaire par sa mère et de le partager avec le reste de la famille. Comme c'est souvent le cas dans ces événements familiaux, je récoltais diligemment les anecdotes et autres observations utiles à la rédaction d'un texte sur l'enfance de l'art que je comptais écrire ce soir. Mais la vie en a décidé autrement.

Après un départ retardé par un embouteillage dans le cadre de la porte et un petit garçon qui courrait partout dans un dernier regain d'énergie avant de tomber sous les assauts du sommeil, j'avais mis les pieds dans les rues d'Ahunstic un peu après 19h30 sous une pluie de grosses gouttes lourdes, chaudes et éparses.

Je n'avais pas franchi le tiers du chemin qui me mènerait au métro quand le ciel s'était crevé complètement. En deux ou trois pas, j'étais détrempée. Totalement imbibée d'eau. Je n'avais même pas pris la peine d'essayer de presser le pas, sachant d'expérience que je risquais davantage de me blesser en tombant que d'arriver à échapper à l'averse qui passait. Plus tôt dans la semaine, j'avais ôté mon parapluie de mon cabas et bien entendu, j'avais oublié de l'y remettre avant de quitter la maison. Au coin des rues Lajeunesse et Sauvé, un jeune homme noir comme la nuit avait étendu le bras pour me protéger de son parapluie. Il m'avait dit en souriant : « On dirait que tu t'es fait prendre madame. Vas-tu loin? Moi je vais jusqu'à Saint-Laurent et je peux te prêter la moité de mon parapluie ». Je lui avais souri de toutes mes dents en lui répondant que le métro était ma destination.

Je m'étais donc engouffrée dans les dédales de celui-ci détrempée, mes souliers couinant allègrement sur les dalles pendant que j'adoptais la démarche maladroite de ceux qui essaient de trouver un endroit sec dans une vêture qui n'en a point. Le train était entré en gare à mon arrivée sur le quai et j'avais monté dans un wagon sous l’œil abasourdi des autres passagers. J'avais passé le trajet debout, à essayer tant bien que mal de me faire sécher, mais en ne réussissant en fait, qu'à m'entourer d'une belle flaque qui pouvait donner l'impression que j'avais fait pipi dans mes culottes. À quelques mètres, une dame ne pouvait s'empêcher de pouffer à toutes les fois où elle me regardait. Je présume que j'avais, un peu, l'air ridicule.

Bien entendu, l'autobus qui mène près de ma maison avait décollé sous mon nez me laissant mariner dans mes souliers imbibés. Ceux-ci d'ailleurs en ont profiter pour rendre l'âme. Ça fait longtemps, genre deux ans, que je sais que je dois les changer, mais ce sont des pantoufles tellement confortables que je remets continuellement leur mise au rebut (et accessoirement l'achat de chaussures de replacement) à plus tard. Sauf que là, les semelles ont toutes les deux décoller et en plus de couiner, ces dernières parlaient sans aucune forme de discretion dans les les derniers mètres qui me menaient chez moi.

Heureusement que le ridicule ne tue pas, sans quoi je serais vraiment morte plusieurs fois, à ce jour.

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jeudi, octobre 12, 2017

Enfermement involontaire

On a le wifi en saut de puces à la maison depuis quelques temps. D'ordinaire, ces manifestations se produisent lors des heures de pointe et ne durent que quelques secondes, allant parfois jusqu'à la quinzaine de minutes, rien de bien grave somme toute.

Sauf qu'hier, mon ordinateur ne voulait rien savoir de se brancher sur le réseau. Pendant plusieurs heures. Je me sentais complètement emprisonnée à l'intérieur de moi. Parce qu'on était mercredi et que je devais, au moins commencer, à réfléchir à un texte à présenter. Mais comment on fait pour présenter un texte, une réflexion sur un quelconque sujet si on a pas accès à notre principal outil de diffusion? Sérieusement, j'étais incapable d'écrire, malgré la page ouverte sur le traitement de texte. Comme si en n'ayant pas de point de chute qui rencontrerait éventuellement un certain lectorat, ma plume, mes idées, n'avaient plus de raison d'être.

Ce n'est certes pas l'exacte vérité, mais cet événement a fait en sorte de me permettre de vérifier pleinement à quel point mon lectorat m'importe. Pas que je passe des heures à regarder les statistiques de lecture de mes texte, en fait, je ne les regarde que vaguement, mais je vous sais quelque part à l'autre bout de mes mots et de mes maux. Je sais que lorsque je m'exprime quelqu'un quelque part entend ce que je dis. Et ça fait toute la différence du monde. Surtout lorsque je vis des choses qui me sont ardues. Pas nécessairement des choses sur lesquelles j'écris, du reste. Il arrive souvent que les sujets les plus tendus, je les passe sous silence. Par souci d'équité envers une personne qui pourrait m'irriter, par exemple, parce que si je me suis créé une tribune d'expression, il n'est absolument pas garanti que cet autre individu pourrait se défendre si j'exprimais en ces pages des frustrations trop précises. Et le plus souvent parce que je n'ai pas envie semer l'intimité d'autrui sur une plate-forme qui ne lui appartient pas.

Néanmoins, mes exercices littéraires sont essentiels pour ma santé mentale. Je le sais depuis fort longtemps et je le mesure actuellement. Depuis le début de l'année, j'ai vécu assez de situations stressantes pour ébranler la plupart des gens, et moi au premier chef. Sauf que je ne me suis pas choquée une seule fois. J'ai versé des larmes de rage comme de dépit, j'ai fait des discours enflammés qui sont tombés dans des oreilles amicales et surtout, j'ai canalisé ici mes peurs et mes angoisses en les mutant en autre chose.

Cependant, il est clair que sans ces yeux qui se posent sur mes écrits, l'exercice d'évacuation n'aurait pas du tout la même portée. Parce que je ne pourrais être certaine que quelqu'un m'ait entendue.

Et je crois que, fondamentalement, j'ai besoin de l'être.

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dimanche, octobre 08, 2017

L'accordéoniste

Au carrefour d'une station de métro mal éclairée, un vieil homme assis sur un minuscule banc qui semblait tout droit sorti du mobilier d'une garderie, jouait de l'accordéon. Quand le train de 19 heures en provenance du centre-ville s'était vidé de ses passagers, il avait tenté de se faire entendre un peu plus fort pour attirer davantage l'attention et risquer, peut-être, de se faire offrir une obole bien méritée pour le divertissement qu'il prodiguait. Bien entendu, les passant le regardaient sans le voir, la plupart du temps.

Son petit bout de territoire avait rapidement été envahi par une bande d'ados bruyante et mal dégrossie. Ils étaient une petite douzaine, peut-être un peu plus. Ils hurlaient plus qu'ils ne se parlaient et riaient encore plus fort. Dans l'escalier qui menaient vers le centre de la terre, un bambin s'accrochait à la main de sa mère, visiblement perturbé par cette avalanche de bruits malvenus. Mais les ados n'en avaient cure et ne se préoccupaient aucunement des malaises qu'ils pouvaient créer.

Évidemment, la bande s'était mise à arpenter l'escalier mobile qui montait vers la surface dans tous les sens bousculant sans compromis tous les autres usagers, sans aucune forme de respect : ils étaient les rois du monde et le reste importait peu. Une fois tous montés sur l'engin, ils avaient eu la brillante idée de sauter en cœur sur le mobilier, l'immobilisant, brusquement de ce fait. En haut, une dame avec son cabas avait dangereusement perdu l'équilibre et s'était rattrapée à la toute dernière seconde pour ne pas basculer vers l'arrière sous le choc brutal de l'arrêt.

Dans un élan, l'accordéoniste fait mine de se lever, comme pour rattraper la femme si jamais elle chutait, mais s'était interrompu dans son élan se rendant probablement compte qu'il n'aurait eu aucune chance d'adoucir l’atterrissage, étant donné la distance.

Sur le quai de la gare, le bambin pleurait une peur que la maman ne pouvait calmer. Il ne comprenait visiblement pas cette dose d'agressivité. Les ados eux, continuaient à hurler et à rire à gorges déployés, suprêmement inconscients des dommages collatéraux de leur arrogance sa merci.

L'ambiance n'était pas agréable pour la majorité d'entre nous, seuls les ados étaient imperméables aux miasmes qu'ils avaient semés.

Du bord de sa passerelle, le vieil accordéoniste s'était levé avant de commencer à jouer « Quand les hommes vivront d'amour ».

Et tout ceux qui l'avaient entendu s'étaient sentis consolés.

jeudi, octobre 05, 2017

L'effeuilleuse

C'était une soirée de septembre qui se prenait pour une soirée de juillet. Montréal étouffait sous une canicule tardive et l'impatience était palpable parmi les usagers du transport en commun. Par chance, la foule était assez parsemée pour préserver un peu d'espace vital autour de tout un chacun. C'était, en tout cas ma réflexion en mettant les pieds dans un train Azur. Je n'étais pas sitôt assise que j'ai perçu un drôle de cri venant du centre du train. Toutes les têtes s'étaient tournée dans cette direction et nous avions pu voir une jeune femme qui avançait péniblement vers la tête du train, à coup de spasmes physiques et vocaux..

À chaque pas, elle poussait un cri aigu, douloureux, comme si elle était poignardée à tous les coups. Ses spasmes corporels pour leur part étaient violents et désordonnés. Si au départ, j'avais imaginé qu'elle était peut-être atteinte d'un syndrome de Gilles de la Tourette, il m'était vite apparu que c'était en réalité une femme sur un mauvais trip de quelque chose que je ne pouvais identifier. Je sais depuis longtemps qu'il vaut mieux éviter les contacts visuels avec des gens dans de tels états, mais il semblerait que ce ne soit pas le cas de tous les quidams qui arpentent le métro de Montréal.

Ce soir-là, une femme discrètement voilée avait osé regarder la personne en crise dans les yeux et s'était fait copieusement invectivée sur un ton et avec des mots que je n'oserais pas rapporter ici. L'altercation n'avait duré que quelques secondes puisque la femme qui criait avait poursuivit son chemin jusqu'à un banc libre au bout du train, à quelques pas de moi. Une fois assise, elle s'était déchaussée, à cris forts, puis avait entrepris de se dévêtir, comme si quelque chose dans ses vêtements était la cause de son mal-être. En quelques instants, elle s'était retrouvée en petite culotte et en soutien-gorge et tirait sauvagement sur ses sous-vêtements, donnant l'impression qu'elle essayait à toute force de chasser un malaise physique.

Il va sans dire que cela créait une tension parmi les passagers qui essayaient tant bien que mal de l'ignorer. Nous étions plusieurs à nous dire (intérieurement) qu'il fallait aviser les équipes d'urgence. Mais ce n'est pas évident de le faire dans un train Azur parce que comme il n'y a plus de compartimentation, tout le monde entend les interventions avec le conducteur du train. À la station Laurier, un travailleur de la STM attendait pour prendre le train et une jeune fille l'avait informé de la situation avant qu'il ne monte dans celui-ci. Il avait choisi de passer son tour et était remonté à la guérite pour aviser les services d'urgence.

Ça avait pris jusqu'à Berri avant que les agents entrent dans le train que je quittais, calmes et détendus, visiblement bien préparés à l'intervention qu'ils devaient faire. Je n'étais pas restée pour voir la suite des événements, par conséquent, je n'en connais pas la conclusion.

Mais je revois la femme presque quotidiennement autour de mon travail, le visage marqué, le corps voûté par des conditions que je ne connais pas.

À toutes les fois, je suis triste, pour elle et je souhaite qu'un jour, quelqu'un trouve le moyen de lui tendre la perche qui lui permettrait de sortir de cet état-là.

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dimanche, octobre 01, 2017

Nouvelle entrée

Tu es jeune, pleine de vie, il te semble que tout est devant toi et bien peu derrière, même si du haut de tes vingt ans, il t'arrive de parler avec nostalgie des années paisibles de ton enfance confortable. Tu ressens la rage de vivre, de dévorer tout ce qui t'es offert, le sommeil t'ennuie parce qu'il est synonyme pour toi de temps perdu et tu n'es jamais aussi heureuse que dans de grands rassemblements festifs, desquels tu deviens pratiquement toujours le centre d'attraction.

Tu as les nuits fastes et excessives, comme s'il fallait coûte que coûte que tu les consommes jusqu'au bout pour que tu puisses ensuite les raconter. Tu déboules régulièrement les escaliers, molle et disgracieuse, en éclatant d'un rire mou et tu perds tout aussi souvent ton téléphone dans les plates-bandes de tes voisins que tu cherches en hurlant à qui veut l'entendre qu'on doit t'appeler pour que tu le retrouves. Peut-importe au fond qu'il soit quatre heures du matin. Tu suis la courbe de tes envies de tes élans.

Tu trouves cependant beaucoup plus difficile de suivre le cours diurne de ton parcours. Tes cours t'ennuient, ton travail aussi. Il te semble que le Cégep soit un passage aussi insipide que l'école secondaire avec tous ces cours de tronc commun qui ne te disent rien. Pourtant, tu te refuses le moindre droit à l'échec, même relatif. Tu as été élevée à performer; ta liberté d'ado se mesurait à tes résultats scolaires et c'est comme encré en toi jusqu'à la moelle des os. Petite pression auto-imposée qui finit par laisser des squames aux endroits où elle frotte.

Pis au travail, c'est pareil. C'est de l'alimentaire qui ne te définit en rien. Mais tout t'atteint comme des balles en plein cœur, le moindre commentaire qui pourrait avoir l'air négatif, les changements d'horaires, d'équipier. Tout ça te donne l'impression qui te concerne, toi et ta performance. Une autre petite pression qui laisse elle aussi des marques.

Même tes amours sont devenues pugnaces. Tu as la colère et la jalousie prééminentes. Elles se jettent sur toi comme des louves affamées et te laissent quotidiennement dans les limbes du doute. Toutes ces choses font en sorte que lorsque tu poses la tête sur l'oreiller, le sommeil ne vient plus, à moins que tu ne l'assommes en courant jusqu'au bout de la nuit. Et le cercle recommence, tous les jours, avec une pression un peu plus puissante à chaque lendemain parce que tu la conscience aigue que non seulement tu te déranges toi-même mais que tu commence à irriter férocement l'ensemble de tes connaissances et de ton voisinage.

Et tes pas de plus en plus lourds te mènent inexorablement à l'entrée du pays des zombies. Il n'y a pas de formule magique pour t'en détacher, il est là, présent et inéluctable. La seule chose que tu puisses faire c'est demander de l'aide. Mais c'est probablement le geste le plus difficile à poser quand on est jeune, pleine de vie et d'allant et qu'on se dit qu'à cet âge, franchement, on ne peut pas tomber.

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