Il y a ce mec, que je
croise parfois au métro Papineau. Le genre de gars qui passe
totalement inaperçu d'ordinaire. Des vêtements ordinaires, une
grandeur ordinaire, une face ordinaire. Le type de personne qu'on ne
remarque jamais.
Pourtant, il est entré
dans mon champ de vision, s'est ancré dans ma mémoire assez
longuement pour que son camouflage se fissure. Je ne sais pas c'est
lié à quoi. Peut-être à mon âme de portraitiste qui cherche
toujours un sujet sur lequel écrire, qui sait?
Cette semaine, mes
horaires ont ressemblé à de la dent de scie. Pas un soir, je n'ai
franchi les portes à la même heure. Mais c'était toujours à des
moments de cohue intense, quand on a le sentiment que les wagons
vomissent leurs passagers d'un seul coup à un endroit bien précis
mais que si l'on regarde le train derrière soi, il semble aussi
plein que lorsqu'on y était.
On a toujours le
sentiment que les heures de pointe sont à des moments très précis
et que le reste du temps, les passagers vont et viennent dans les
wagons et que, règle générale, ils ne sont que peu nombreux à
descendre aux différentes stations. Pourtant je prends le métro
tous les jours, et à chaque fois que je descends au métro Papineau,
je me me rends bien compte que les escaliers mobiles sont plein à
craquer durant au moins deux longues minutes, à peu près à toutes
les fois que j'y passe.
On sait que le métro, en
général, est un endroit qui regorge de détrousseurs en tout genre.
Il y a ceux qui vous tendent la main de manière insistante, jour
après jour, ceux qui se promènent de wagon en wagon avec une
histoire abracadabrante pour expliquer le pourquoi du comment ils ont
besoin de votre aide financières, ceux qui vendent des objets
vraisemblablement issus d'un larcin, à des prix défiant toute
compétition et aussi ceux qui s'emparent subrepticement des biens
d'autrui à leur insu.
Ce mec que je décrivais
plus haut fait partie de la dernière catégorie. Je ne l'ai compris
que cette semaine parce qu'une femme hurlait à un itinérant, aussi
un habitué du coin, qu'il lui avait volé son portefeuille. J'ai
alors très clairement compris le stratagème. Le mec qui n'a l'air
de rien m'a frappé parce que ça faisait deux fois, la même
semaine, que je le voyais sur le quai de la gare à l'arrivée de mon
train et que plutôt que d'entrer dans celui-ci, il remontait avec la
foule des quidams jusqu'à la sortie, bien sagement jusqu'au premier
palier après quoi il enchaînait le second escalier en marche
rapide.
J'ai tenté d'intervenir
pour dire à la femme qui s'était fait volé son portefeuille
qu'elle se trompait de voleur. L'éclopé qu'elle mettait en
accusation n'avait rien à voir avec le forfait. Mais elle m'a
rabroué assez vertement pour que je décide qu'elle ne valait même
pas la peine que je tente de l'aider davantage. Elle n'avait aucune
raison de me crier après, je n'étais qu'une inconnue dans la foule,
mais une autre personne lui avait pointé le vieux monsieur, pas tout
à fait itinérant comme le coupable. Moi je soupçonne l'autre dame
d'être une complice du véritable voleur, sauf que je ne pourrais en
aucun cas le prouver.
La seule chose que j'ai
pu faire, ça été d'acheter une boisson gazeuse au pauvre (dans
tous les sens) homme qui s'était injustement fait pointer du doigt
devant une horde de curieux, parce que c'est ce dont il avait envie
pour se remettre de ses émotions.
Ça faisait longtemps que
je n'avais pas eu l'impression de dépenser un dollar de manière
aussi adéquate.
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