À cette époque, ma
grande amie habitait dans ma cours, la plupart du temps. Enfin, elle
habitait dans une maison qui donnait sur la cours familiale et son
père avait percé une porte dans la clôture grillagée, l'ensemble
de nos parents craignant sans doute que nous ne nous cassions le cou
à force de l'escalader pour aller de l'une chez l'autre, ce que nous
n'aurions pas manqué de faire, si les grands moyens n'avaient pas
été pris.
Quelquefois, par contre,
elle était chez sa mère qui restait très loin en transport en
commun. Il m'arrivait de l'accompagner pour la fin de semaine.
J'adorais ces expéditions hors du quartier qui m'avait vu grandir.
Par une fin de semaine de février, il me semble, nous avions apporté
des cassettes vidéos en location dans nos bagages. Trois films
différents, mais nous avions fini par n'en écouter qu'un seul,
tellement nous l'avions aimé, six fois de suite, si ma mémoire est
fidèle. C'était Dirty Dancing.
Nous
aimions déjà beaucoup les films de danse. Sans doute parce que ni
l'une ni l'autre n'avions aucun talent dans le domaine et, pour ma
part, comme je suis à peu près aussi souple que du bois mort,
j'étais (et je suis toujours) fascinée par ce langage corporel que
je n'avais aucune chance de pouvoir, un jour, pratiquer. Ce film était
arrivé dans ma vie au prélude de mes quinze ans. Ma fibre
romantique battait déjà à tout rompre, je ne pouvais qu'être
totalement sous le charme.
Évidemment,
mes souvenirs de l'époque sont un peu confus, étant donné toute la
distance qu'ils présupposent. Il me semble que le printemps et l'été
qui on suivi ont été jalonnés par ce film. Comme si nous l'avions
écouté à toutes les journées de pluie et que nous avions joué à
être Baby tous les
jours où il faisait beau, dans la piscine chez mes parents, ou lors
des innombrables pique-niques qui nous amenaient dans les divers
parcs jalonnant la piste cyclable du boulevard Gouin. Il nous
arrivait, bien entendu d'écouter autre chose, mais nous y revenions
toujours. Tellement qu'on s'était mises à l'écouter en anglais et
que j'ai commencé à comprendre quelque chose à cette langue parce
ce que je connaissais tellement tout le texte en français que je
pouvais percevoir ce que les acteurs se racontaient, dans la langue
originale. Je ne dis pas qu'il s'agit ici de mon film favori, pas du
tout en fait. Il est cependant celui que j'ai vu le plus souvent, et
de loin.
Hier,
j'ai été voir la comédie musicale tirée du film. Il y avait du
féminin dans la salle Wilfrid-Pelletier au pouce carré, c'était
fou. De tout âge, en plus. Il y régnait une fébrilité toute
adolescente, malgré le fait que je devais me situer dans la moyenne
d'âge. Mais l'esprit de la foule, lui, avait quelque chose comme
quatorze ans.
La
magie a opéré. L'histoire, était remarquablement fidèle à celle
du film, avec quelques ajouts qui ne la défiguraient pas. Bon, le
jeu des comédiens était, disons aléatoire, et certains effets
spéciaux pour refaire des scènes dans un lac, ou une voiture
étaient, mettons, grotesques, mais dans l'ensemble, je crois que
toutes les fans dans la pièce étaient assises sur le bout de leur
chaise et savouraient avec délectation le spectacle qui se déroulait
sous leurs yeux.
Évidemment,
l'important dans ce film, c'est la scène finale; le moment où Baby,
se révèle au monde. Je pense que je n'étais pas la seule à
l'attendre parce qu'à la première mesure de (I've had)
the Time of my Life, j'ai eu
l'impression que le toit de Wilfrid-Pelletier allait sauter.
Je
suis revenue chez-moi à pieds, riant toute seule, heureuse comme je
ne l'avais été depuis longtemps. Et j'ai réécouté le film
original, deux fois plutôt qu'une.
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