samedi, décembre 31, 2005

Des hommes et moi

Il y a des mains qui traînent en toute innocence sur ma hanche et je constate que les frissons sont surprenants. Un commentaire salé qui s’échappe dans l’atmosphère intellectuelle d’une librairie, laissant monter les rougeurs sur mes joues tandis que m’efforce de garder une certaine contenance. Des yeux profonds qui m’annoncent qu’entre les autres et moi, il y a la différence qu’on recherche parfois ma présence. Pendant que je me dandine sur place sans trop savoir où me mettre. Et quand on me pose une question personnelle, je suis capable d’y lire tous les sous-entendus.

Il y a des arrêts à ma caisse précédés de salutations que je n’ai pas vues venir. Et on me regarde intensément pendant que de l’autre côté du comptoir on se paie ma gueule. Il y a des gens qui se penchent vers moi pour me laisser entendre, pas trop fort que j’ai une belle voix. Et moi je patine et j’affirme n’importe quoi pour ne pas donner l’air d’être désarçonnée, quand au fond je le suis totalement. Je sens les plaques fourmiller sous ma peau pendant que je tente, tant bien que mal de rester impassible et qu’on ajoute, l’air de me confier un grand secret : « As-tu déjà fais de la radio? Parce que tu as une très belle voix de radio. Quand je t’ai entendue faire le message hier, je me suis liquéfié sur place ».

Il y a des doigts qui accrochent mon poignet pour emprisonner mon regard dans un autre. Et me dire. Il y a des hommes qui laissent courir leur appréciation sur moi parce que j’ai la gueule que j’ai et le charme qui l’accompagne. Il y a des hommes à qui j’ai fait le coup de la femme requin et qui en redemandent pendant que je me sens coupable à souhait. Eux m’affirment en me mordant le cou que tout va bien et moi je reste coite, abasourdie par ces gestes que je ne comprends plus. Il y a des hommes que j’ai charmé sans le vouloir tout au long de l’année écoulée. J’ai cueilli chaque pétale des compliments qu’on m’offrait et je les placé bien au chaud sur mes manques de confiance.

Il y a des hommes qui me susurrent des mots doux au passage pendant que je me laisse porter par le vent.

jeudi, décembre 29, 2005

Comme si la vie était un tapis d'entrée

-Tu es déjà là, me dit-il
-Oui, mais pas pour longtemps.
-Ah, tu sors ce soir?
-Non, je fous le camp, je vais me terrer au Mexique... en attendant.
-En attendant quoi?
-Que la vie passe.
-Bien sûr.

J'avais déposé les sacs d'épicerie sur le tapis imbibé d'eau de l'entrée. Je ne bougeais pas. Je n'avais même pas songé à secouer la neige de sur mes épaules ou à essuyer mes bottes. Il était apparu à la porte du salon, l'air un peu surpris, empêtré dans un cahier du journal qu'il essayait de replier. Il esquissait maintenant ce sourire, à demi-moqueur à demi-complice, que j'aimais tant, comme tous ces petits détails qui nous réconfortent parce qu'ils nous font penser qu'on connaît bien une personne. Moi, je ne trouvais rien de drôle. J'étais très sérieuse.

-Que l'hiver passe, tu veux dire.

L'eau dégouttait de mes cheveux et ruisselait sur mes joues. Il me trouvait jolie, je crois. Ridicule et mignonne.

-Non, la vie. Ma vie. Elle finira bien par passer, non?
-J'espère que non.

Il avait toujours ce même sourire tendre et généreux. Il était imperturbable. Je sentais une chaleur naître dans le bas de mon ventre, le désir affleurer par petits frissons sur l'intérieur de ma cuisse. Il jouait le jeu. Appuyé sur le mur du couloir, il ne bronchait pas.

-Est-ce qu'il faut que je te retienne?

En disant cela, il avait abaissé le sourcil gauche et relevé le coin de ses lèvres, ce qui lui creusait une fossette tout à fait délicieuse.

-Pourquoi faut-il toujours que tu parles de partir, Isa?

Ces paroles étaient douces, affectueuses. Ça ne pouvait que me rendre plus cynique.

-Ce n'est pas de partir dont je parle, mais de laisser la vie s'échapper...
-De destruction...
-De fuite du temps...
-Viens, conclut-il.
-Non.

Il baissa les yeux, mais sans cesser de sourire. J'essayais d'imaginer que c'était des larmes qui couvraient mon visage. Il y avait si longtemps que je n'avais pas pleuré. Ç'aurait été une belle occasion.

-Et si c'était le moment? demandai-je.

Et je ne parlais pas de pleurs. Ni de faire l'amour. Ni d'enfants. Il le savait. Moi, j'étais certaine qu'il ne tenterait rien pour m'empêcher de faire quoi que ce soit. C'était l'entente. Nous allions la respecter tous les deux.

J'aurais pu boucler mes valises ce soir-là. Je ne l'aurais jamais revu. Je suis restée. Il dort à côté de moi en ce moment, à ma gauche, comme chaque nuit depuis dix ans. Mais ça ne signifie rien. Il pourrait disparaître à l'aube, je pourrais aller faire des courses demain et ne pas revenir, ça ne voudrait rien dire non plus. Simon est un homme tel que je voudrais quitter. Et je pense vraiment que je le ferais. C'est possible. Je sais aussi qu'il est capable d'en faire autant. Entre nous, c'est comme ça. Nous nous aimons.

mardi, décembre 27, 2005

Ma poule

Il y a des filles qui perdent leur accent en arrivant à Montréal. Pas tellement par souci de se fondre dans la foule, mais parce qu’elles ont assez d’oreille pour faire du mimétisme involontaire. Il y a des filles qui vivent dans un monde parallèle où les êtres pensants sont des hybrides entre des animaux et des hommes. Il y a des filles qui restent sereines dans les pires rushs et vous regardent en riant à cause de toutes les histoires qui leur traînent dans la tête.

Il y a des filles qui rient de tout et ont toujours le mot juste pour la blague de fin de ligne. Elle vous font des « Oh! Oh! » et vous avez l’impression de voir apparaître sous vos yeux les « ô_ô » dont elles ponctuent leurs conversations msn. Il y a des filles qu’on a envie d’appeler « ma poule » parce qu’elles veulent continuellement manger du St-Hubert à un point tel que vous commencez à avoir peur qu’elles ne se transforment en poulet. Il y a des filles qui prennent la vie avec cette légèreté qui fait en sorte qu’on se croit toujours le droit de tout leur confier, comme si leurs valises émotionnelles pouvaient contenir tous nos maux, sans qu’il y ait de conséquences pour elles.

Il y a des filles qui viennent vous prendre la main en douceur le jour où vous arrivez au travail les yeux en mousson, sans vous poser de question. Et vous vous retrouvez à faire débouler dans leurs oreilles attentives tout ce qui vous tarabiscote les émotions. Elles vous désamorcent une peine en vous dessinant à gros traits l’exactement du sentiment que vous ressentez et vous savez que c’est parce qu’elles compatissent avec vous. Et vous sentez qu’elles vous ont compris. Il y a des filles qui vous partagent leurs amis sans trop se poser de question parce qu’elles sont généreuses comme cela. Quelquefois, elles se retrouvent prises entre l’arbre et l’écorce des attirances qui s’agitent dans ces présentations.

Je connais une de ces filles. Elle me regarde d’un air ébahi pour me raconter les derniers commentaires imbéciles d’un client importun. Moi je ris de voir les points d’interrogations qui s’allument dans son regard et je suis certaine qu’elle m’aurait écrit « ?_? » dans une discussion informatisée. Avec elle tout est dans l’image aussi précise que possible. Avec elle, il y a un éclat de rire à tous les détours de la conversation. Surtout qu’elle a cette folie interne, cultivée avec soins.

Avec elle, je me sens dans la sincérité du moment.

dimanche, décembre 25, 2005

La majuscule

Ce qu’il y a d’intéressant dans le poste de caissière à dans une librairie achalandée du Plateau Mont-Royal, c’est qu’on voit passer toute sorte de gens. Moi qui suis une groupie dans l’âme, j’aime beaucoup regarder passer les personnalités publiques. Et je les juge à leur manière d’interagir avec les employés. Certaines m’enchantent, d’autres m’horripilent. Dans le temps des fêtes, on s’amuse bien entre caissière à se lancer des coups d’œil sur l’une et l’autre. Ensuite, on se raconte en long et en large comment Il ou Elle était. Moi, j’ai l’œil, je les reconnais presque toujours. Généralement, je connais leur nom et ce qu’ils ont fait. La plupart du temps, je fais celle qui ne sait pas, pour leur laisser un peu d’intimité dans ses lignes bondées de gens qui leur demandent des autographes alors qu’ils ont les mains pleines. Il arrive que je déroge à ma règle.

Quand un caissier me fait la gueule et étend son air sur toute la clientèle par exemple. Je sais bien que je suis méchante pendant la semaine avant Noël parce que j’interdit aux gens de mettre un banc derrière la caisse, que je décide de quand les gens mangent et prennent des pauses et surtout que je chicane quand les pauses se sont étirées. Je veux bien croire que les gens soient en colère contre moi, c’est normal, j’assume avec délices le rôle ingrat de faire la police derrière l’équipe. J’ai le tempérament qu’il faut pour cela, et j’adore être celle qui dirige. Vraiment. Un grand plaisir dans une semaine de rush. Mais que ça ne rejaillisse pas sur la clientèle s.v.p. Dans ce cas, je me fais un devoir d’être plus fine que fine avec les gens devant nous. Je sors le grand jeu du charme et ça fonctionne assez bien.

Quelquefois, les gens que j’admire ne sont que peu connus. Quelquefois aussi ils sont surtout des gens de radio. Maintenant que vous connaissez ma fascination pour les voix, vous comprendrez que ce genre de truc m’arrive. L’an dernier, en novembre, j’ai passé un commentaire à l’un d’entre eux. Il m’avait fait rire la semaine d’avant dans le cadre d’une chronique. Il m’a renvoyé un air totalement estomaqué avant de me demander si j’avais reconnu sa voix. Moi de rire et de lui expliquer que non, qu’en fait c’était sa face parce que je l’avais vue à la télé. On a discuté de la chronique en riant beaucoup. On avait un problème avec sa facturation et il a dû traîner à ma caisse un bon 10 minutes. Le temps a passé, il a dû déménager parce qu’il a cessé de venir à la librairie. Ou alors mon horaire a trop changé et je ne suis plus jamais là quand il passe.

Toujours est-il qu’hier, pendant que je faisais le grand jeu à cause qu’un caissier me boudait, il est passé. Il s’est arrêté devant moi pour me demander où nous cachions les cahiers Moleskine. Ses yeux bleus me scrutaient avec attention pour savoir si je le reconnaissais et surtout si je me rappelais. J’ai fait mon plus charmant demi-sourire avant de lui donner l’indication réclamée. Sans ajouter quoique ce soit. Il a payé à la caisse derrière moi. Quelques minutes plus tard, il se penchait au dessus de mon comptoir pour me dire : « Joyeux Noël, Mademoiselle ».

Je suis certaine qu’il y avait une majuscule à son «Mademoiselle».

vendredi, décembre 23, 2005

L'improbable caissière, seconde version

Dans la couverture du livre, on pouvait à peine déchiffrer les caractères compacts. À force de lectures et d’yeux qui s’y étaient mis, on a fini par comprendre qu’il était inscrit quelque chose du genre : pour la beauté des rencontres des derniers mois. Elle s’est tournée vers moi, abassourdie pour me dire : « Le monsieur, je ne le reconnaîtrais même pas ; ça me fait peur ». Pas peur de sa mémoire toute personnelle. Non, peur du fantasme qu’elle savait avoir fait jaillir dans cet esprit impromptu.

Il y a des filles comme cela : au premier regard, on croit qu’elles sont pour nous. Au premier sourire on se sent compris, au rire qui suit, on se sent beau. Mais ce n’est que de la foutaise puisque chacun de ces gestes ne sont posés que dans un souci tout professionnel d’effectuer ses tâches. Il y a des filles qui nous regardent par-dessus un comptoir et on a cette impression que la mer nous sépare d’elles en même temps que des ponts se tissent entre elles et nous. Quelquefois, on connaît leur prénom parce qu’il est affiché en lettres visible sur le pan d’une chemise. Mais la plupart du temps, on ne sait d’elles que leur voix et leurs yeux. Alors on s’invente des chimères.

Celle dont je parle plus haut est une de ces improbables caissières qui vous regardent dans le blanc de la rétine à toutes les fois ou vous passez la voir. Si vous habitez dans le quartier, vous la voyez quatre jours semaines. À chaque moment, elle vous fera un sourire à décrocher la Lune et vous aurez l’impression d’entrer dans son intimité, d’entrer dans ses amours. Pour cette raison, depuis quelques jours, elle se retrouve enfouie sous une masse de cadeaux tous plus imprévus les uns que les autres et me demande pourquoi les gens lui font ce coup-là.

Alors je lui réponds qu’elle est jolie, sympathique et intelligente et que ça lui procure un charme certain. Elle hausse les épaules pour me répondre que ce n’est que de la foutaise ce que j’avance, mais nous riions sous cape ensemble parce que nous savons à quel point je suis dans le vrai. Et elle me raconte pourquoi tout cela est impossible pendant que je ris dans ma barbe imaginaire. De tout manière elle n’y croit pas réellement. Elle m’a dit qu’on lui disait souvent qu’elle était belle mais que son subconscient ne le savait pas.

C’est ce jour-là que j’ai compris pourquoi elle me touchait à ce point : elle est l’âme de Roger que je ne croyais jamais rencontrer.

lundi, décembre 19, 2005

Ses voyelles

C’était un garçon bien ordinaire. Un peu grand, un peu mince, un peu brun, un peu sage et un peu extrême. C’était un garçon aimable qui se faisait remarquer dans les soirées mondaines parce qu’il faisait de l’esprit et savait flatter la vedette du jour avec la juste retenue qui impliquait qu’on le croyait sur parole, immédiatement. Il était un peu étrange aussi. Quoiqu’en réalité c’était sa collection qui était étrange : il collectionnait les voyelles.

La première fois, il n’avait pas fait exprès. La plupart des collections débutent un peu par inadvertance de toute manière, c’est bien connu. C’était une A. Il l’avait tout de suite su. Une A toute en amitié et en joie de vivre. Une A pour traverser l’Atlantique et partir découvrir des racines qu’on ne sait plus avoir plantées. Elle était son îlot d’accent connu dans un territoire étranger. Ils se reconnaissaient aux regards et aux gestes. À ces interdits aussi qui meublaient les silences de leurs tentions perceptibles. Ils en souriaient en chœur et les évitaient sereinement. Ils se racontaient les voyages, les villes et les villages, ils se racontaient les voyages en se tenant la main. Autour d’eux, on ne comprenait rien.

La seconde était une E. Une éternelle passionnée. Cette flamme qui brûle et ronge le corps en léchant avec attention chaque parcelle de peau disponible. Avec E il pouvait s’asseoir sur le toit du monde et braver les pires vertiges. Surtout ceux du cœur. Et il plongeait, tête baissée, prêt à tout pour la décharge d’adrénaline. Prêt à vendre son âme au Diable, si celui-ci existe vraiment, pour saisir, une fois de plus, l’éclat d’éternité qu’il voyait surgir à chaque fois qu’E l’embrassait. Alors il se vrillait sur lui-même, s’emportait dans le vent de la passion dévorante qui l’érodait et souriait aux anges en murmurant pour lui-même « ça y est, je suis vivant ».

La troisième était une I. Totalement intellectuelle. Un hymne cérébral, consécration de l’intelligence. Elle amenait dans son parcours, ces discussions à bâtons rompus qui laissent épuisé comme une course de fond. Elle était celle avec qui il discutait des points de détail de tous les mots que l’on peut rencontrer dans une phrase. Ils mettaient dans la balance les concepts et les expressions et regardaient le tangage des plateaux jusqu’à ce qu’ils atteignent le point d’équilibre et recommençaient avec les prochains accrocs de vocabulaire. De temps à autre, ils se parlaient des fleurs qui poussent entre les lignes de la séduction pendant que les auditeurs attentifs avaient l’impression de suivre une partie d’échec particulièrement serrée durant laquelle un des adversaires s’essayait aux manœuvres de diversion les plus perverses. Mais eux savaient qu’il n’en était rien.

La quatrième, une O évidemment, était l’œil qui regardait sa vie. Attentivement. Quelquefois, il se disait qu’il devrait la repousser, mais finissait par lui tendre une perche de plus pour qu’elle rapproche son poste d’observation. Elle lisait les lignes dans sa main et ses mots avec la même impassibilité. Parfois, elle lui piquait des colères pour le ramener sur Terre parce qu’il aimait bien descendre entre les mondes. Elle écoutait ses silences en lui faisant le coup de la logorrhée verbale. Il s’étonnait de se rendre compte, qu’avec elle, il se laissait aller aux confidences, autrement prises dans son gosier, sans trop s’en apercevoir. Avec le temps elle était devenue celle à qui il disait tout.

C’était un garçon ordinaire qui possédait une collection de voyelles. Elles étaient ses voix, mais surtout, le voyaient-elles.

dimanche, décembre 18, 2005

J'ai tué mon idole

La semaine dernière, quelqu’un est abouti sur mon blogue en tapant : francois parenteau mort. Comme ça, sans majuscule et sans cédille. Je n’ai pas pu m’empêcher de rire en voyant cela. Et je suis allée faire mes tests dans les moteurs de recherche pour me rendre compte qu’avec cette question, dans msn et dans yahoo, si on ne met pas de guillemets, mon blogue est la première incidence de recherche. Oups. Je ne voulais pas tuer Monsieur P. Tout mon entourage sait à quel point j’admire ce mec et depuis combien de temps. Cette voix qui m’enchante les oreilles, ces propos qui me touchent. Ah non, je ne veux pas le tuer, j’ai beaucoup trop besoin de ma dose régulière de son lui-même pour cela.

Pour l’amuser, je lui ai écrit qu’on atterrissait sur mes chemins en demandant sa mort. Mais ma blague était mauvaise semble-t-il. Ou plutôt, elle était un oiseau de mauvais augure. Je la lui ai envoyé le 13 décembre et le 16 il se faisait congédier par la direction de Radio-Canada. Il a déjà livré sa dernière chronique. Et moi je reste pantoise devant cette nouvelle pour le moins décoiffante. La raison qu’on lui a donné était que ses billets d’humeur avaient un caractère très éditorialiste et que cela ne cadrait pas avec la radio d’État. Deh! comme diraient les ado, ça leur aura pris neuf ans pour allumer? Et comme Monsieur P lui-même me l’a fait remarqué, ça tombe étrangement en pleine campagne électorale. Hep, on ne refera pas les politiques, les personnes politiques, je veux dire.

Il m’a dit qu’il attendait les réactions du public avant de se positionner. Je sais que ma réaction compte cette fois, après tout je me défini comme groupie dudit Monsieur P. De plus, que beaucoup de mon fanatisme sympathique à son endroit vient du fait que je l’entendais (Dieu que c’est difficile d’écrire ce verbe au passé) hebdomadairement depuis longtemps. Je n’ai pas manqué beaucoup de capsules de François au cours des 6 dernières années. J’ai commencé cela quand j’étais encore avec un amoureux jaloux. Et j’écoutais la radio des étoiles dans les yeux. À chaque fois que j’allais voir ma mère à Montréal, cet homme me disait : « Si tu vois ton François tu vas lui dire que tu l’écoutes en regardant la radio? » Je n’ai jamais eu l’occasion de le faire à l’époque, mais je me suis rattrapée plus tard. Tellement bien que ledit François prend la peine de m’écrire qu’il est poussé en dehors de l’émission du samedi matin.

Directement, pour moi, ça signifie que je ne mettrai plus mon cadran à 10h30 le samedi pour être certaine d’écouter Monsieur P et que je vais sans doute manquer tout le reste de l’émission. Ça veut aussi dire que je vais montrer publiquement mon désaccord (en commençant par ici). Je vais même aller plus loin et vous suggérer de suivre les Zapartistes qui donnent une série de spectacles de fin d’année au Spectrum avec invités spéciaux. Allez-y, ça vaut la peine.

L’humour politique a sa place partout, c’est un outil qui nous permet de mettre les points de vue en perspective et la radio d’État devrait vouloir contribuer à la diffusion des perspectives les plus multiples possible plutôt que de se cantonner le politiquement correct.

La langue de bois, c’est vide de sens et on fini par s’en lasser.

vendredi, décembre 16, 2005

L'écharpe blanche

La cité s’était endormie sous quelques flocons tremblotants qui comprimaient les cieux. Les enfants sentant l’effervescence à venir s’étaient agités toute la journée. Autour d’une table, des filles avaient trop inhalé de nicotine en épongeant l’alcool. Les rires fusaient de partout attirant les hommes qui cherchaient leurs regards tandis qu’elles balayaient ces intérêts d’un mouvement de dédain nettement perceptible. L’une d’elles était sur une lune, en orbite autour de la table pendant que les autres riaient sous cape en la pointant du doigt. Elles étaient le centre d’attention de la foule, de la meute en quête d’aventure de fin de soirée, de ceux qui voulaient se lover au cœur de l’écrin de neige qui engloutissait la ville.

Dehors, les sons étaient calfeutrés par l’épaisseur du tapis blanc. Sur le pas des portes, des confidences s’échangeaient en catimini tandis que des oiselets s’envolaient sur des promesses de plaisirs charnels. Ailleurs des vipères s’éparpillaient dans des oreilles naïves pour semer le doute, la confusion, afin de poser les pierres d’une stratégie de séduction vouée à l’échec. Sur le sol, le vent balayait les traces de pas, taisant les indices des présences qui l’auraient foulé, cachant tous les adultères pendant que la nuit couvait de son aile les écarts possibles et que des hommes poursuivaient des chimères de leurs ardeurs, par tous les moyens imaginés.

Un jeune damoiseau s’est penché sur une donzelle pour lui dire que ses prunelles le retenaient prisonnier des nuages ambiants. Elle a haussé les épaule en lui demandant : « As-tu mon feu? » Il s’est mit à balbutier des mots inintelligibles qui se voulaient des compliments alors qu’elle était indifférente à ses démonstrations. Pour attirer son attention il lui a demandé si elle était danseuse, pour le bar ajouta-t-il après un silence. Sur la bouche de la donzelle s’est étiré un sourire en coin tandis que ses yeux surplombaient ses lunettes. Elle n’a rien dit. Le laissant s’emmêler dans ses questions improbables. L’écharpe de l’hiver a camouflé son sillage et il est resté derrière, debout dans le froid.

C’était l’hiver, dans l’escalier d’une habitation nordique, une jeune fille quittait un baiser interdit, radieuse.

jeudi, décembre 15, 2005

L'âme soeur

Il y a des jours où je me demande qui je serais devenu si je ne l’avais pas rencontrée. Elle promène son arrogance en étendard pour camoufler les plaies qui la meurtrissent. Dans le fond de son œil, il y a toujours un mystère à résoudre et je sais que personne n’y arrivera jamais. Elle me lorgne avec amusement par-dessus son verre tandis que je rougis encore de m’être fait prendre à penser trop fort. Parce qu’elle a ce talent-là. Elle se retrouve dans ma tête constamment. Nous avons beau êtres séparés par une marée humaine qu’elle me fait des apparitions spontanées à l’intérieur de mes pensées.

Au début, j’essayais de la tasser de là. Mais j’ai appris avec le temps que ça ne me donnait rien. Je sais d’ailleurs qu’elle ne fait que moyennement exprès. Quelquefois, nous ne sommes même pas dans le même endroit quand j’entends sa voix dans les replis de mon cerveau. Elle me tance allègrement quand mes idées sont trop noires. Elle se moque et m’observe me débattre avec mon entourage. Il y a des jours lors desquels c’est à mon tour de l’envahir. Elle ne se rebiffe pas. Elle me laisse aller et découvrir toutes ses pensées les plus intimes. Je sais le visage de tous les hommes qu’elle trouve beaux. Je sais l’intensité des sentiments qu’elle éprouve pour quiconque s’approche d’elle. À chaque fois que je fais une incursion dans sa caboche, elle me tend la main comme si c’était la chose la plus normale du monde. Je me repais de curiosité. Par contre je ne peux m’empêcher d’avoir ce haut-le-cœur lorsqu’elle se pointe en moi.

Il faut comprendre que j’ai toujours été un homme solitaire. Je ne me suis jamais confié. J’ai toujours eu peur de me livrer à quelqu’un au point de me dévoiler : une espèce de peur de me voir morcelé par une personne qui effriterait mes secrets. Cependant, avec elle c’est différent. Comme si elle utilisait un droit acquis. Acquis où? Comment? Je ne saurais le dire. Seulement c’est là. Plutôt que de me menacer, c’est un réconfort. Pris dans le tourbillon de la solitude que j’avais soigneusement étalée autour de moi, je croyais que c’était le meilleur moyen de me protéger et de rester en unicité avec moi-même. J’en avais fini par être très rétif et un peu sauvage. Je quittais les femmes en leur taisant tout puisque je ne savais pas moi-même pourquoi je partais.

Le jour de notre rencontre elle m’a dit : « Je t’averti, je ne te laisserai jamais me faire cela ». Moi je la regardais, abasourdi, sans comprendre à quoi elle faisait référence. Elle a sourit et a ajouté : « Je ne te laisserai jamais partir sans que tu me parles ». Et c’est à ce moment que j’ai réalisé que nous ne parlions pas. C’était dans ma tête et dans ses yeux. Je savais que je n’avais pas besoin de me pincer pour m’assurer que je ne rêvais pas. J’ai abdiqué. Aujourd’hui, je sais très bien que je suis beaucoup mieux avec celle qui s’est fabriqué un domicile dans ma tête que tout seul.

C’est toujours pratique une opinion féminine quand on veut aborder une fille.

mercredi, décembre 14, 2005

Catharina

Texte écrit pour le Coïtus impromptus. Évidemment, tout n'es pas vrai de vrai là-dedans. Je ne voudrais pas me faire traiter de menteuse.


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C’était une soirée de Saint-Valentin capitonnée de blanc. Mon valentin avait 4 mois et s’appelait Frédéric. Nous avions passé plusieurs heures à traverser l’appartement pendant que je murmurais des berceuses en collant ma bouche sur sa petite tête parfumée. Quand il a finit par s’endormir je l’ai gardé contre moi, dans le salon, le plus longtemps possible pour profiter de son odeur sucrée et de sa chaleur humaine. J’étais-là à me dire que ce petit paquet d’amour me remplissait le cœur quand j’ai vu ton visage à la télévision. La dernière fois que nous nous étions croisés, tu étais distant et froid. J’étais terriblement déçue. Jamais dans le passé tu ne m’avais fait cela. On était copains depuis si longtemps. Tu avais été le premier homme à me traiter en adulte au début de mon adolescence. Je t’aimais tellement.

Et là, tu crevais l’écran avec cette personnalité si touchante qui me plaisait depuis ma plus tendre enfance. T’avais ce sourire qui décape, celui qui laissait voir tes fossettes. T’avais cette présence sur scène qui me coupait en deux à toutes les fois. C’était toi. Le vrai toi de mes souvenirs plutôt que ce fantomatique personnage accroché à son téléphone que j’avais vaguement croisé quelques mois auparavant. Tu étais à nouveau ce drôle de bonhomme plein de vie et de charme. Et moi je te regardais, complètement captivée, assise sur le bout de mon divan, excitée à souhait, à un point tel que j’ai failli oublier le petit homme qui reposait dans mes bras. Je suis allée le déposer dans son lit et je me suis mise à t’écrire. Des pages et des pages d’encre verte sur du papier ligné. Je t’ai expliqué la vie au complet. Tout ce que tu représentais pour moi. Quand les parents de mon valentin sont arrivés, j’ai fourré mes papiers dans mon sac et la lettre est restée morte.

En mars cette année-là tu es parti tout seul noyer ta peine. Je n’ai appris qu’à la mi-avril que tu avais disparu. On t’a retrouvé quelques jours avant mon anniversaire et ma mère a hésité longtemps à me dire que tu t’étais défiguré dans l’eau du fleuve. Je crois que je l’ai su quand on m’a dit que tu avais disparu. Mais je ne voulais pas. J’ai été à ton service. J’ai écrit des lettres à ton frère pour m’expliquer ce choix de la mort. J’ai écouté Dead poet society en boucle pour m’approcher de ton état d’esprit final sans arriver à le toucher. J’ai écrit des kilomètres de lettres à ton attention que tu ne liras jamais et j’ai passé des heures devant Musique Plus à espérer que le vidéo passe. Ce qui ne fut jamais le cas.

Il y a quelques temps, j’ai croisé par hasard le chanteur que tu accompagnais à ce moment-là. Je lui ai parlé de toi et il se souvenait aussi de l’homme extraordinaire que tu avais été. On s’est échangé des souvenirs je lui ai parlé du vidéo. Il m’a promis une cassette.

Quand l’enveloppe est arrivée, les caractères étaient écrits en lettres majuscules.

mardi, décembre 13, 2005

Attiser la solitude

J’étais à me demander pourquoi mon célibat durait depuis si longtemps quand les événements me sont mis à me tomber sur la tête comme les sept plaies d’Égypte. En moins de temps qu’il ne le faut pour le dire, je me suis retrouvée au cœur d’un tourbillon d’attention plus fort que ce que j’aurais jamais pu imaginer. Je m’asseyais enguenillée dans ce boui-boui que je connais trop bien et l’on m’adressait à la fois la parole et le sourire. Évidemment que je ne voyais rien. Trop d’innocence et cette habitude tenace de ne pas être au centre de l’attention gonflaient ma modestie naturelle. Je me suis d’ailleurs assez rapidement aperçue que la majorité de ces hommes qui me lorgnaient, de manière évidente dans les derniers temps, étaient accotés depuis longtemps.

Ma saison de chasse s’était terminée sur une note mi-amère puisque j’avais vu ma dernière proie lécher ses plaies sanguinolentes avant de s’enfoncer toute seule dans les bois. Tandis que je regardais mes armes refroidir, que je me rendais compte que je ne m’amusais plus à la torture et que je prenais la décision que dorénavant je ne retournerais plus au bois que pour me nourrir. Je venais de réaliser que, quel que soit mon talent à la chasse, l’impact de mon activité pouvait se faire sentir longtemps plus tard : les bêtes éclopées de ma forêt s’additionnaient de manière alarmante. J’ai rangé mon fourbi et me suis mise à l’observation de la faune. Sans attente. Non seulement est-ce que je n’attendais plus de rencontrer l’Ecce Homo, mais les amitiés qui alimentaient mon quotidien me suffisaient-elles désormais. Côté boulot, j’avais pris sur moi de faire de mon mieux et de laisser aller le reste.

Par un curieux hasard, le regard des hommes séduisants, des amis et des employeurs se sont mis à se confondre, c’est ainsi que je me suis mise à faire du 09h00 à 01h00 par jour de travail quasi continu. Contrairement à ce que j’aurais pu croire au lieu d’être épuisée j’étais totalement énergisée. Je tranchais dans le vif des sujets qui m’étaient présentés. On me disait des incertitudes pendant que je prenais des décisions à la place de ceux qui hésitaient. J’étais devenue un bloc de béton, décisionnel. Moi qui avais passé mon existence à marcher sur des œufs pour ne blesser personne, je me voyais agir de manière à ce que je sois celle qui choisisse ses amitiés. Je crachais mon impatience à la tête de ceux qui le méritaient et m’en allais sans me poser de question.

Un après-midi d’un de ces jours trop longs, on m’a arrêtée dans un escalier plus grand que nature pour m’offrir une sortie culturelle qui me donnait l’eau à la bouche rien que d’y penser. J’ai dû refuser. C’était la première fois qu’un homme m’invitait à passer une soirée avec lui, pour un vrai rendez-vous, depuis plus de 6 ans.

Comme quoi la popularité attise la solitude.

vendredi, décembre 09, 2005

Le genre de fille

T’étais assise entre deux bancs à réfléchir à une histoire de particules qui s’évaderaient dans l’air et de cire emprisonnant les sensations quand t’as croisé un regard qui t’était vaguement connu. Il s’est penché vers toi pour te dire d’une voix rauque : « Alors ça va? » Toi, tu te demandais encore c’était qui et tu lui as demandé s’il arrivait ou s’il partait. Il t’a ri un « j’arrive » au creux de l’oreille et tu t’es souvenue de lui. Il t’en a souhaité une bonne en glissant sa main sur tes reins et ta peau s’est éveillée toute entière.

T'as visité ton passé récent et lointain pour t’apercevoir d’une évidence : t’es le genre de fille qu’on baise sur le coin de la table ou sur laquelle on obsède, mais pas le genre de fille de qui on tombe amoureux tout simplement. T’es le genre de fille qu’on traîne par les cheveux dans un coin poussiéreux et qu’on insulte en la frappant pour qu’elle en redemande encore. T’es le genre de fille qu’on abandonne ensuite dans un coin sombre, pendant que tes larmes sillonnent la suie qui macule tes joues et que ta rétine s’allume d’une flamme lascive étincelante.

T’es le genre de fille qu’on regarde de loin en s’imaginant la connaître parce que tu te dévoiles si facilement. T’es le genre de fille au contact facile, au sourire désarmant et à la moue définie qui pose une vision absente sur ceux qui ne l’impressionnent pas et qui leur laisse le lousse de la draguer en sachant pertinemment que tu n’en feras jamais rien. T’auras beau leur dire que t’es pas si merveilleuse que cela, que t’es juste une femme ben ordinaire et que t’as mille défauts; ils ne t’entendront pas, trop occupés qu’ils sont à te mettre sur un piédestal inconfortable. Ils vont te suivre dans le noir, en espérant avoir un baiser salaud de tes lèvres s’ils persistent à rester dans ton sillage et tu sais pertinemment que tu n’en feras rien. Puis tu te dis qu’au fond ce serait peut-être la meilleure solution puisqu’ils pourraient débander en se coltinant à la réalité. Parce qu’il te voient en ange alors que tu tiens davantage de la démone.

T’es le genre de fille qu’on frenche en la mordant jusqu’au sang pour s’imprégner de sa sève. T’es le genre de fille à laisser sa marque sur la peau des hommes et tu le revendiques fièrement. T’es le genre de fille à qui on dit : « Tu sais, même si je ne t’avais vu que cette fois-là, je n’aurais jamais oublié une femme comme toi. » Mais avant tout, t’es le genre de fille qu’on croit trop forte pour pouvoir l’aimer.

jeudi, décembre 08, 2005

Apprendre à m'aimer

Ça faisait 3 jours qu’on se connaissait quand tu m’as lancé un « je t’aime » à la figure, comme une insulte que je n’attendais pas. Je t’ai rétorqué un regard courroucé et j’ai remballé mes affaires sans un mot. Tu me courrais après dans la maison, rieur, certain que c’était le trop plein d’émotion qui me donnait le goût de partir tandis que moi je n’avais que l’envie de te cracher à la figure. Muette de rage, je continuais à faire le tour du petit appartement pour être certaine de ne pas laisser derrière moi, une de ces petites traces qui fait qu’on y revient malgré soi; un acte manqué. Tu avais cessé de rire et tu me demandais de t’écouter, de te laisser me dire pourquoi tu étais désormais amoureux de moi pendant que je restais muette à tes suppliques qui te diminuaient à mes yeux. J’ai tenu mon bout et je suis partie. Loin de toi.

Quelques mois plus tard nous nous sommes croisés dans ce bar qui était ma piste de danse et ton salon de billard. J’avais pris la peine de choisir mes soirées en fonction de tes absences, je me tenais à distance. T’es venu me dire que je dansais bien, encore. Dans le bleu de tes yeux il y avait tellement d’admiration et de chaînes tout emmêlé que je n’avais que le goût de me sauver encore plus loin que les confins de mon appartement. Je reconnaissais ce signe pour l’avoir lu trop souvent dans des yeux des hommes qui m’avaient entourée. Un parfum de panique qui me ravalait les tripes. Une envie de me tordre dans mes vomissures internes. Et cette panique qui me collait au cul, sans me donner une seconde de relâche. Ta prunelle me devenait machiavélique tandis que tu me portais une attention qui se voulait tendre. Ce soir-là, je t’ai crié ma peur et mes craintes. Je t’ai dit que tu me salissais de cette accaparement constant dont je faisais l’objet dès que j’entrais dans le champ de ta vision. Je t’hurlais des horreurs sans nom puisque tu représentais à toi seul l’ensemble de mes angoisses les plus persistantes. Tu m’as laissé partir cette fois, avec de l’incompréhension peinte sur le visage.

Au bout d’un certain nombre d’années, tu t’es planté à côté de moi dans la pénombre et t’as allumé ma cigarette. T’avais changé, tu t’étais musclé et tes cheveux avaient perdu de leur blondeur. Je t’ai reconnu à la présence immense que tu dégageais ce qui pourtant différait du toi que j’avais connu. Ce ne pouvait pas être quelqu’un d’autre. Tu m’as souris et dans ce sourire-là il n’y avait pas d’entrave, pas d’envie démente de me posséder toute entière. Tu ne m’as pas posé de questions sur les hommes qui avaient traversé ma vie durant les années écoulées, ce qui m’a surprise. J’étais encore un peu sur la défensive. On s’est quitté en amis en se souhaitant un prochain hasard.

Le hasard s’est présenté ce soir. Je crois que j’ai su quand tu es rentré dans la place que nous allions repartir ensemble. Je me suis perdue quelque part entre toi et moi et je ne pouvais décemment me retrouver si je te laissais partir. Nous étions recroquevillés dans mes couvertures quand tu m’as affirmé « Sais-tu ce que j’aimerais que tu fasses pour que je puisse m’endormir? » J’ai hoché la tête négativement et tu m’as répondu : « j’ai envie que tu m’expliques la vie. »

C’est à cette minute-là que j’ai compris que malgré tout ce temps, tu avais appris à m’aimer.

mercredi, décembre 07, 2005

Langue de vipères

J’ai commencé à mentir au moment où j’ai commencé à parler. Si chaque vérité était une colombe et chaque mensonge une vipère, je vomirais des vipères depuis ma plus tendre enfance. Mes vipères sont petites, elles ont surtout servi à me protéger. Vous voyez, moi si je n’étais pas parfaite, on ne pourrait pas m’aimer. Ben voyons? Vous ne saviez pas cela? Je risquais à tout moment de perdre l’amour de ma mère et de mon père. Pas assez jolie, pas assez intéressante, pas assez intelligente. Pas assez de talent non plus. Si je suis en recherche d’emploi et qu’on me demande si j’ai envoyé des cv je vais répondre oui dès que j’en ai envoyé un. Même si je sais que je devrais spécifier que ce n’est qu’un seul qui a pris le chemin de la poste. Parce que si je disais la vérité, le « on » en question cesserait de m’aimer n’est-ce pas? Vous voyez le genre?

Parallèlement à cela, je ne m’accorde pas beaucoup de crédit. Dans rien. Je travaille encore pratiquement au salaire minimum et j’ai beaucoup de difficulté à m’imaginer ailleurs. Je suis née pour un petit pain voyons. Je me rappelle de tous les trucs désagréables qu’on m’a dit dans ma vie, mais j’ai tendance à oublier les trucs gentils qu’on dit de moi. À mes trente ans, une copine a instauré le jeu suivant : dire à Mathilde pourquoi elle est notre amie et qu’on l’aime. Joli hein? Ben je ne me rappelle que du fait que Monsieur Moreau a dit que j’étais son amie depuis que je lui ai offert des fleurs. Mais bien entendu moi j’entendais parce que je lui ai offerts des fleurs. Et ce soir-là, selon ma mère, mes amis m’ont rendu hommage. No memories.

Hier soir, j’ai fait la connaissance de quelqu’un que j’admire. Un hasard. Après que nos connaissances communes eussent quitté la table, il m’a invitée à demeurer avec lui pendant qu’il prenait une autre bière. Évidemment, j’ai pensé qu’il m’avait lancé l’invitation pour ne pas être tout seul à sa table et pas parce que ça lui tentait de me rencontrer, moi. Il m’a demandé : « Alors tu écris toi aussi? » et moi de répondre : « Non, je n’écris pas, j’ai juste un blogue. » Je sais, je sais, je frôle le ridicule. J’ai passé la soirée à discuter avec lui, mais ce n’était certainement pas parce qu’il me trouvait intéressante… J’ai un ami qui m’a écrit : « Et t'es pas dans des souliers trop grands, franchement ! C'est tes pieds qu'ont grandi ces derniers temps, et c'est bien mérité. Alors que d'autres s'enflent la tête, toi tu changes de pointure, je trouve que c'est tout à ton honneur… » J’ai pensé qu’il me disait cela juste parce qu’il est mon ami.

Vous me lirez impudique, candide est trop honnête. Moi je mets le doigt sur le bouton de survie : dire que je suis ainsi publiquement c’est m’obliger à commencer à me donner le droit d’être dans ce que je suis. Sans trop en faire. Sans trop vouloir l’approbation de tout en chacun que de toute manière je n’aurai pas.

Ouf! J’ai une grosse job de reconstruction à faire. Je vais relever mes manches et y arriver.

mardi, décembre 06, 2005

La lune dans le caniveau

Voici ma contribution pour le Coïtus impromptus de la semaine. C'était mon état d'esprit hier. Ne vous alarmez pas, je vais très bien.

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Décembre s’enfle sur la ville. Les journées commencent tard et finissent tôt. Je me sens seule, isolée. Isolée dans un célibat qui ne finit pas de s’étirer. Et je me mets à jalouser toute sorte de trucs absurdes. Moi qui ai toujours dit que ce n’est pas une de mes qualités principales, je me complais dans un malheur qui n’est pas si malheureux que cela. Je pleure des larmes qui ne sortent pas. Je m’avilie. Je me compare et me désole. Je suis la très Drama Queen que je croyais avoir laissée quelque part dans mon adolescence. Je me victimise.

Quand la journée se meure et que naît la nuit, les lumières électriques ne me disent rien qui vaillent. Elles sont des yeux qui m’observent et me jugent. Pourtant, elles ne font pas davantage attention à moi qu’aux autres quidams qui traversent Montréal. Je me replie sur moi-même fouillant l’intérieur de mes tripes en les éventrant sur la table sans vraiment regarder ce qui s’y trouve. Simplement de poser le geste suffit à me dire que je suis à côté de la plaque. Je dissèque sans porter attention aux indices qui me définissent, ce faisant je me mens par aveuglement volontaire.

Je me crie incomprise, mal aimée, délaissée. Je me crie muette. Je me badigeonne de mépris que je me convaincs de lire dans l’œil des autres. Déresponsabilisation totale. Ce n’est pas de ma faute hein? Ce ne pourrait pas être juste moi. Il faut des coupables. Le talent de ceux que je lis, la finesse des plumes qui jalonnent les carnets où se reposent mes yeux, la franchise de certains, la pudeur qui transcende les pages, ailleurs. Je lis des blogues dans lesquelles les discussions intellectuelles me laissent pantoise et je me sens larguée quelque part dans la haute mer des « assis entre deux chaises ». Je me pourlèche de ces sensations dévalorisantes qui me confirment dans une infériorité que je créée de toutes pièces.

Je n’ai plus d’éclat, plus de talent. Je ne suis qu’une petite parcelle de moi qui ne veut même plus être écrivain. Je ne veux que faire pitié. Et si par hasard, j’intercepte un regard qui me dit la pitié justement, je rage et me jette contre cet assaillant imaginaire à coups de poings et de griffes. Je mords aussi. Je suis bouette. Fatiguée et lasse de ce conflit de travail qui me ronge la patience et le budget. Épuisement. Je n’ai plus d’étoile dans les yeux.

Ma lune gît dans le caniveau.

lundi, décembre 05, 2005

Le mois de Décence

Hier il neigeait. Nous sommes le premier décembre, j'ai arrêté de boire, de rire à gorge déployée pour meubler mes insomnies, de siffler les jeunes employés de la ville en passant dans ma voiture, de lancer des regards gourmands aux clients du magasin. Je me suis levée ce matin et je l'ai su tout de suite, j'avais arrêté. Je ne porterai plus de décolletés indécents, de jupes trop courtes, je vais oublier les chants vulgaires de la femelle en chasse, je n'irai plus souiller les mains d'hommes sans noms avec le fluide généreux de mon sexe. J'ai froid, je n'ai pas faim, ni soif. Le café n'a plus ce doux effet sur moi qu'il avait autrefois, il m'assèche la bouche et me pique l'estomac comme une vieille angoisse qui revient se loger en moi. J'ai froid. Ma main glacée reste suspendue au-dessus de la feuille blanche.... blanche. Cette pureté dans la pensée, cette austérité matinale, comme si on pouvait tout recommencer à zéro et retrouver sa vie intacte, la nudité véritable des gestes, une innocence... Nous sommes le premier décembre, je suis neuve, je ne me connais pas, j'ai peur.
Je regarde par la fenêtre. Il y a la rampe du balcon, l'escalier qui mène à la cour, le toit du hangar couvert de neige, trois arbres, en arrière plan, trois maisons à deux appartements. Supposons que le monde se limite à ça, à ce décor qui tient dans le cadre de ma fenêtre. Moi, où suis-je ? J'habite là, dans la maison du centre, parce que les deux autres on ne les voit qu'à demi et moi j'ai besoin d'espace. Je vis donc là, au deuxième étage. Derrière, il y a un champ infini et une rivière qui traverse la plaine et plonge dans la forêt noire qui tient lieu d'horizon. Qui habite autour ? Je ne sais pas... Au-dessous vit un vieillard étrange. Il s'occupe du jardin et m'apprend à faire pousser les fleurs. Il ne parle pas. Je ne saurai jamais le nom des plantes à qui je donne la vie et qui me le rende bien. Je n'ouvrirai jamais un bouquin sur la botanique. Pour ne pas trahir cette beauté qui ne demande pas de nom. Pour ne pas dévoiler le printemps qui se cache derrière le paysage de décembre. J'habite donc là, dans cette image, derrière la façade de neige et de briques. À gauche, c'est ma chambre. J'allume la lumière. Je suis en train de lire, étendue sur le lit. C'est dans cette pièce que je reçois mes amants, que je les appelle par leur prénom, que je jouis en silence. C'est de là que je les chasse poliment. J'ignore où ils vont. Je ne leur demande pas de revenir. Le reste de l'appartement m'appartient. Je nettoie les draps dans la salle de lavage, tous les jours, pour qu'ils soient bien propres. Il n'y a pas de parfums imprécis qui s'incrustent chez moi. La salle de bain sent la vanille, la cuisine, la lavande et parfois le thym quand je prépare des potages.
À gauche, la chambre donc, rangée et bien chauffée, à droite, le salon, avec un bureau où je m'installe pour écrire le matin. Ou la nuit. Le bureau fait face à la fenêtre. Quand je m'y assois, je change la perspective et la réalité me rattrape: l'hiver ne dure pas toujours, décembre ne reste pas éternellement blanc, les odeurs s'entremêlent et se succèdent, les fleurs portent des noms inscrits dans des dictionnaires. Dans la maison de l'autre côté de la rue, une femme se tient derrière une fenêtre, elle rit.
Alors, ma main se pose sur la feuille, le sang se remet à circuler dans mes doigts, je comprends: rien ne s'est arrêté. J'écris.
Le monde n'est pas un tableau. Le regard est un cadre qui se déplace. Rien ne s'y fixe. Le mouvement et le temps échappent à l'image...

samedi, décembre 03, 2005

Consoler un ami

Mon bel ami,
Les femmes sont des bêtes cruelles avec les hommes au coeur tendre. Les femmes jouent avec les chairs, sans se rendre compte de l'effet dévastateur de leurs amusements pervers. Les femmes aiment séduire, mais se sauvent quand c'est trop facile. Les femmes sont de bien méchantes personnes. M'enfin, cette affirmation n'est valable que lorsqu'on est amoureux des femmes. En fait, les hommes sont mes bêtes cruelles puisqu'ils sont ceux qui font battre mes pulsions. Cependant, je te dirais que depuis quelques années, aucun ne m'a ni fait mal ni atteint comme les femmes dans ta vie l'ont fait.
Les femmes sont des bêtes cruelles tant qu'elles ne se rendent pas compte du pouvoir dévastateur qui gît entre leurs mains. Elles se croient le droit de flirter et de rire de la gorge sans que ce soit important. Elle se croient le droit de vous regarder dans les yeux et de vous dire : "je suis bien avec toi" mais que cela n'ait pas d'incidence sur les papillons dans votre estomac. Les femmes, surtout quand elle sont jeunes et insouciantes, ont beaucoup du félin qui part à la chasse, mais se lasse de sa proie une fois qu'elle est immobilisée au sol, gravement blessée et sanginolante. Après, elles crient "je veux qu'on m'aime" et elles recommencent. Jusqu'à ce qu'elles tombent sur un tigre plus gros qu'elles et que ce soit leur corps qui repose, presque mort, sur le plancher. Alors elle se tournent vers vous pour que vous pansiez leur plaies et vous font les yeux doux. Et vous, comme les cons que vous êtes, vous fondez encore pour elles. Et ça continue.
Les femmes sont des bêtes cruelles parce qu'elles s'imaginent que vous jouez tous. Mais ce n'est pas vrai. Certains le font, pas tous. Et même encore, quand on prend la peine de passer par dessus les couches de vernis soigneusement disposées autour de vous, on se rend bien compte que les plus joueurs sont aussi sensibles. Il suffit d'avoir la bonne clef pour pour atteindre. La bonne clef n'est pas toujours sur notre parcours par contre. Et c'est bien maudit ainsi. Qu'on soit homme ou femme, on ne devrait jamais dire à qui que ce soit que cette personne nous ébranle dans nos fondations si on n'est pas prêts à faire le pas qui s'impose pour actualiser cette relation jusque dans l'amour le plus partagé.
Voilà, c'était ma lettre qui torche pour te consoler.
Mathilde qui t'aime tout plein des milions fort xxx

vendredi, décembre 02, 2005

Avis de recherche

Je suis en train de lire tous les messages sur mon site parce que je sais que SoleilSecret en a laissé quelques uns. Je suis tombée sur un message de Geoffroy sur un texte du mois de mai. Je ne l'avais jamais lu. J'aimerais te dire que cette réponse m'a énormément touchée. Si jamais tu me lis encore, écris moi. Mamathildeautravail@yahoo.fr.

Dommage collatéral

Je travaille dans une librairie Renaud-Bray. Actuellement il y a 11 succursales en grève. C’est le temps des fêtes et c’est le temps de mettre de la pression pour faire plier les patrons. Le problème c’est que 11 succursales sur 26 sont en grève : pas les autres. Ça donne aux patrons une belle marge de manœuvre hein? Mais en plus ça cause bien des effets secondaires. Je viens d’avoir un appel. Moi, j’ai perdu mon emploi tant que le conflit n’est pas réglé. Je ne suis pas sous le même syndicat que les personnes qui piquettent devant la porte de ma succursale, je ne peux pas sortir ni avoir le droit à un fond de grève. C’est valable pour moi, pour d’autres personnes dans ma succursale et pour les quelques autres endroits qui sont squattés par les grévistes.

Noël arrive, moi j’ai perdu mon emploi parce qu’il y a des gens qui font du piquetage devant la porte de la librairie où je travaille pour qu’il y a des gains salariaux, entre autres choses. Noël arrive et je suis un peu paniquée à savoir comment je vais bien pouvoir payer mon mois de janvier et manger en décembre. C’est con, je suis une personne de gauche règle générale, j’ai beaucoup milité dans ma vie et je suis une fan des zapartistes. Mais là, j’ai juste le goût d’être égoïste et de péter ma coche. Parce que dans ce conflit, à cause des circonstances, je suis un dommage collatéral. Et je suis tannée de me faire dire des abominations par les grévistes. Du genre :

- C’est ça rentre donc travailler, va licher les bottes des grands boss!
- Heille groupe, j’ai pas le choix. Si moi je ne rentre pas, je perds mon emploi.

- Allez fais du piquetage avec nous, un peu de solidarité ne te ferais pas de tord!
- Heille groupe, j’ai pas plus le choix, si je piquette avec vous, je perds aussi mon emploi! Et puis, juste de même en passant, ce n’est pas en m’insultant jour après jours que vous allez me gagner à votre cause. Je sais que nos conditions ne sont pas super, mais joual vert, la douche d’insultes quotidienne, sur différents thèmes, elle me fait chier. Les conditions favorisent la partie patronale ; moi j’ai les pieds et les poings liés et je mérite encore le respect; qu’on se le dise.

Je travaille dans le domaine de la vente au détail, un des domaines les plus mal payés ici. Je suis prise dans un conflit qui me regarde de près mais pour lequel je ne peux rien faire. Dans un mois c’est Noël et moi, je n’ai plus de temps dans la succursale, because grève.

Joyeux Noël Mathilde! We’ll drink to that!

jeudi, décembre 01, 2005

Une lame dans le coeur

T’avais le visage blanc et les lèvres exsangues. Tes yeux cernés ne te ressemblaient plus. Quand j’ai touché ta main, j’ai eu l’impression de rencontrer l’hiver et le désert en même temps. L’hiver à cause du froid, le désert parce qu’il n’y avait plus trop de vie sous cette peau là. Ta bouche craquelée ne laissait plus passer qu’un souffle d’air et tes poumons meurtris soulevaient avec peine ta cage thoracique malmenée. Je ne comprenais pas ce que tu avais, c’était beaucoup trop complexe pour moi. Je savais que c’était grave, que je ne devais pas courir dans la maison ni trop rire ni crier comme mes 5 ans m’en donnaient envie. Quelquefois, je m’approchais du salon ou tu t’installais tous les jours, sur la pointe des pieds, et je regardais la bête que tu étais devenu. D’autres fois, je t’envoyais des bisous doux en envolée par-dessus les silences et mon incompréhension, en espérant de toutes les forces de mon petit cœur, que tu guérirais.

Un jour, tu es parti. On m’a expliqué que c’était pour très longtemps et que peut-être tu ne reviendrais plus. Plus jamais. Je suis retournée me blottir sous mon lit, là où tu étais tellement venu me chercher souvent, avec mon toutou informe que je traînais partout. J’ai pleuré bien des fois, dans mon réduit. Quand on venait me chercher pour les repas, je les suivais en silence, les joues noircies de poussière et sillonnées des traces des larmes que j’avais laissé couler. Je me sentais toujours observée par la foule silencieuse qui regardait les adultes me mener à ma place. Le temps a passé et j’ai cessé de me cacher sous le lit. Je suis restée une fillette solitaire. Je n’avais pas d’amis. Je n’en sentais pas le besoin, et j’avais toujours peur que, comme toi, ils partent pour toujours et me laissent toute seule derrière.

La semaine dernière, en passant devant ce café, je t’ai vu. T’étais de dos, ça faisait vingt ans, mais j’ai reconnu la courbure de ton cou. J’ai figé. Je me suis approchée pour m’assurer. Et c’était toi. En moi blême, moins maigre. Et tes yeux si bleus, avaient retrouvé du pétillant. Tu m’as vue. J’ai même eu droit à un coup d’œil interrogatif à cause de mon insistance à te zieuter ainsi. Tu m’as vue, sans me voir moi. Comment aurais-tu pu voir l’enfant que j’ai été dans ce corps de femme hein? Comment?

Je suis repartie avec une lame dans le fond du cœur.

Demain peut-être me reconnaîtras-tu?