dimanche, février 28, 2016

Le pickpocket du métro Papineau

Il y a ce mec, que je croise parfois au métro Papineau. Le genre de gars qui passe totalement inaperçu d'ordinaire. Des vêtements ordinaires, une grandeur ordinaire, une face ordinaire. Le type de personne qu'on ne remarque jamais.

Pourtant, il est entré dans mon champ de vision, s'est ancré dans ma mémoire assez longuement pour que son camouflage se fissure. Je ne sais pas c'est lié à quoi. Peut-être à mon âme de portraitiste qui cherche toujours un sujet sur lequel écrire, qui sait?

Cette semaine, mes horaires ont ressemblé à de la dent de scie. Pas un soir, je n'ai franchi les portes à la même heure. Mais c'était toujours à des moments de cohue intense, quand on a le sentiment que les wagons vomissent leurs passagers d'un seul coup à un endroit bien précis mais que si l'on regarde le train derrière soi, il semble aussi plein que lorsqu'on y était.

On a toujours le sentiment que les heures de pointe sont à des moments très précis et que le reste du temps, les passagers vont et viennent dans les wagons et que, règle générale, ils ne sont que peu nombreux à descendre aux différentes stations. Pourtant je prends le métro tous les jours, et à chaque fois que je descends au métro Papineau, je me me rends bien compte que les escaliers mobiles sont plein à craquer durant au moins deux longues minutes, à peu près à toutes les fois que j'y passe.

On sait que le métro, en général, est un endroit qui regorge de détrousseurs en tout genre. Il y a ceux qui vous tendent la main de manière insistante, jour après jour, ceux qui se promènent de wagon en wagon avec une histoire abracadabrante pour expliquer le pourquoi du comment ils ont besoin de votre aide financières, ceux qui vendent des objets vraisemblablement issus d'un larcin, à des prix défiant toute compétition et aussi ceux qui s'emparent subrepticement des biens d'autrui à leur insu.

Ce mec que je décrivais plus haut fait partie de la dernière catégorie. Je ne l'ai compris que cette semaine parce qu'une femme hurlait à un itinérant, aussi un habitué du coin, qu'il lui avait volé son portefeuille. J'ai alors très clairement compris le stratagème. Le mec qui n'a l'air de rien m'a frappé parce que ça faisait deux fois, la même semaine, que je le voyais sur le quai de la gare à l'arrivée de mon train et que plutôt que d'entrer dans celui-ci, il remontait avec la foule des quidams jusqu'à la sortie, bien sagement jusqu'au premier palier après quoi il enchaînait le second escalier en marche rapide.

J'ai tenté d'intervenir pour dire à la femme qui s'était fait volé son portefeuille qu'elle se trompait de voleur. L'éclopé qu'elle mettait en accusation n'avait rien à voir avec le forfait. Mais elle m'a rabroué assez vertement pour que je décide qu'elle ne valait même pas la peine que je tente de l'aider davantage. Elle n'avait aucune raison de me crier après, je n'étais qu'une inconnue dans la foule, mais une autre personne lui avait pointé le vieux monsieur, pas tout à fait itinérant comme le coupable. Moi je soupçonne l'autre dame d'être une complice du véritable voleur, sauf que je ne pourrais en aucun cas le prouver.

La seule chose que j'ai pu faire, ça été d'acheter une boisson gazeuse au pauvre (dans tous les sens) homme qui s'était injustement fait pointer du doigt devant une horde de curieux, parce que c'est ce dont il avait envie pour se remettre de ses émotions.

Ça faisait longtemps que je n'avais pas eu l'impression de dépenser un dollar de manière aussi adéquate.

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mercredi, février 24, 2016

Un bien drôle de vieux monsieur

Je suis bien chanceuse, j'ai une amie qui s'achète plein de billets de spectacles et le deuxième me tombe régulièrement entre les mains, pour mon plus grand plaisir. Ainsi, nous avons découvert, ensemble, que si nous aimons la danse, on se garde une petite gène pour les danses expérimentales qui nous laissent plus perplexes qu'autre chose. Ou encore que nous sommes bien heureuses d'avoir enfin découvert ce qu'était la musique klezmer.

Pour une raison qui m'échappe, nous avons souvent eu des billets à côtés du même couple de vieux Juifs. Je sais qu'ils sont juifs parce que c'est la dame du couple qui me l'a appris, il y a quelques années alors que je l'aidais à s'installer à peu près convenablement sur une chaise beaucoup trop droite et trop peu confortable pour son vieux corps. Son mari, ne m'a jamais adressé la parole et j'ai fini par comprendre que c'est parce qu'il ne parle aucunement le français et que son anglais est tellement teinté d'accent slave que c'est difficile de le comprendre pour quelqu'un qui, comme moi, ne maîtrise pas totalement la langue de Shakespeare.

Quand je suis assise à côté de la dame, ça ne me fait plaisir, elle est agréable et fort cultivée. Elle aime les jeunes (clairement pour elle, je ne suis qu'une petite poulette à peine sortie de l'enfance), mais lorsque je suis à côté de son mari, je me sens un peu moins confortable. D'abord, il est à peu près sourd comme un pot. Alors il ne parle pas, il hurle. Ce qui n'a rien d'agréable. Ensuite, il semble continuellement en colère. Je crois qu'il sort encore parce qu'il se dit que c'est ce qu'il doit faire ou pour faire plaisir à son épouse, mais en tout cas, clairement pas parce qu'il en a envie.

La plupart du temps, il donne des coups de pieds sur mon banc ou celui d'en face et c'est toujours moi qui ai droit aux regards assassins des personnes qu'il bouscule. Ensuite, il marmonne dans sa barbe imaginaire des mots que je ne peux pas comprendre puisqu'ils sont soit en yiddish ou en polonais. Il me donne l'impression. Sa femme ne s'occupe que peu ou pas de ses récriminations, faisant allègrement causette avec le voisinage, distribuant les sourires et les anecdotes de leurs longues vies à tous les deux. Selon ce que je peux en déduire, ils ont bien plus de quatre-vingts ans tous les deux.

Cependant, ce qui m'exaspère le plus, lorsque je voisine ce monsieur, c'est qu'il mange des caramels mous et des chocolats tout le long du spectacle et qu'il s'essuie les doigts sur mon manteau parce qu'il n'a pas de mouchoir sur lui (sauf celui en tissus carrelé dans lequel il se mouche bruyamment périodiquement). Et qu'il fiche tous les emballages de ses bonbons dans mes poches ou mon sac-à-main. Comme s'il voulait être bien certain que je me rappelle de lui.

C'est une drôle de petite peste de nos jours, à l'image de celui qu'il était, peut-être, enfant. Je n'ai aucune idée de son identité, mais je ne serai pas du tout surprise d'apprendre qu'il a un jour été un de ces Juifs de Montréal qui ont façonné la ville, mais dont la plupart de ses concitoyens ont oublié le nom.

En tout cas, puisque je le décris aujourd'hui, je ne l'oublierai pas, malgré le fait que j'ignore tout de son nom.

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dimanche, février 21, 2016

Les grandeurs et les travers de l'ordinaire

C'était dans une ancienne église, toute petite et bondée. Au dehors, février se rappelait à nos bons souvenirs en laissant tomber des flocons de paysage de carte-postale. À l'intérieur, on aurait pu se croire à une assemblée dominicale d'une autre époque, tellement tout le monde, sauf Fred et moi, avait l'air de faire partie du décors habituel de cette salle. La moyenne d'âge dépassait largement les nôtres et la foule nous donnait l'impression qu'elle était rassemblée non pas tant parce que l'artiste était celle qu'on voulait voir, mais bien que c'était l'activité à faire un vendredi soir dans cette petite ville de banlieue. Ce qui ne l'empêchait pas d'être attentive et charmée par le spectacle qui se déployait devant nos yeux. Par contre, je crois bien que j'étais la seule à fredonner tout bas les parole en même temps que la chanteuse.

À son premier pas sur scène, tout le public a constaté qu'elle était enceinte. Pleinement et sereinement enceinte. Juste ça, c'était beau à voir. Mais, l'hiver avait réclamé son dû à la jeune dame qui avait une voix quelques tons plus bas que ce que j'avais l'habitude d'entendre sur les disques que j'écoute régulièrement. Malgré cet handicap, elle est allée jusqu'au bout de sa prestation, même si elle nous avait avoué avoir tronqué de quelque pièces ce qu'elle avait prévu au départ parce que justement, elle n'était pas du tout convaincue que sa voix lui permettrait de se rendre à la dernière note.

Ça faisait des années que je la connaissais de nom. J'avais entendu de ses chansons à la radio et je savais que ça me plaisait, mais je ne possédais aucun de ses album avant tard dans 2015. Et puis mes oreilles se sont laissées happées par son piano, un jour d'été au travail. Il y avait quelque chose dans la suite de notes dans l'introduction d'une pièce qui me faisait presque mal. Alors je me suis mise à l'écouter. Comme je fais rarement les choses à moitié, j'avais parcouru son désert des solitudes jusqu'à plus soif. Et je m'étais jetée sur l'album suivant comme une louve affamée. Sans déception aucune. Cette maison du monde répondait entièrement à me attentes en termes de musique, mais surtout en termes poétiques.

Dans la vielle église, une femme s'affirmait. Dans toute la complexité de la dualité de ses rôles d'amante, de mère et de musicienne. Chaque mot portant sa propre émotion, bien appuyée par les les mélodies. D'une main délicate, ou d'un balancement d'épaule improbable, elle dégageait à la fois force et fragilité. Moi je la regardais, envieuse de ces bonheurs qu'elle nous partageait sans réserve. Je me suis prise à penser que je ne l'aurais jamais qualifiée de plus belle femme du monde, mais elle était sans conteste, la femme la plus séduisante que j'ai jamais vue en spectacle.

Elle s'appelle Catherine Major. Son œuvre est une orfèvrerie de mots et de mélodies qui se répondent les uns aux autres avec justesse et vérité.

Mais surtout, elle est une femme qui parle des femmes, dans leurs grandeurs et leurs travers ordinaires. Ce qui en fait quelqu'un de bien extraordinaire, au final.

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mercredi, février 17, 2016

Les frontières impossibles

La nuit de finissait pas de ne pas finir. Le soleil était pourtant levé, mais à l'heure où les convives s'étaient couchés, tu ne te sentais pas d'attaque pour secouer tous les corps morts et puis, d'abord tu te sentais coupable.

Quand tu avais fermé la porte de ta chambre, tu savais qu'il y avait quelqu'un d'endormi dans les manteaux. Mais tu en avais plus qu'assez de veiller, ça faisait trois soirs en ligne qu'il y avait des fêtes de toutes sortes autour de toi. Celle-là n'était pas la tienne, mais ça adonnait que c'était chez-toi. Prévue de longue date, alors si tu manquais de sommeil tu n'avais que toi à blâmer.

L'absence de geste, le fait de n'avoir pas jeté dehors le corps endormi, c'était une forme de courtoisie. Mais voilà que la politesse s'était retournée contre toi et que t'étais retrouvée dénudée et touchée par des mains pratiquement inconnues, une main sur ta bouche pour atténuer les sons. Tu l'avais repoussé, trop tard. Trop tard parce que l'acte avait été entièrement consommé avant que tu ne te réveille. Trop tard parce que ton corps, ce traître, avait répondu de toutes ses fibres à ce qui se passait sans que tu en aies conscience.

Dans la lumière blafarde de ce matin d'hiver, tu te sentais sale, mais tu refusais d'aller te laver tant qu'IL était encore dans la maison. Tu n'avais aucune envie de mettre un pied dans ta chambre pour aller te chercher des vêtements propres et pas non plus le courage de faire un esclandre devant plein de monde que tu ne connaissais que peu ou pas de tout pour mettre l'intrus dehors.

Les minutes s'égrenaient comme autant d'heures. Et tu revoyais toutes les fois où tu t'étais mise en danger en partant avec des mecs inconnus, en marchant toute seule dans les nuits de villes trop grandes pour toi. Et tu repensais à la soirée de la veille, en sachant pertinemment que c'était les deux précédentes qui t'avaient assommée.

Et puis ton coloc t'avais trouvée sur le divan. Le regard vide. Il t'avais demandé ce qui se passait. Tu avais réussi à répondre qu'il y avait quelqu'un dans ton lit. Alors tu l'avais vu se mettre dans une colère vigoureuse et tout ce que tu avais voulu éviter comme esclandre avait alors éclaté avec retentissement. Ton secret avait été irrémédiablement éventé.

Et tu t'étais prise à penser que le corps était une bien mince frontière pour protéger ton âme.

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samedi, février 13, 2016

Princesse, mon amie

Je l'avais rencontrée un an plus tôt. Mais ça faisait déjà quelques mois que nous entendions parler l'une de l'autre. Son père et moi avions récemment renoué une amitié qui s'était perdue dans le brouillard des communications qui s'étiolent. Par conséquent, elle connaissait mon nom avant de voir mon visage pour la première fois.

Ce soir-là, je n'avais aucune espèce de chance, puisqu'il y avait des enfants ce qui était forcément plus intéressant qu'une madame inconnue. Malgré les efforts que j'avais fait pour faire sa connaissance, elle m'avait superbement ignorée si ce n'était un timide « bonsoir » murmuré de l'arrière des jupes maternelles.

En décembre dernier, cependant, nous étions nettement moins nombreux et les invités étaient exclusivement adultes. Et puis, elle était passé quelquefois à la librairie avec son papa, donc une petite brèche était ouverte.

J'aime les enfants, c'est une vérité de La Palice. Alors si j'ai une occasion, aussi minime soit-elle, de me faire une amie d'un âge préscolaire, c'est clair que je vais sauter dessus. La jeune demoiselle s'était faite belle, pour ce repas d'avant Noël, elle avait un joli papillon dessiné sur le visage et une jupe qui tourne. J'avais illico reconnu la princesse. Je lui avait donc, innocemment, posé la question, à savoir si elle était une princesse. Et elle m'avait répondu : « Ben oui », du ton de l'évidence crasse.

Comme la reine des neige était particulièrement à la mode, j'avais tôt fait de supposer qu'elle était ladite reine de neiges, mais pour la faire marcher, je lui avait demandé si elle était Anna. J'avais alors eu droit à un « Ben non » sur un ton qui laissait croire que j'étais vraiment à côté de la plaque. J'avais joué la surprise : « Ah non? Tu ne veux pas être Anna? Tu préfères être Elsa? Moi je la trouve super Anna, elle est courageuse tout du long... » Et la petite m'avait répondu catégoriquement « Ben non, elle ne fait même pas de magie ». Tout était donc dit.

Mais mon petit plan avait admirablement fonctionné, j'avais montré mes connaissances étendues dans les sujets importants et je pouvais lui parler de toutes sortes d'autres princesses et de livres que je connaissais bien parce que c'est mon métier, entre autres, de connaître les livres pour enfants.

Au souper, la petite m'avait gentiment dressé une place à côté de la sienne (mes ustensiles étaient particulièrement bien cachés dans un morceau d'essuie-tout tout déchiré qui devait, censément, faire office de serviette de table), avec un beau verre en plastique pour boire du lait avec le dessert, avais-je appris.

Le verre de lait avait fini sur mes vêtements, après un éclat de grandiloquence qui manquait peut-être un peu de contrôle dans l'usage des bras.

Arrivée chez-moi je sentais un peu le caillé, mais je trouvais que c'était un bien faible tribut à payer pour m'être fait une nouvelle amie.

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jeudi, février 11, 2016

Histoire (de) Belle

Belle était une toute jeune fille allumée d'une beauté stupéfiante. Du genre de celle qu'on est certain qu'elle ne peut pas exister dans la vraie vie, et pourtant je l'ai côtoyée quotidiennement durant des années. À seize ans, elle était svelte et souple et avait une magnifique chevelure d'un brun chaud, longue et épaisse, semblable à ce que l'on voit dans les commerciaux de shampoing. Son visage ovale portait de jolies lèvres pulpeuses et ses yeux verts tachetés d'or rendaient le tout sublime.

C'était le genre de personne qui obtenait tout sans effort. Sa beauté singulière lui ouvraient bien des portes. Au centre de son univers tous se démenaient pour lui faire la meilleure place. C'était un espèce de soleil autour duquel gravitait une gang de filles et un groupe de gars qui se disputaient ses faveurs. Bref, tout lui réussissait, sauf les sciences.

On s'était connues dans des cours de rattrapage de mathématiques afin de pouvoir terminer notre scolarité dans l'école privée que nous fréquentions. Nous étions une vingtaine, mais seulement trois filles. Alors forcément, pendant ces mois d'été, nous avions fait connaissance. Rien ne nous aurait, autrement prédisposées à devenir amies. Je ne suis même pas certaine que nous le fussions de toute manière.

C'était le genre de fille qui disait que les gars de notre âge étaient trop jeunes, trop niais et surtout trop pauvres pour elle. Ni moi, Annie, ni l'autre fille qui formait le dernier membre de notre trio improbable, ne comprenions sa manière d'envisager l'amour. Ça ne nous préoccupait pas vraiment d'ailleurs, nous nous contentions d'écouter et d'acquiescer aux moment propices tout en se faisant des gros yeux dans son dos.

Pas une d'entre nous n'a réussi son cours d'été et nous nous sommes retrouvées prises pour changer d'école. Annie e moi avons donc mis le cap vers l'école publique du quartier tandis que nous avons perdu la trace de Belle.

Bien des années plus tard, on m'a dit qu'elle avait rencontré, à la fin de cet été là, un gars plus vieux qu'elle, début vingtaine. Qu'il était beau, riche, plein de promesses, comme Belle l'avait si ardemment désiré.

Par amour, elle l'avait suivi en Ontario et avait dansé pour lui. S'était prostituée aussi jusqu'au jour où sa beauté phénoménale s'était étiolée à force de drogues et d'abus et que ce prince, pas du tout charmant, lui préfère une femme plus jeune, plus docile, qui rapporterait davantage.

Si je connais la fin de cette histoire, c'est par hasard. C'est une ex-toxicomane qui me l'a racontée, elle l'avait connue dans un bar de danseuse minable dans le nord du Québec.

Une bien triste histoire à laquelle je ne cesse de penser depuis que j'entends parler des fugues multiples de jeunes filles dans la région de Montréal.

Et je ne peux m'empêcher de me dire que courir après un rêve peut parfois mener au cauchemar.

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dimanche, février 07, 2016

Appeler Laurence

Samedi soir, un peu après 17 heures. Les magasins viennent de fermer et l'autobus est bondé. On se serait cru un matin de semaine sur la ligne orange. J'étais assise avec un collègue et derrière nous, il y avait deux adolescents que je n'avais pas remarqué au départ mais qui se chahutaient amicalement. Rien de bien grave ni même de dérangeant. Simplement le bruit normal de deux gars d'environ quatorze ans qui ont passé une partie de la journée au centre d'achats.

De notre côté, les discussions ne s'enchaînaient pas. Pas tellement parce que nous n'avions rien à dire, c'était plus le résultat d'une journée chargée qui nous amenait dans des silences perdus entre deux sujets. Ce qui fait que nous avons rapidement constaté le changement de ton dans nos dos. D'abord, il n'y avait plus qu'une seule voix, visiblement au téléphone.

La densité de la foule, la disposition des protagonistes de cette histoire, ajoutées au fait que notre propre conversation était intermittente il m'avait semblé être entrée dans un cocon d'intimité qui ne m'appartenait en rien. Je me sentais voyeuse, contre mon gré. Bon voyeuse auditive vous me direz, sauf que ça ne diminuait en rien mon impression d'être témoin de quelque chose qui était éminemment privé et que je n'aurais jamais songé à sortir de ma chambre à coucher, à cet âge-là.

La voix était douce et posée, malgré le fait que plus la conversation allait, plus la pointe d'exaspération pointait : « Tu m'appelles pour régler quoi? [silence] Attends-là! Je ne ne t'ai pas manipulée! C'est un bien gros mot ça! [silence]. Ben non voyons, ce n'était pas une excuse pour voir Igor. Igor je le vois tous les jours, ne n'ai pas besoin de me trouver d'excuse pour le voir... [très long silence] Laurence, Laurence, tu me dis que tu m'appelles pour régler ça, mais moi j'pense que tu m'appelles pour me dire comment tu as réglé cela dans ta tête et que j'aurais beau te dire n'importe quoi je vais avoir tord [silence tendu]. C'est ça raccroche, on se voit à l'école lundi... »

Tout un autobus témoin de ses déboires (amoureux ou non, je ne peux pas le savoir). Je me suis trouvée chanceuse d'avoir grandi à une autre époque. Une époque durant laquelle il me fallait être chez-moi, la plupart du temps toute seule dans ma chambre pour avoir ce genre de discussion épiques qui font mal et qui mous laissent en déséquilibre. Un temps où je pouvais cloisonner mon intimité, mes chicanes d'amies en étant à peu près certaine que si je fuguais quelques heures la situation stressante, elle ne me rattraperait pas avant que j'ai rejoins le havre de mon environnement le plus naturel.

On appelle ça des téléphones intelligents, la technologie, le progrès. Je pense moi qu'il s'agit en réalité de bien lourds tributs à payer dans notre insatiable quête de liberté.

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jeudi, février 04, 2016

Les corps dépendants

J'ai connu ma part de morts depuis que je chemine dans l'existence, ma part de suicides aussi. Au départ, ce n'était pour moi qu'un mot, un peu vide de sens, même lorsque ce dernier croisait ma route. Je me rappelle vaguement d'une jeune fille populaire pas tout à fait au centre de son petit univers adolescent, mais bien intégrée. Elle était vive et colorée, drôle aussi. À mes yeux, elle avait tout. Elle semblait se ficher comme d'une guigne des petits commentaires blessants sur ses rondeurs jusqu'à ce jour de la Rentrée où elle était réapparue aussi mince que possible. Elle n'a même pas terminé l'automne parmi nous. Elle a été hospitalisée et n'est jamais revenue. Elle s'était vidée de son essence à force de contrôle pour atteindre une image corporelle qui ne lui correspondait pas. Morte au bout de son corps.

Un jeune homme aussi, qui n'a pas traversé sa première peine d'amour. Peut-être était-ce trop d'émotions pour si peu d'expérience. J'avais été saisie par la nouvelle mais ça m'a pris des mois avant de comprendre réellement que je ne le croiserais plus jamais dans un remonte-pente sans qu'on ne s'échange un mot. Sa mort m'avait semblé absurde. Cependant je dois avouer qu'à cette époque, si j'avais été maintes fois amoureuse, mes histoires n'avais jamais encore vraiment débordées de mon imagination. Que savais-je alors de la douleur qui nous laisse à la remorque de nous-mêmes?

Il y a eu aussi des professeurs qui m'ont un jour enseigné et qui ont abrégé leurs jours. La sœur d'une amie, homonyme anonyme. Le frère d'un autre. Toutes ces douleurs qui se se sont échouées sur des plages aux arêtes acérées. Je ne connaissais pas les tenants et les aboutissants qui ont mené ces gens à mettre fin à leurs jours. Mais je ne comprenais pas le geste. Et pas toujours la peine, non plus.

Et puis, il y a eu ce cousin éloigné que j'admirais sans réserve. Je le trouvais merveilleux. Visiblement, il n'avait pas la même perception de lui lorsqu'il s'est laissé happer par les eaux tumultueuses du fleuve quelque part dans un hiver du passé. Je ne comprenais toujours pas le geste. Je m'en révoltais du haut de mes années indomptées. J'avais, par contre, mesuré la douleur de ceux qui restent, cette fois jusque dans mes chairs. Je lui avait promis de vivre jusqu'au bout, de ne jamais abandonner la vie de mes propres mains. J'étais jeune alors.

Bien des années plus tard, j'ai vu l’œil de la tempête. Je m'y suis mirée longuement. J'ai pleuré des larmes amères sur tout ce qui avait constitué ma vie, n'y voyant plus qu'une suite d'échecs. J'étais lourde et il me semblait que je pourrais m'enfoncer dans la terre meuble d'un cimetière pour enfin y trouver ma place. Par contre, poser un geste contre moi me semblait demander beaucoup trop d'énergie pour ce qui me restait. Je crois aussi que le fétu de la promesse faite à un homme mort, était encore la seule chose que j'étais capable de tenir.

J'ai survécu. Pas toujours facilement. J'ai pris conscience que la vie ne tient qu'à un fil et qu'on doit, quotidiennement, le relier à ce qui nous entoure pour que celui-ci tienne le coup. J'ai surtout appris que, pleurer n'est pas une tare et qu'il est préférable de vivre les émotions une à la fois plutôt que d'attendre qu'elles nous submergent jusqu'à ce que l'appel d'air devienne presque impossible à retrouver.

Et j'ai fini par admettre qu'on ne naît pas suicidaire, on le devient. À nos corps dépendants.

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