mercredi, novembre 30, 2016

Cette fleur-là

Je l'avais rencontrée à un fort mauvais moment dans sa vie. Elle frayait dangereusement avec le pays des zombies avec beaucoup d'aplomb, je dois le dire parce que, malgré mon œil aguerri pour déceler ce genre de chose, depuis mon propre passage dans cette contrée glauque, je n'avais pas identifié ce voyage quand pourtant, je la voyais y vagabonder hebdomadairement.

J'étais aveugle à une détresse pourtant visible, parce que je n'avais aucun ancrage auquel me raccrocher. Je trouvais, à l'époque, que c'était une jeune femme un peu négative et très compétitive. Pourtant, j'aimais bien travailler avec elle, parce qu'elle avait un réel souci du service à la clientèle et des présentations bien réalisées. Sa créativité, parfois, me laissait bouche bée. Elle réussissait à habiller un mur, monter une vitrine, dresser une table en y mettant de l'émotion. Je m'étais dit que l'art, se dissimule parfois à des endroits surprenants.

Elle s'était sortie de sa zone d'inconfort, par des moyens que j'ignore, et j'avais vu éclore une fleur. Lentement, comme si elle voulait attraper les rayons de soleil un par un. J'avais constaté, un réel changement, quand après un retour de vacances qu'elle avait passé à voyager, elle s'était montrée soudainement volubile, pas seulement sur ledit voyage, mais sur ses études, sa famille, ses amis, sa vie en somme.

Et puis, sa grande sœur avait eu un enfant. Alors elle s'était intéressée aux livres pour tout petits. Elle aimait montrer à qui voulait bien regarder en sa compagnie, les nouvelles trouvailles qu'elle pouvait faire. Malgré le fait que je ne me sois officiellement occupée du secteur jeunesse que pendant un an, j'ai toujours eu, et cultivé, un faible pour les albums jeunesse. Alors, je prenais plaisir à prendre connaissance de ses découvertes.

Quelques trois ans plus tard, je l'ai rejointe dans la ligue des tantines. Comme je travaillais en étroite collaboration avec elle, et que je savais qu'elle comprendrait ma fascination, presque abrutie, de mon propre neveu, nous avions beaucoup échangé sur la joie que nous apportait ce rôle. On s'extasiait souvent de concert sur des livres qui nous semblaient tout à fait indiqués pour l'un ou l'autre des enfançons qui nous préoccupaient. J'étais Tatie-Mathie et elle était Tata-Lalessa. On se comprenait.

Elle était partie voguer vers d'autres cieux professionnels, une semaine avant moi. J'avais alors eu l'impression que c'était, en quelque sorte, une boucle qui se complétait.

Ça fait au moins deux ans que j'ai envie de faire son portrait, mais quelque chose dans l'essence de son personnage m'échappait. Il m'aura fallut constater que les portraits se dressent sur la substantielle moelle de l'être à force de me heurter à des envies similaires avec une équipe que je ne connais pas encore suffisamment pour en tirer des traits juste assez grossis pour les rendre réels à mes lecteurs. En cherchant un angle pour une autre personne, j'ai revu jaillir la fleur d'un pavé trop usé pour sa jeune vingtaine, alors j'ai compris que je tenais enfin ce sujet.

Parce qu'une fleur faite assez forte pour pousser sur ce genre de terreau, on n'en croise pas tous les jours, il faut donc, à mon sens, les célébrer.

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dimanche, novembre 27, 2016

Une voix

C'est bien connu, je suis j'ai une addiction sévère à la première chaîne de Radio-Canada. Je me dis parfois que c'est parce que je suis célibataire et que cette radio parlée me tient lieu de compagnon de vie. La plupart du temps, je me dis que c'est parce que j'aime apprendre. Si l'université n'était pas aussi chère, je n'aurais jamais cessé de fréquenter ses bancs. Faute de mieux, je me rabats sur la culture et la connaissance qui sont à ma portée.

Bref, il m'arrive souvent d'être seule à la maison le samedi soir. Je pourrais me morfondre et me dire que c'est un signe que je n'ai pas de vie, mais non, j'écoute la radio. C'est ainsi que je j'ai commencé à écouter La route des 20. je n'en suis pas le public cible, j'ai laissé la vingtaine derrière moi depuis longtemps. Cependant, je suis curieuse de mon environnement, curieuse des gens avec lesquels je travaille, alors j'ai laissé mes oreilles traîner sur cette émission, au début pour avoir une une idée approximative d'une bonne partie des gens avec lesquels je travaille, par la suite simplement parce que le contenu m'intéresse.

Cette émission a une manière particulièrement champ gauche d'aborder les sujets. Récemment, ils ont traité de la voix des transsexuels qui passent d'hommes à femmes. Bizarrement, ça a résonné pour moi.

Je suis une femme, je l'ai toujours été dans mon corps et dans ma tête. Mais j'ai une voix grave. Certainement accentuée par la cigarette, sauf que je cet état de fait existait dans ma prime adolescence. La toute première fois que je me suis fait taquiner à ce sujet, c'était un de mes oncles qui m'avait dit, au téléphone que j'avais une voix de gars. Je pense que l'objectif recherché (et atteint) à ce moment précis était de me faire grimper dans les rideaux. N'empêche que...

Lorsque je travaillais au Carrefour Laval, il m'arrivait, au moins une fois par semaine, de me faire dire, au téléphone : « Bonjour monsieur... ». Je suppose que ça m'arrivera encore dans ma nouvelle vie, mais je n'ai pas encore répondu assez souvent au téléphone pour le savoir. Toujours est-il que que ça m'irrite à tous les coups. Il m'est même arrivé de d'annoncer que j'étais une femme et que mon correspondant continue à me donner du « monsieur », comme si mon affirmation n'avait aucune espèce d'importance. Je finissais, immanquablement dans le bureau de gestion à rigoler comme une bonne de l'incident, alimentée par mes collègues qui étaient devenues des amies et j'arrêtais d'y penser.

Mais en écoutant ce reportage radiophonique, bien entendu que je trouvais que ces femmes avaient des voix d'hommes, peut importe les accents toniques. Sauf que... Sauf que je me suis dit que ma perception de leur voix n'avait aucune espèce d'importance, s'ils m'annoncent qu'ils sont des femmes quelques que soient mes soupçons sur leur identité de genre à la naissance, il me semble que le B-A ba de la courtoisie serait de continuer la conversation en leur disant : « madame » c'est la base du respect.

Ce respect me semble une denrée rare de nos jours.

Et honnêtement, mes petites frustrations ne sont que grains de sable dans une mer beaucoup plus vaste.

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mercredi, novembre 23, 2016

Éduquer Tatie

Je ne sais pas pourquoi, ma maison est PLEINE de gens. Des gens que je connais et d'autres que je ne connais pas. Tout le monde me regarde et me parle. Il y a bien trop d'yeux pour moi.Maman et Papa sont occupés dans la cuisine et ne peuvent pas me prendre. Je suis un peu mêlé dans toutes les jambes qui se dressent devant moi. Vers qui je me tourne ? Je me trompe de paires de jambes une ou deux fois, et j'ai le droit à plein de câlins et de sourires, même si je n'atteins pas tout à fait la cible que je m'étais fixée. Ça aurait pu être pire. Mais je fini par me coller sur le cœur de Grand-mamie parce qu'elle est là et que je suis certain que je la connais, elle.

Il y a Papi, je le vois et je l'entends et des grands, moins grands que les autres grands. Eux, ils bougent encore plus vite que moi. Je pense que je les ai déjà vus, ça fait un peu longtemps. Mais je reste bien collé sur ma grand-mamie, il faut que je me fasse une tête sur la situation. Il y a aussi le monsieur qui a le même sourire que Papi et Papa. Ça a quelque chose de rassurant. J'observe, et je joue un peu avec Grand-mamie, sauf que je cesse tout quand une autre personne commence à jouer avec nous.

Il y a Tatie-Mathie, je le sais maintenant que c'est elle. Elle joue à tousser avec moi, même si elle oublie d'arrêter de tousser quand moi je cesse de le faire. Je sais que c'est elle, mais je ne ne suis pas rendu à être son ami, par exemple. Faudrait pas exagérer. On ne se connais pas encore, comme je connais Grand-mamie et Papi.

Depuis un petit moment, tout le monde s'est regroupé dans le salon. Et on me fait déchirer du papier. C'est super ça ! Dans le papier il y a des choses que j'aime. Des livres, un chien qui fait du bruit et une voiturette que je peux pousser tout seul. Je ne marche pas encore tout à fait, je réussi à tenir debout sans aide, mais la voiturette, c'est fantastique ! Je peux traverser toute la maison tout seul en la poussant. Je peux reculer, tourner, retraverser la maison, sans aide. Toute une liberté. Et je le fait dans tous les sens, avec un sourire plus que ravi sur sur le visage. Je suis tellement content que je laisse même échapper un pétale de rire. Je suis le moins grand de tous les grands, mais je suis assez grand pour marcher tout seul !

Après, on a mangé. Je n'ai pas aimé ce qu'on m'a servi. C'était tout mouillé. Maman et Papa devraient le savoir pourtant, je suis un petit garçon soigneux, je n'ai pas envie de manger ce qu'on me sert quand ça me colle les doigt, peu importe ce que ça goûte. Alors j'ai décidé de montrer des trucs à ma Tatie. Elle aime ça quand je lui montre des trucs. Je l'ai remarqué tout à l'heure parce qu'elle toussait comme moi. Même si elle oublie d'arrêter. Je lui montre à secouer la tête de droite à gauche vite, vite vite en disant « ahhhhhhhhhhh », en même temps. C'est drôle quand elle le fait, ses joues bougent et ça fait un visage bizarre. J'aime ça lui apprendre ce truc là, parce qu'elle recommence à chaque fois que je lui montre bien comment il faut faire. Mais des fois, elle tousse. Ce n'est pas tout à fait ce que je lui montre, mais je tousse un peu aussi pour qu'elle sache que je comprends qu'on travaille ensemble.

Un moment donné, tout le monde est parti. Il ne restait plus que Papa, Maman, Yatta (c'est le chat) et moi. J'ai bu mon lait, et je me suis endormi, dur, dur, dur. Et quand je me suis réveillé, toutes les belles choses qu'il y avait dans le papier que j'ai déchiré, étaient encore là. À commencer par la voiturette qui me permet de marcher.

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dimanche, novembre 20, 2016

La tête dans les nuages

À six heures d'un matin de novembre, le brouillard était si épais qu'on ne voyais pas à quatre pieds devant soi. Je me racontais des histoires comme je le fais souvent lorsque je marche dans les rues de la ville. Je savais bien que le jour allait finir par percer et que la nuit s'éclipserait doucement. Sauf que lorsque mes pieds foulaient le bitume inhabité, il me semblait avoir replongé dans des siècles passés à l'époque où les nuits charbonneuses des villes de la révolution industrielle. Je ne pouvais m'empêcher d'évoquer le quartier White Chapel de Londres à l'époque où sévissait Jack L'éventreur. Rien de bien rassurant.

Malgré le fait que j'avançais d'un bon pas, je prenais la peine de bien m'arrêter à chaque coin de rue pour écouter l'absence de circulation et ainsi m'assurer que je pouvais, en toute sécurité, les traverser, particulièrement aux endroits où il n'y avait pas de feux de circulation. Ça et là, je me laissais surprendre par un autre quidam, la tête bien enfoncée entre les épaules pour se préserver, comme moi, du froid humide qui se glissait dans toutes les pores de la peau. Si c'est majestueux, au cinéma, de voir un personnage sortir de la brume, dans les faits, surtout quand on est en train de se faire un synopsis d'épouvante, juste pour le plaisir, ça me faisait régulièrement sursauter.

D'habitude, j'ai toujours la radio comme compagne de marche, sauf que ce matin-là, j'avais choisi d'écouter attentivement les bruits qui m'entouraient parce que le brouillard a aussi l'effet d'étouffer les sons et que je ne me sentais pas autant en sécurité sur un itinéraire que je connais pourtant par cœur, pas tant à cause des rares passants que je croisais que par le manque de repères habituels.

À peu près à mi-chemin, je me suis tannée de me faire des histoires de peur, je n'avais pas très envie d'arriver au travail dans tous mes états simplement parce que mon imagination débordante était sur le bord de prendre le pas sur mes capacités à me raisonner. C'est ainsi que sautant d'une idée à l'autre, je me suis mise à rigoler toute seule en me souvenant à quel point j'avais vécu une déception immense, le jour où j'avais compris que le brouillard c'étaient en fait les nuages.

Comme l'atterrissage avait été ardu quand j'avais dû admettre qu'il était impossible de bâtir un château dans les nuages, que les géants ni habitaient pas et surtout qu'ils n'étaient pas de jolis coussins duveteux sur lesquels on pourrait aller se reposer, si par hasard on arrivait à les atteindre. Mes contes de fées tombaient en lambeaux, laissant mon imagination toujours fertile en faim de nouvelles contrées où se lover.

Tout cela pour dire que malgré le fait qu'aujourd'hui je comprenne le phénomène météorologique qui créée le brouillard, je demeure candide et je persiste à me créer du cinéma, ou de la littérature, c'est selon.

L'un dans l'autre, je dirais que je suis avide de toujours garder, un peu, la tête dans les nuages.

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jeudi, novembre 17, 2016

Crever le sol

Quand j'ai mis les pieds dans le local qui allait accueillir la succursale, il y a presque deux semaines, je ne pouvais pas croire que nous pourrions ouvrir sous peu. Au rez-de-chaussée, une montagne métallique se dressait en plein milieu du plancher à travers laquelle on distinguait, tant bien que mal l'utilité que pourrait avoir les différents morceaux, une fois assemblés. Sur une table pliante, des plans étaient étalés, pour nous permettre de mettre en place tout ce fatras.

À l'étage supérieur, des énormes boites se multipliaient, comme par elles-mêmes. Il était possible de deviner que le centre de la pièce était faite de bois franc et que le contour arborait un tapis. Mais c'était à peu près tout ce que l'on pouvait y deviner. La magnifique fenestration par ailleurs, laissait présager que la pièce deviendrait un jour superbe. Il me semblait, à ce moment précis qu'il faudrait qu'une armée y travaille jour et nuit pendant un mois pour qu'on puisse en voir le bout.

Dans les locaux dédiés à la réception de marchandise, j'avais failli me décourager, parce que l'espace immense était complètement encombré de boîtes et de bacs de toutes dimensions. Tout, ou presque était à démêler. Malgré la quantité conséquente de personnes qui s'affairaient à réceptionner, étiqueter et classer le matériel, il me paraissait invraisemblable que le magasin puisse avoir l'air d'un magasin, avant Noël.

À la fin de cette première journée, pourtant, les murs s'étaient ornés d'étagères et d'instruments divers, les planchers avaient repris un aspect de plancher, les montagnes de boîtes de la réception avaient un petit peu diminué, l'ouverture prochaine se frayait doucement un chemin.

D'un jour à l'autre, les sections prenaient forme, les employés venaient faire connaissance avec leur nouvel environnement de travail, une équipe commençait à s'ébaucher. Autant pour les employés que pour les gestionnaires. Il me semblait que si je passais un peu trop de temps à un étage celui que j'avais délaissé en profitait pour se faire une beauté.

On a fini par établir une stratégie de Mathilde. Ce qui nous fait bien rire parce que personne d'entre nous n'avait jamais vécu une semblable situation. C'est une manière comme une autre de débuter à tisser une relation de travail.

Et voilà que nous sommes prêts. Nous ouvrirons nos portes demain. Tout ne sera pas parfait, bien entendu. Mais nous seront-là.

C'est une belle et grande aventure qui se précise tranquillement, une aventure avec une clientèle qu'il nous tarde de rencontrer et plein de culture à partager.

En espérant vous y voir bientôt !

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dimanche, novembre 13, 2016

Soleil d'automne

Moi, j'aime ça aller chez Grand-mamie. Je connais toute sa maison par cœur. C'est bien parce que je je peux la parcourir dans tous les sens tout seul. Ce n'est pas comme chez-moi où il y a les escaliers interdits sans Papa ou Maman. Je n'ai pas tellement les interdits, ce n'est pas très drôle.

Alors, j'aime aller chez grand-mamie parce que je peux bouger bien à mon aise, mais pas seulement pour cela. Elle aussi je l'aime. C'est ma première personne préférée quand elle est-là. Par ce qu'il y a des jours où elle ne l'est pas. Maman et Papa eux, je les vois tous les jours, alors j'aime bien profiter de ma grand-mamie quand je suis avec elle. Elle me fait tellement rire. Elle fait la grosse bibite qui va manger Zazou et moi je ris, je ris, je ris et je me sauve en courant sur mes quatre pattes. Je suis ultra rapide, personne n'arrive à me rattraper!

Des fois, chez ma grand-mamie il y a un grand monsieur avec une voix grave, grave, grave. Il me parle un peu, mais ne joue pas avec moi. Alors je lui montre que je peux faire le lapin ou le poisson. Je lui montre aussi que je sais reconnaître le chien et le chat sur le frigidaire. Des fois, ça l'intéresse, mais des fois non. Ce n'est pas grave, je continue montrer à tous les adultes en présence que je le sais.

Des fois aussi, il y a une madame qui veut jouer avec moi et me prendre dans ses bras. Je ne suis pas trop certain de ce que je veux faire avec cela. Maman me dit : « c'est Tatie-Mathie, tu t'en souviens? » Ça me dit quelque chose, on dirait presque je sais c'est qui, mais ça m'échappe la seconde suivante. C'est drôle, c'est comme si je la connais et si je ne la connais pas en même temps. Quand elle rit par contre, là je me dis que je sais presque qui elle est. Je suis très, très bon pour faire rire et j'adore ça! Ce que j'aime beaucoup avec elle, c'est qu'elle a peur quand je fais le gros lion. Rouargghhh! Alors c'est elle qui se sauve en courant.

C'est mon truc, parce que quand Tatie-Mathie se sauve, je peux en profiter pour galoper jusqu'à la cuisine et aller retrouver Grand-mamie. C'est avec elle que je veux jouer. Mais quelquefois, je ne peux pas. Elle me dit : « je t'aime, t'aime, t'aime petit chat, mais tu ne peux pas rester avec moi, il y des choses dangereuses pour toi dans ma cuisine ». Alors j'accepte que Papa me prenne dans ses bras, à condition qu'il me fasse sauter en même temps.

Moi, j'aime ça aller chez ma Grand-mamie, d'abord parce que je l'aime elle, mais aussi parce qu'il y a des fois des personnes que je connais un peu à qui je peux montrer toutes les belles façons que j'ai apprises et qui ne pourront qu'en être émerveillées.

Après tout, j'ai un an et j'ai fait beaucoup d'apprentissages en très peu de temps. Faut bien qu'il y ait des gens pour le remarquer.

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jeudi, novembre 10, 2016

La harde

Métro Jean-Talon, peu après 15h30. Depuis presque deux semaines, j'observe, ou plutôt, je dois vivre avec le même manège. À mon arrivée à la station, les garçons ont passé les guérites et sont regroupés en horde désordonnée près de l'escalier qui mène au quai de la gare. De leur observatoire, ils peuvent voir arriver le train de l'autre côté de la station. Ils en laissent passer beaucoup avant de se décider à prendre possession de la voiture de tête. Ou d'essayer.

Le jeu, je crois, c'est de se donner le départ à la toute dernière minute pour dévaler les escaliers le plus rapidement possible et de se précipiter dans le wagon de tête juste avant que les portes ne se ferment et de rire à gorge déployée de ceux d'entre eux qui seraient restés sur le quai ; il y en a toujours un ou deux.

Ensuite l'objectif semble être de prendre le plus d'espace possible dans la voiture. Ils étendent leur nombre conséquent (j'en ai compté une quinzaine, l'autre jour) en groupuscules de deux ou trois individus et s'invectivent d'un bout à l'autre de cet espace confiné. Impossible pour les autres passager de tenter d'avoir un semblant de conversation tant les garçons prennent le plancher. Ils sont là pour être remarqués.

Alors, bien entendu, je les remarque. Ils sont probablement en deuxième ou troisième secondaire, selon moi, parce qu'ils affichent une certaine expérience de l'adolescence. Physiquement, ils sont aussi disparates que faire se peu autant dans les différences de tailles ou de pilosité débutante sur leurs visages et leurs voix voyagent des graves aux aigus sans qu'ils puissent y faire grand chose, me semble-t-il.

Dans leur milieu, ils doivent faire partie des leaders, ils se comportent comme une meute affamée de reconnaissance et d'exploits à l'aune desquels je suis bien heureuse de ne plus avoir envie de me mesurer. Ils font de l'esbroufe leur principal cheval de bataille, mesurent les longueur et la couleur de leurs plumages à force de cris et de remarques assassines. Tous leurs mouvements m'apparaissent faire partie d'une parade qu'ils s'adressent entre eux. Qui saura le mieux s'asseoir avec un air savamment relâché, qui chiquera sa gomme de façon ostentatoire, qui regardera l'écran de son téléphone le plus souvent en donnant l'impression qu'il y reçoit à tout coup une information capitale.

Ils sont jeunes, bruyants, mais je ne les trouve pas dérangeants. Je les regarde aller avec beaucoup d'attendrissement, cette volonté qu'ils mettent de l'avant à être une horde impressionnante tandis qu'ils me font davantage penser à une harde aux abois. Ils épient tout ce qui se meut autour d'eux, en faisant semblant de donner le change. Ils épient le monde dans lequel ils vont se faire une place en tentant bien fort de se faire croire qu'ils n'y accordent aucune espèce d'importance.

Ils sont magnifiques dans leurs gaucheries, beaux dans leur candeur.

Ils sont inspirants d'avenir.

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dimanche, novembre 06, 2016

Théorie des espaces

Des fois, je me demande comment faire pour me faire comprendre. Il me semble que j'ai essayé toutes les formes de langages à ma disposition, sans grands résultats. Je sais que tu aurais voulu que je sois pleine de confiance en moi à toutes les étapes de ma vie, que les critiques me coulent sur les épaules pendant que je les rejetterais du revers de la main. Le problème tu vois, c'est que la confiance en soi ça ne se pousse pas en travers de la gorge des gens à qui on voudrait la voir acquérir.

Je doute. De moi, de la place que je dois prendre, de cet espace précis qui pourrait m'être imparti à condition de bien vouloir le saisir. L'astuce, c'est que prendre sa place, c'est un fin jeu avec le reste de la société. À te regarder aller, il me semble parfois que tu as oublié ce léger détail, avec le temps. Comme rien de ce que tu ne dis ou fais ne pourrait avoir d'influence sur l'intégrité morale ou physique de qui que ce soit, par conséquent, j'ai l'impression que tu t'attends à ce que toutes tes connaissances fassent exactement de même pour se tailler une place au soleil.

Je travaille très fort pour désamorcer mes mécanismes de défense, surtout parce que j'ai enfin compris à quel point ils m'ont été nuisibles. N'empêche que mon inconscient, lui, ne suit pas toujours la parade. Mes songes se peuplent de situations stressantes qui me réveillent en sueurs à coups de gémissements angoissés. Je rêve essentiellement de rejet, quelles que soient les personnes en présence. Certains jours, c'est au travail, d'autres c'est en famille, d'autres ce sont mes cercles d'amis. Au bout du compte, c'est juste la même histoire de manque de confiance en moi qui se répète.

Au début de la période de rêves, je ne les racontais pas. Je n'avais aucune espèce d'envie de les analyser et d'en comprendre le sens profond. Ce n'étaient que des rêves, après tout. Puis, j'ai fini par saisir qu'ils revenaient toujours lorsque je me sentais envahie par une présence non sollicitée. Même discrète. À tous les coups, ça me remets en question de la tête aux pieds. À tous les coups, je me retrouve devant la même case départ, celle du jour où j'ai pris une décision fondamentale pour moi, qui, évidemment allait avoir des conséquence sur moult autres personnes, parce qu'il est infiniment rare qu'une décision que le prend sur le front social n'ai aucun impact sur le reste de nos réseaux.

Je travaille très fort pour débouter mes mécanismes, mais il y a certaines frontières que je refuse de lever. Ce sont celles de mon territoire intérieur ; la seule chose qui n'appartienne qu'à moi. Comme je te l'ai mentionné plus haut, la confiance ça se bâtit brique par brique sans oublier le mortier qui parfois prend du temps à se solidifier. Autrement l'édifice s'écroule au premier mouvement de sol.

Il ne faut pas m'en vouloir, ni t'en tenir rigueur ; simplement constater avec moi les espaces concomitants ne sont pas toujours concordants.

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jeudi, novembre 03, 2016

Appelez-moi Alfred

Depuis mon changement professionnel ; je me lève à l'heure des poules. Correction, je me lève bien avant l'heure des poules, en fait j'arrive au travail avant qu'elles n'aient eu l'idée saugrenue d'ouvrir l’œil. Monter un magasin, c'est une job physique et ça implique qu'il nous faut êtres présents quand les électriciens commencent, c'est-à-dire 6h30. Je suis gâtée, mon quart lui, ne débute qu'à 7 heures.

Peu à peu, je fais la connaissance avec l'équipe qui se joindra à nous. Contrairement à la réalité du Carrefour Laval, l'équipe est très mixte, à la fois dans la direction et sur le plancher. Je ne sais pas vraiment si c'est une conséquence du fait que nous soyons sur l'île de Montréal ou plutôt que nous soyons davantage orienté en musique sauf que la différence est bel et bien là, je ne peux pas le nier. Je me sens un peu comme à l'époque ou j'intégrais tranquillement une ligue d'improvisation à Sherbrooke parce que beaucoup de gars, ça veut forcément dire beaucoup de taquins et mettons que je commence à avoir un aperçu du champ lexical de leurs niaiseries.

Cependant, me voilà confronté à une situation que je n'ai jamais vécue en 43 ans d'existence, je ne suis pas la seule Mathilde de la boîte. Qui plus est, nous sommes trois. Ça me laisse perplexe. Depuis douze ans que je travail pour l'entreprise, jamais je n'ai eu à utiliser autre chose que mon prénom pour m'identifier sur les lieux de mon travail. Bien entendu, avec le temps, j'ai vu passé ce prénom dans d'autres succursales, mais nous étions assez peu nombreuses pour être uniques en un lieu.

Ma première idée a été de me résoudre à utiliser continuellement mon nom de famille. Mais bon, ça fait long de dire à tous les coups Mathilde Cazelais. Six syllabes bien découpées. Comme je suis généralement appelée un peu partout plus souvent qu'à mon tour et que généralement, il faut que je réagisse au quart de tour, j'entrevoie déjà plein de petits pépins dans le quotidien. En riant, ce matin, j''ai dit à mes collègues : « dans ce cas, appeler moi Alfred » puisque c'était déjà un surnom avec lequel je vivais au Carrefour. Mais un de mes collègues s'appelle Frédéric, alors lui se retourne à tous les « Fred » qui fusent. Ça ne m'avance pas tellement.

Bon. Je suis souvent Mathie, mais les deux autres aussi. Crotte de bique. Je suis quelquefois Wiki-Mathie, Tatie-Mathie ou Mathildette, mais je trouve que ça aurait un drôle d'effet dans l'intercom du magasin, surtout si c'est pour aller régler un cas avec un client difficile, mettons que ça pourrait avoir une incidence sur l'impression de professionnalisme que je pourrais dégager.

Bref, pour la première fois de ma vie, j'ai un problème de dénomination. On va finir par s'adapter et trouver des stratégies, c'est comme rien.

N'empêche que, ça me fait tout drôle de me retrouver dans cette situation. Comme si ça m'obligeait à me regarder sous un angle que je n'avais jusqu'alors pas imaginée.

Les apprentissages émanent parfois d'endroits où on les attend le moins.

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