mercredi, janvier 28, 2015

Le voisin

Sous la lumière blafarde des gyrophares, Marine se rappelait un été longtemps révolu. Elle devait avoir six ou sept ans lorsque son petit cœur débordant l'avait poussée à écrire une lettre à Mathieu. Il était son voisin immédiat. Pas tout à fait, en réalité. Elle restait au premier étage d'un duplex lumineux, tandis que Mathieu vivait dans un cottage, étrangement dissonant dans cet rue montréalaise. Marine pouvait l'apercevoir s'amuser dans la cours, étonnamment vaste pour le quartier. Assez en tout cas pour recevoir une piscine hors terre, qui faisait l'envie du voisinage. Marine n'y faisait pas exception.

Comme tous les enfants du secteur, elle et sa sœur aînée, zieutaient le point d'eau alléchant, durant les jours de canicules, sachant pertinemment qu'elles n'avaient que peut de chance d'y avoir accès. Faute de mieux, et parce que le propriétaire de leur appartement, dorlotait régulièrement son jardin, elles courraient sous les larmes de l’arrosoir en riant en perdre haleine. Pour une raison qui n'appartenait qu'à elle seule, pourtant, Marine faisait une fixation sur Mathieu. À ses yeux d'enfant, il était tellement extraordinaire seulement parce qu'il était un peu plus vieux, et drôle.

Un jour, elle lui avait écrit une carte d'anniversaire dans laquelle, ajoutant aux vœux usuels, elle lui avait déclaré un amour infini. Elle avait signé : « ta voisine anonime ». Son anonymat n'avait jamais été bien grand. Elle avait passé les années subséquentes à subir les quolibets de tout en chacun, particulièrement ceux de Mathieu et de ses amis. Aux yeux de Marine, cependant, le voisin avait perdu de sa superbe. Il s'était enfoncé dans toutes sortes d'excès, le faisant vieillir avant l'âge et surtout, il avait perdu de son mordant dans l'humour. Comme si quelque chose en lui s'était éteint.

Les années avaient passées, les petites blagues du voisinage sur l'amour fou que Marine portait à Mathieu avaient continué, mais elle ne se sentait plus engluée dans celles-ci. Elle savait bien que cela n'avait plus aucune espèce d'importance dans la vie réelle. Mathieu avait fini par quitter le domicile familial. Et bien sûr, à toutes les fois où leur chemins se croisaient, il lui rappelait la carte.

Avec le temps, Marine s'était prise à penser que Mathieu n'était pas un gentil garçon. Pas vraiment méchant non plus, simplement un peu trop égoïste, ne s'intéressant aux autres que pour ce que ces autres pouvaient lui apporter, comme si toute forme d'échange devait avoir des retombées mesurables. Il n'était jamais si fier que lorsqu'il avait la possibilité d'étaler quelque chose de rutilant sur la place publique. Snobant au passage tout ceux qui ne réussissaient pas comme il le faisait.

C'était sans doute pourquoi les souvenirs affluaient sous les gyrophares dans une nuit trop froide de janvier. Depuis quelques mois, Mathieu venait faire un tour dans le petit boui-boui que possédait Marine, en lui offrant protection contre espèces sonnantes et trébuchantes. Il s'installait au comptoir, comme s'il était le propriétaire et racontait à qui voulait l'entendre que Marine avait été sa première blonde.

Au bout de plusieurs semaines de ce manège, Marine en avait eu marre et avait appelé les policiers. Ils étaient venus le cueillir pour racket. Un tout petit criminel, même pas associé à un groupe plus puissant, qui ne savait rien faire, vraiment, de sa vie.

Et qui avait eu l'inélégance d'harceler la toute première fille qui lui avait dit qu'elle l'aimait.

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dimanche, janvier 25, 2015

Les itinéraires de ma prose

Je ne sais pas exactement à quel moment j'ai commencé à écrire. Ce que je sais sans l'ombre d'un doute, c'est que ça fait partie de moi. Je peux certainement parcourir la vie sans écrire, je l'ai fait durant cinq ans récemment, seulement je suis un peu à côté des rails de mon essence profonde. Lorsque je n'écris pas, je suis généralement moins triste, moins joyeuse aussi. Tout est comme sur une étrange ligne floue. À l'exception de peurs de toutes sortes, surtout celle d'être de trop et de déranger qui, elles, au contraire, se mettent à prendre le pas sur pas mal tout.

Évidemment, je peux affirmer une telle chose avec un recul certain. Lorsque je cesse d'écrire autre chose que des communications de travail, je me débranche de mon cœur. Il bat toujours, ne faisant que son travail musculaire. Je m'étiole. Mais l'érosion est lente. Elle se fait presque silencieusement. À tous les coups, je crois que l'absence d'écriture n'est, somme toutes, pas si importante.

J'écris parce que j'ai besoin de m'expliquer la vie. À moi, avant tout. Quelquefois, j'arrive à l'expliquer à d'autres gens par ce biais. Mais la création est un mouvement bien égoïste, je crois. On part toujours de soi pour aller à la rencontre des autres. On tente de faire du particulier un certain universel. Sans y arriver souvent. Pour ma part, j'essaie fréquemment de faire mûrir les trucs que je juge laids et qui me dérange en quelque chose qui me plaise davantage. Ou l'inverse. Pour visiter une douleur, la regarder jusqu'au bout. Et pouvoir, après coup, me dire qu'elle fait désormais partie du passé.

J'écris parce que j'aime les mots et ma langue. J'aime les musiques qui naissent au détour d'une formule. Les images qui me percutent les yeux et l'âme. Je suis touchée par ces sonorités, la beauté du phrasé. J'écris quand ma tête va bien. Parce qu'autrement, je suis emmurée à l'intérieur de moi. Beaucoup d'écrivains ont affirmé que c'est dans la douleur qu'ils créaient. Adolescente, j'étais convaincue que c'était vrai. Je ne dirais pas que c'est totalement faux, les peines d'amour, d'amitié, les colères, les insatisfactions et les injustices sont de bons terreaux pour la création. Il faut savoir les emmener plus loin que l'émotion du moment, les utiliser positivement pour ne pas miner ce qui reste de soi.

J'admets volontiers que l'écriture soulage. Me soulage en tout cas. Elle me permet de jeter un autre regard sur les événements. De changer ma perspective. De tempérer mes ardeurs. Le nombre de fois où j'ai écrit mes colères les plus noires pour ensuite pouvoir parler, calmement de ce qui me fâchait, frise le ridicule. Et je sais pertinemment que moins j'écris, moins je canalise mes doutes, mes angoisses et mes frustrations, plus les chances que j'explose existent. Mauvais pour tout le monde, moi la première.

J'aimerais connaître tous les chemins qui poussent à l'écriture, à la création. Par curiosité, pour en emprunter quelques uns qui me sont aujourd'hui inconnus et voir ce que je pourrais bien y découvrir. Mais, ce n'est pas le cas. Comment le pourrais-je? Je ne suis que moi, avec toutes les forces et les lacunes que cela comporte.

En fait, je crois qu'il y a autant de sentiers qui y mènent qu'il y a d'êtres humains pour les suivre.

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mercredi, janvier 21, 2015

La traversée des portes

Il y a des seuils que l'on franchit sans trop sans apercevoir. C'est généralement le cas le jour de son anniversaire, parce qu'entre hier et aujourd'hui, on ne voit pas souvent la différence. Mais ce n'est pas toujours le cas, certains seuils sont comme autant d'étapes à franchir; la toute première fois que l'on met les pieds à l'école, par exemple.

Il y a des seuils qui se parent de rideaux lourds, comme les drapés d'une scène et on a de cesse d'essayer de jeter un coup d’œil, par en dessous, au cas où, on pourrait y percevoir un secret avant qu'il n'éclate au grand jour. Ceux-là on les mate longtemps avant d'arrêter d'en espérer quelque chose.

La majorité des seuils, cependant, sont munis de portes. Certaines d'entre elles s’entrebâillent et on les laisse dans cet état parce que ce que l'on aura perçu de l'autre côté leur ajournement, ne nous sied pas. Quelques fois, parce qu'on trouve ça laid. Fréquemment, parce qu'on ne s'y reconnaît tout simplement pas. D'autres fois, par contre, la curiosité nous pique assez pour qu'on y mette le bout de notre nez.

Les surprises n'y sont pas toujours bonnes.

Il y a des portes que d'autres ouvrent sur nos propres trépas. L'air de rien. Et on se retrouve à papillonner autour de soi-même, complètement déstabilisé. Nos coffres-forts personnels, éventrés, devant des yeux dont l'acuité nous jette à terre. Celles-là sont les pires parce que les chimères de l'esprit se mettent à semer le doute du pourquoi et du comment on en est arrivé là. Un jour, on se rend à l'évidence que rien ne nous a heurté et que les rapports humains peuvent êtres sains, si on leur laisse le droit d'exister. Un jour on se rend à l'évidence que toute forme de confiance ne sera pas systématiquement violée.

En contre partie, il y a des portes que l'on claque, sur un passé qui nous a malmené.

Il y a des portes qui nous restent hermétiquement fermées, quoique l'on fasse pour tenter de les ouvrir. Des portes solides, bien bâties et bien ancrées qui font en sorte qu'on se sent un peu rejeté de rester-là, impuissant à les traverser, car on n'en possède pas la clef et encore moins le droit d'accès. Les personnes sages, ont depuis longtemps compris que la meilleure tactique est de cesser de tenter de les forcer. Les chances sont fortes, qu'un jour, le penne se déclenche de l'intérieur.

Il a des portes laissées ouvertes. Sans aucune espèce de forme de barrière. Sur des pièces et des personnages aussi généreux qu'accueillants. Ces portes-ci, ont le chic de nous ouvrir l'appétit et de cultiver l'imaginaire.

Il y a des portes que l'on referme, doucement, sur quelque chose qui s'est enfui.

La plupart du temps, il y a des portes qu'on regarde en chien de faïence, en se demandant si on aura le courage d'aller zieuter ce qu'il y a de l'autre côté.

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dimanche, janvier 18, 2015

Moi aussi, j'écris parce que je chante mal

Un de mes amis a un blogue qu'il a appelé, J'écris parce que je chante mal J'adore son intitulé et j'ai maintes fois eu envie de le lui voler. Mais bon, je ne suis pas à ce point mesquine. Cependant, je ne peux que dire que ça s'applique à moi. Je l'ai souvent dit dans ces pages. Je dis que je n'ai pas d'oreille, mais c'est faux. Le problème se situe entre ce que j'entends et ce que je suis capable de reproduire. Que ce soit en chant ou en langue. Je n'ai pas de talent, mais alors là, pas du tout. Mon anglais est correct, mais mettons que tous les mots contenant les lettres w et r dans cette langue me donnent du fil à retordre, dans la prononciation. Je sais que je me plante à tous les coups, je m'entends. C'est pareil quand je chante, j'entends toutes mes fausses notes. C'est un peu pénible, mais ça ne m'empêche ni de chanter, ni de parler en anglais, lorsqu'il le faut.

Depuis ma réémergence, depuis que j'ai recommencé à écrire, je chante beaucoup sur les pièces de mon artiste du moment. Je le délaisse, de temps en temps, mais je fini toujours par y revenir. Il est comme un couverture chaude pour mes émotions. Avec tout ce qui s'est passé récemment dans l'actualité, je suis retombée de plein pieds dans mon écoute excessive de sa musique. Comme si la beauté de sa voix, la poésie des textes et le quelque chose de particulier qui me revire le cœur dans les mélodies, faisaient en sorte que je me sens un peu plus protégée de l'horreur du monde. Et si je détruis souvent son œuvre en essayant de l'accompagner, j'ai la permission de l'Artiste pour le faire, malgré mes lacunes de talent en ce domaine. Alors je me m'y adonne à cœur joie.

Ce qui, évidemment, me place dans toutes sortes de situations un tantinet ridicules. Le nombre de fois où je me suis surprise à danser sur le coin d'une rue, en attendant ma lumière où à chanter à voix haute, par dessus mes écouteurs, est trop grand pour que j'en ai tenu le décompte. Ça me vaut toute sortes de regards étonnés des quidams que je croise.

À la librairie, un jour de décembre qui n'allait pas si bien que cela pour moi, ma collègue a mis le disque de l'artiste en question sans m'en parler. À la première mesure, je me suis exclamée (là faut savoir que ça veut dire haut et fort) : « C'est Alexandre! » Et un grand jeune homme me dit : « On se connaît? » Ça m'a pris trois secondes pour faire le lien. J'ai balbutié un commentaire sur le fait que je faisait référence à l'artiste à la radio pas à lui, que c'était un hasard s'il s'appelait Alexandre et était juste devant moi. Ça l'a fait rire, et il a acheté le disque.

Mais ma meilleure anecdote concerne la chatte avec laquelle j'habite. Elle est très verbeuse, mettons. Elle aime être collée sur les humains, particulièrement sur son maître, sauf que lorsqu'il n'est pas là, elle veut absolument avoir toute mon attention. Aussi, un jour que je me faisais de la bouffe pour la semaine, je chantais, en faussant allègrement, et la chatte s'est juchée sur la sécheuse et s'est mise à me miauler après, mais vraiment, j'avais l'impression de me faire copieusement engueuler.

Je ne saurai jamais si c'est parce que je heurtais ses oreilles sensibles ou si c'est parce qu'elle trouvait que je ne lui donnait pas assez d'attention.

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mercredi, janvier 14, 2015

La morsure

Il y a quelques semaines, j'ai écrit que je risquais de me faire mordre à force de taquiner les canidés ou les ursidés d'une certaine meute. Évidemment que ça m'est arrivé. Sur une bêtise, bien entendu. Rien de sérieux. Une série de commentaires anodins, tous plus piquants les uns que les autres. Jusqu'à ce que le loup de cette meute, que j'ai osé traiter de yéti, me demande de parler de couguars. Alors, bien entendu, je n'ai pu qu'exploser de rire en me demandant s'il me faisait cette requête parce qu'il me perçoit comme l'une d'elles, une femme couguar, je veux dire.

Ben quoi? J'en ai l'âge après tout. Et comme les hommes de mon âge sont généralement casés, et bien... Il serait possible que je le sois. Cependant, je ne me suis jamais perçue comme ce type de chasseresse. Pas que je n'aie jamais chassé. Loin s'en faut. Mais je me voyais davantage comme un requin. Pas très subtile, sans faux-semblant, mettant cartes sur table dès le premier abord. Point pour moi de dissimulation et de camouflage patient. J'étais ce que j'étais, à prendre ou à laisser dans toute mon entièreté. Les dents de l'avant, l'appétence aussi.

Si par inadvertance, selon mes souvenirs l'inadvertance a été fréquente, j'ai eu des aventures avec des hommes plus jeunes que moi, je plaide non coupable. Ce n'est pas tout à fait de ma faute si j'ai le visage que j'ai. Je ne m'en plains pas, du reste, avoir l'air jeune, c'est sympa lorsqu'on a plus de 40 ans. Et puis, il y a ce travers, tout personnel, qui fait en sorte que je suis généralement plus à l'aise avec les gens qui sont plus jeunes que moi. La séduction n'y échappe pas.

Les femmes couguars sont plus patientes que moi, je présume. Elles se fraient un chemin à force de présence, dans tous les événements qui comptent pour leurs proies. Moi... Je suis beaucoup plus directe et franche. En réalité, je n'ai aucune forme de patience dans la vie. Surtout pas avec les êtres humains. Je suis séduite ou je ne le le suis pas. Je séduis, ou pas. C'est sans concession. Aucune.

Alors non, monsieur le Loup, je ne suis pas une couguar, je n'ai pas choisi d'être célibataire pour épingler à mon tableau de conquêtes des hommes plus jeunes les uns que les autres. Et je ne veux pas à toute force me faire faire des petits par ces jeunes éphèbes qui pourraient être mes fils. Je suis, je crois, une femme complexe, difficile à conquérir ne serait-ce que parce que je ne me laisse que peu approcher. Physiquement et autrement.

Et lorsque je décide qu'il en va autrement, ben je louvoie. Et j'ai le sentiment que pour mes chasses toutes personnelles l'eau est un élément qui me sied mieux que la terre ferme.

Ne serait-ce que parce que les départs se font sans faire de bruit.

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dimanche, janvier 11, 2015

Compter pour des prunes

Il y a quelques années, j'ai découvert que j'ai vécu de l'intimidation à l'école primaire et secondaire. J'ai écouté un documentaire à ce sujet et j'ai revu passer une bonne partie de mon enfance. Il va sans dire que j'ai braillé ma vie sur celles des enfants que je voyais à l'écran. Ça été un choc.

Il y a une différence entre être rejetée par un groupe et se savoir intimidée.

On ne se voit généralement pas comme les autres nous voient. En tout cas, pour ma part, ça a toujours été vrai. J'étais une enfant rêveuse et dramatique. Un tantinet excessive, dirons-nous. Je m'inventais toute sortes d'histoires pour rendre ma vie plus intéressante que ce qu'elle était. Être collectivement rejetée par mes collègues de classe n'était probablement pas facile pour la personne pétillante que j'étais. J'ai donc beaucoup menti. Enfin, je m'explique cela, aujourd'hui, de cette manière. À l'époque, je dirais que je cherchais surtout à me prouver ma propre importance.

J'avais développé toutes sortes de stratégies pour faire avec. Je le sais désormais. J'ai cultivé beaucoup d'amitiés avec des gens plus jeunes que moi, parce que dans l'école où j'allais, il n'y avait qu'un groupe de gens de mon âge. Alors forcément, si j'y étais rejetée, il fallait bien que je me créée une appartenance ailleurs. À ce sujet, je n'ai pas vraiment changé, la plupart de mes amis sont plus jeunes que moi. Il faut croire que ce genre d'habitude est tenace. Peut-être aussi que j'ai encore peur des gens de mon âge, sans le savoir vraiment. Qui sait?

Mais surtout, j'avais la chance de vivre ces choses graves à une époque où internet et les téléphones intelligents (vraiment?) n'existaient pas encore. Alors, je pouvais avoir un autre espace de vie où personne ne savait que j'étais la tête de turc de ma classe. C'était une autre de mes stratégies. Les enfants de ma rue ignoraient que j'étais le « rejet ». Et ça me servait bien de ne pas leur avouer. Parce que je gardais l'espace que je m'étais créé dans mon voisinage. Celui-ci a d'ailleurs été fertile en relations longues et tangibles. Des gens qui m'ont connue sans quolibets et m'ont appréciée ainsi.

J'ai d'ailleurs, trouvé le moyen d'avoir le dernier mot sur mes tortionnaires, à la toute dernière journée de mon passage dans cette école. Je me souviens de leur avoir dit que leur rejet collectif comptait pour des prunes parce qu'au fond c'était moi qui choisissais de ne pas suivre leurs diktats. Je garde un souvenir très clair de leurs visages ahuris. Ils m'ont tous écrit qu'ils voulaient être mes amis, maintenant qu'ils voyaient quel type de personne j'étais.

Aucun ne l'est.

Mon choix.

Mais je crois que j'ai tiré profit de cette expérience. À coup de naïveté, certainement. N'empêche que, ça fait très longtemps que je sais que je ne peux pas plaire à tout le monde, que j'ai une personnalité forte qui dérange. Un jour, je me suis aperçue que la plupart des gens qui m'invectivent et ne m'aiment vraiment pas, ne connaissent de moi que le premier abord.

Depuis, je me dis que les seuls rapports humains qu'il vaille la peine que je cultive sont avec ceux qui se donnent la peine d'aller plus loin que la première impression. Je pense que j'ai un talent certain pour me faire aimer et apprécier dans ces occasions.

Et que je le rends bien.

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mercredi, janvier 07, 2015

Je suis Charlie

Depuis quelques jours, je réfléchis beaucoup à la religion. Tout a commencé parce que j'ai entendu un reportage, sur une jeune femme qui est entrée en religion il y a quelques années et qu'il s'avère que c'est quelqu'un que j'ai croisé à quelques reprises dans ma vie. Mais surtout, c'est une personne dont j'entendais parler, de temps à autres, puisqu'il existait un lien d'amitié entre ses parents et les miens. Ça m'a remuée, bien sûr, parce que la religion est la dernière réponse que je me donnerais pour traverser mes propres extrêmes.

Sans doute parce que la foi, en général est un sujet qui m'a toujours fascinée. L'histoire et les religions. Les liens indissociables qu'il y a entre les deux.

J'ai étudié beaucoup de religions dans mon cursus scolaire. Par intérêt. Parce que je considère que d'étudier une religion, actuelle ou ancienne, éclaire beaucoup sur les sociétés qu'on veut étudier. Les guerres religieuses ont façonnées l'Histoire. Et la façonnent encore aujourd'hui. Au nom de Dieu, les humains se sont lancés dans des conquêtes, convaincus de leur bons droits parce que ce dieu, à leurs yeux, était supérieur.

Ce qui est particulièrement effrayant aujourd'hui, c'est qu'on a tiré à bout portant sur la liberté de presse. On a voulu tuer la droit de dire « je ne crois pas en ton dieu, qui est aussi celui de mes ancêtres, et ton radicalisme ne m'arrêtera pas ». Parce qu'il ne faut pas oublier que, juifs, chrétiens et musulmans partagent le même dieu. En fait, seuls les prophètes diffèrent. Ça peut même être plus subtil que l'assertion que j'ai faite plus haut, on peut croire en ce dieu tout en refusant l’extrémisme. Tout en voulant, à toute force, s'accorder le droit de rire, de se moquer de sa propre foi, de celle d'autrui ou de l'absence de foi, ce qui existe aussi.

Je crois que la démocratie est directement visée et, par ce biais, l'éducation. Ce qui est remis en cause, c'est la possibilité d'avoir un jugement critique, sur quel que sujet que ce soit. Le droit de penser différemment de son voisin. La seule solution, à mon sens, est de respecter le point de vue de l'autre même s'il nous heurte, même si ça sape certaines de nos valeurs. Exprimer son désaccord est une chose, assassiner pour faire valoir son opinion en est une autre. Que les cibles soient prédéterminées ou non, connues ou non. À mon sens, nous vivons ici le même genre drame que celui de Polytechnique : des gens ont été tués parce qu'ils étaient ce qu'ils étaient, tout simplement. Et peut-être aussi parce qu'ils avaient l’outrecuidance d'avoir des aspirations différentes de celles de ceux qui les ont assassinés.

Ce qui m'attriste le plus, c'est que je sais, pour l'avoir étudié, que nous occidentaux, avons semé certaines des graines de ce qui nous arrive. Nous avons pratiqué l'impérialisme radical, il n'y a pas si longtemps. Nous ne sommes pas des anges, mais peu de gens le sont, de toute manière. Nous ne sommes que des humains perclus de doutes, de peurs et de travers plus ou moins grands. Nous cherchons tous des réponses à notre présence consciente dans l'univers. Mais la violence, de tout ordre, n'est jamais la bonne réponse à ces questions, je crois. Et très honnêtement, je dirais que je verse moi-même dans ce travers à mes heures, même si ma violence est plus verbale qu'autre chose.

N'empêche que, ce soir, j'ai honte de toutes mes colères mal canalisées.

Alors même si je n'ai jamais été fan de ce magazine, désormais, je suis Charlie.

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dimanche, janvier 04, 2015

Un super-héros pas comme les autres

C'est un minuscule brin de femme, au nom et à l'allure hispanique. Tellement minuscule en fait, que la rumeur veut qu'elle se chausse et s'habille toujours chez les enfants. Mais aussi petite soit-elle dans sa forme extérieure, elle n'en demeure pas moins une formidable énergie positive dans l'environnement de qui que ce soit qui la connaisse. J'en suis convaincue.

La toute première fois qu'elle m'a fait exploser de rire, c'était, un peu, contre son gré. Ça ne faisait que quelques semaines qu'elle travaillait avec nous. La veille, elle était toute excitée parce qu'elle allait faire dompter sa longue chevelure bouclée. Mais elle est arrivée au travail, l'air un peu piteux, les cheveux coincés sous un bibi qu'elle ne se décidait pas à ôter, tout en sachant qu'elle n'a pas le droit de travailler avec un couvre-chef. Je l'ai donc fait venir dans mon bureau pour voir d'où venait cet entêtement, qui ne lui ressemblait pas du tout. Elle a ôté le bibi, désemparée, en me lançant : « J'ai l'air d'un tigron! » Ça été plus fort que moi, j'ai éclaté de rire. Parce que je ne pouvais nier qu'elle avait raison. Il y avait des mèches d'un orange vif dans sa chevelure, autrement noire, et un espèce de dégradé, dans la coupe, qui lui donnait effectivement un air de félin ébouriffé. Mon éclat de rire, l'a rendue furieuse, quelques instants seulement, le temps que son autodérision naturelle ne reprenne le dessus et qu'elle se mette à rire avec moi. Je me suis excusée, bien entendu, de ce rire intempestif, et assez mal venu, je dois dire.

Cette anecdote a pourtant changé nos rapports. Les teintant de beaucoup d'humour et de rires partagés. Parce qu'elle est avant tout une personne très joviale, qui se moque de tout, particulièrement d'elle-même, si l'occasion lui en est donnée. Lorsqu'elle fait une bourde, elle se dénonce automatiquement, certaine que je rirai avec elle. Parce qu'une bourde n'est jamais bien lourde de conséquences. Ses meilleures bourdes concernent généralement les référents catholiques qu'elle mêle sans cesse, me faisant hurler de rire à tous les coups; ça vous sape des préjugés, je vous le garanti!

Un jour du printemps dernier, elle travaillait à la caisse et, à côté d'elle, trônait une bouteille d'eau sur laquelle était inscrit « Batman water ». J'ai soulevé un sourcil interrogatif en regardant la bouteille en question. Elle s'est mise à rougir un peu, sous son hâle naturel. Puis elle m'a dit, tout à trac : « Il faut que tu comprennes, Mathilde; Batman, c'est vraiment mon idole! Je ne sais pas pourquoi, mais c'est comme ça! ». Je ne peux tout de même pas reprocher à quelqu'un d'être fan finie de quelque chose, non? Ce serait le comble de l'ironie. J'ai donc simplement répondu que dorénavant, elle serait Batman.

Le mot s'est répandu à une vitesse de super-héros. En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, elle est devenue Batman, pour tout le monde, à la succursale, du moins. Pour me taquiner et parce qu'elle se trouve très drôle, elle s'est mise à m'appeler Alfred, prenant toujours un petit ton supérieur lorsqu'elle m'interpelle ainsi. C'est particulièrement cocasse quand elle le fait pour me demander de clarifier une consigne ou quelque chose dans le même genre. Et j'ai beau ne pas être grande, je la dépasse de plus d'une tête, alors son air supérieur, tsé...

Aujourd'hui, juste avant de partir, elle venue me voir le plus sérieusement du monde, pour me dire : «Demain, tu n'oublieras pas de penser à moi hein? » Interloquée, je lui ai demandé si j'avais à m’inquiéter pour elle. Elle m'a fait un clin d’œil en s'esquivant, juste avant de me répondre : « Non, mais ce sera mon anniversaire », ravie de m'avoir eue.

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