jeudi, octobre 30, 2008

Les perles de verre

Ta main lourde repose sur la rondeur de mon ventre comme une ceinture bien accrochée. Tes cheveux en broussailles chatouillent mon épaule à toute les fois où tu respires. Je tente tant bien que mal de me défaire de ton étreinte, mais tu te loves davantage contre moi dès que tu sens la chaleur de mon corps s’éloigner du tien. Je suis engourdie complètement sous ton poids assoupi. Je caresse lentement l’ovale de tes joues, pour arrimer le souvenir sur le bout de mes doigts. Pour arrimer la réalité au rêve. Le gris du jour naissant fait danser les ombres sur ton visage brusquement vieilli par la trahison de la lumière oblique.

Tu ne m’as pas reconnue. Pas immédiatement. Pourtant, je n’ai pas changé. Pas tant que cela. Mes yeux s’enfouissent toujours sous mes pommettes lorsque je souris, ma voix est toujours aussi grave et je ris toujours aussi fort. Quand je t’ai aperçu sur le pas de la porte, je savais qui tu étais. J’ai tellement fantasmé cette rencontre. Tellement voulu que le moment se présente qui me donnerait l’occasion de me jouer de toi comme tu l’as si bien fait à mes dépends. Du haut de ta popularité adolescente, du haut de ton petit trône de pacotille, tu multipliais mesquineries à mon endroit. Et moi, amoureuse jusqu’à la lie, je buvais les mots de ton mépris comme des perles de verre pour moi déversées.

Mais à trente ans passés, les joutes du désir ne se mesurent pas à la même aune qu’à treize ou quatorze ans. Il ne t’est plus nécessaire de faire le paon devant ta petite cours ridicule pour connaître ta valeur à tes propres yeux. Tu ne t’es pas excusé pour ton attitude passée. Je crois que tu n’as jamais su toute la douleur que tu as pu faire naître dans ton sillage. La mienne et celle de beaucoup d’autres aussi, je présume. Je crois que tu as toujours été assez inconscient des dommages collatéraux de ta beauté infantile.

J’ai voulu saisir la chance qui m’étais offerte, te ramener à moi comme tu m’avais rejetée. Je n’ai pas hésité un instant lorsque tes lèvres se sont posées sur les miennes. J’ai plongé dans l’instant présent embrumé des parfums du passé. J’ai voulu me parer de revanche mordre dans ta peau comme tu avais attisé mes écueils. J’ai voulu être méchante pour le plaisir de l’être. Mais, je suis ainsi faite que les saveurs de la vengeance prennent rapidement de l’amertume et que je m’en défais sans même m’en apercevoir.

Et ce matin, tu es là. Ton corps s’accordant au mien comme les pièces bien huilées d’un engrenage depuis longtemps rodé. La victoire n’est pas ce que je croyais parce que tu es aussi petit que tu l’étais il y a si longtemps. Petit et obtus. Tourné sur toi-même, très peu à l’écoute de ce qui se passe à l’extérieur des limites étroites de tes désirs. Et moi, je me dis que je peux enfin tourner la page de ce passé que je n’ai jamais laissé s’envoler comme il se devait. Et moi, je me dis qu’il est largement temps que je m’encre désormais dans l’avenir. Parce que je mérite bien.

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mardi, octobre 28, 2008

Croire en toi

Tu revois ses yeux qui mordaient dans les tiens, pantelants de désir. Et tu te dis que ça ne peut pas avoir arrêté aussi subitement que cela. Sa gentillesse dans la rupture te touche encore plus que n’importe quel mot qu’il ait pu dire, avant. Et tu cherches des réponses à des questions qui n’en sont pas. Pas vraiment. Comment expliquer que soudainement l’amour s’est étiolé? Il s’est tiré sans crier gare, comme un voleur pris sur le fait. Il s’est tiré de son côté pendant que toi tu n’avais pas fini d’aimer. Et tu me demandes où est la justice là-dedans. Mais il n’y a jamais eu de justice en amour. Malheureusement.

Tu me demandes pourquoi ces amours mortes, avortées ou jamais vraiment surgies du néant te font encore tellement de mal. Je voudrais pouvoir prendre ta peine à pleines mains, la lover contre mon cœur pour t’en décharger un peu. Sauf que la vie, ce n’est pas ainsi. Pas de pitié pour les gens qui sont assez entiers pour vivre leurs sentiments jusqu’au bout. Pas de pitié pour ceux qui portent leur cœur en bandoulière et les balafres de leurs passions passées. La douleur est là, bien réelle, elle fait des vagues qui refluent, aux pires moments. Lorsque tu ne t’y attends pas. Lorsque tu réussi à coup de force d’âme à passer outre. Alors les raz-de-marée s’y mettent et tu n’y peux rien. Alors tu te sens seule. Alors, tu te sens veule.

Je voudrais pouvoir te dire que la vie n’est pas cruelle, mais je ne saurais mentir à ce point. Je ne saurais te regarder en face, toi qui persistes à croire en ta vérité, même si ça fait mal, surtout si ça fait mal. Je voudrais te dire que tu peux te mettre en mode repos et continuer à avancer dans la vie comme si de rien n’était. Barricader tes émotions dans une tour et les protéger du mieux que tu le puisses des envahisseurs possibles. Je pourrais te le dire, mais je ne le ferai pas. Parce que j’ai appris à mes dépends que vivre ainsi ce n’était pas vivre du tout. Que vivre ainsi c’était acheter au destin une paix précaire qui n’a de vrai que l’absence de sentiment.

Alors, je te dirai simplement, repose-toi, appelle-moi tant qu’il le faudra et crois en toi. Parce que moi, j’y crois.

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samedi, octobre 25, 2008

La petit reine

Du lundi au vendredi, elle se meut au centre de sa cour, pavanant sa blondeur presque indécente sur le petit monde qu’elle s’approprie. Du haut de ses quatorze ans, elle se sent tous les droits. Elle est jolie, elle le sait. Cela lui permet de s’arroger tous les droits sur ses pairs. Souvent, elle pousse l’audace pour se prévaloir du droit de se mettre au cœur de l’existence de tous ceux qu’elle croise. Dans l’autobus bondé des jours de semaine par exemple, elle parle plus fort que tout le monde, prenant un malin plaisir à crier des commentaires au gens qui sont le plus loin d’elle possible. Ainsi tous les quidams qui s’entassent autour d’eux sont-il témoin de son importance, de celle qu’elle se donne, de celle qu’on lui donne.

La plupart du temps, elle écoute de la musique sur un téléphone cellulaire. Point pour elle d’écouteurs, ce n’est pas nécessaire, son petit joujou fonctionne sans, ainsi elle peut faire profiter à tous ceux qui la croise de ses goûts musicaux. Qui ne sont pas les miens. Et forces de commentaires sur la pertinence de cette musique ajouteront aux bruits ambiants. Que les autres ados approuvent sans hésitation. Elle est celle qui sait. Qui connaît la valeur de tout un chacun sur ce trajet. Et surtout la sienne.

Je vois bien le mépris dont elle me toise. Je ne suis après tout qu’une vieille femme qui croise sa route tous les jours. Je n’ai même pas d’amis avec qui parler dans le transport en commun, alors je me mure dans un livre. Je sais que pour cette jeune demoiselle, c’est le comble du déshonneur. Cette solitude absolue qui lui raconte que je n’ai pas plus d’importance qu’un grain de sable dans l’univers, tandis qu’elle se donne bien du mal pour s’assurer de prendre toute l’importance à laquelle elle croit avoir droit.

Parfois, les adolescents sont tellement tumultueux que je n’arrive pas à me concentrer sur ma lecture. Alors je laisse dériver mes oreilles sur leurs conversations bruyantes et souvent ineptes. Je n’arrive que rarement à bien dissimuler mes sourires. Lorsqu’elle les attrape au passage, je sens que je la choque. Peu m’importe, en fait, ce qu’elle pense, je me retrouve à toutes les fois catapultée dans un passé depuis longtemps révolu. Ce moment de ma vie durant lequel j’avais moi-même quatorze ans et où je me définissais à travers le regard de mes semblables, ce moment durant lequel je n’étais certes pas la reine des lieux. Les reines de mon époque, en réalité, n’étaient pas très gentilles. Et quelque chose dans son attitude à elle m’affirme que l’histoire se répète aujourd’hui.

Malgré ses coups d’œil qui m’assassinent à chaque fois que flotte un sourire sur mon visage parce que je suis prise dans le milieu de l’ouragan de ce monde adolescent, je la vois se raidir et me juger. Je retiens à grand peine mes éclats de rire en me disant que, franchement, je suis bien aise d’en avoir terminé avec cette partie de ma vie. Maintenant, je n’ai plus autant besoin de l’approbation d’autrui à toute heure du jour.

Même si je dois admettre que l’approbation fait beaucoup de bien.

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dimanche, octobre 19, 2008

L'humour de la fuite

Elle n’était pas précisément gentille à son égard. Un brin trop fonceuse, un brin trop baveuse. Il la trouvait tellement vive, tellement intelligente et jolie. La plupart du temps, son attitude le faisait rire. Mais quelquefois, il trouvait qu’elle allait trop loin dans ses taquineries. Surtout celles concernant leur différence d’âge. Il n’était pas si jeune après tout, deux minces années les séparaient, mais elle continuait à enfoncer le clou comme si ses sentiments heurtés n’étaient que des dommages collatéraux auxquels il n’était pas essentiel qu’elle porte importance.

Malgré tout, il la désirait comme un homme désire une femme. Dans toute l’intensité de sa jeune vingtaine pas trop expérimentée. Elle le savait. Parfois, elle lui jetait ce regard intense qui évaluait la situation réelle, ce qui se terrait dessous l’humour acéré de ses paroles. Ça ne durait jamais très longtemps. Elle reprenait rapidement les sentiers connus des blagues qui créent une certaine distance, tout en favorisant les rapprochements. Pour se défendre, il se mettait aussi à l’humour, de façon maladroite, pour faire le punch, se sentir à la hauteur. Alors elle lui disait : « Tu fais tellement d’esprit de bottine que tu vas finir par t’emmêler dans tes lacets. » Et il avait envie d’hurler « Mais si tu m’écoutais quand je te dis autre chose que des niaiseries, je n’aurais pas besoin d’en arriver-là! » Règle générale, il passait cette information sous silence.

Il s’était battu pour elle, battu pour attirer et garder son attention. À coup, de soirées qui n’en finissent plus et de présence à tout moment. Il s’était rendu pratiquement indispensable, ami fidèle des hauts comme des bas de la jeune femme. Il savait qu’elle portait une peine d’amour qui lui avait lacérer le cœur, qu’elle n’avait cure de ces histoires d’amour qui finissent toujours par laisser des plaies béantes sur leur passage. Elle se trouvait dans le rebond de ces peines, cet instant durant lequel le désabusement l’emporte largement sur l’enchantement. Il arrivait à François de se dire que c’était justement cela qui l’attirait; l’envie de sauver Amélie malgré elle.

De son côté Amélie avait souvent l’impression d’être devenue ce qu’elle avait si longtemps détesté ; une femme qui joue de son pouvoir comme d’autres caressent les cordes d’un violon du bout de l’archet. Prise de culpabilité durant de brefs moments elle lui disait qu’ils feraient peut-être mieux d’arrêter de se voir. François, alors, défendait sa position bec et ongles, lui affirmant qu’il était assez grand pour décider lui-même lorsque ça ferait assez mal pour le mettre en danger.

Et puis, il quitta la ville pour poursuivre des rêves professionnels ailleurs. Créant ainsi une césure dans la relation. Un temps d’arrêt permettant une vue d’ensemble sur la situation. Seulement, François avait dû se rendre à l’évidence que la peau d’Amélie hantait encore ses doigts et ses songes. Qu’il s’était somme toute largement attaché. Alors prenant son courage à deux mains, un soir où il était de passage dans sa ville d’origine, il lui avait dit : « Tu sais Amélie, si tu avais voulu de moi à l’époque, tu ne serais sans doute plus toute seule aujourd’hui. » Elle avait répondu : « Je sais à quel point tu m’aurais aimée, et bien aimée. Je connais ton cœur et ta générosité. Je sais que j’ai créé toute seule ma solitude, et je suis vraiment désolée de t’avoir blessé. » Il lui fit un demi sourire, si triste, avant de tourner les talons et ne plus jamais revenir sur ces sentiers où il pourrait la croiser. Se jurant que, cette fois-ci, il serait guéri. À ma connaissance, il a réussi.

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mercredi, octobre 15, 2008

Guérir comme ça

Tu te dis que tu es guérie. Aucune maudite raison pour ne pas bien aller. Tu te dis que c’est fini. Plus de larmes amères, plus de fond d’océan qui ne mènent qu’aux abysses de toi. Tu te dis que c’est trop peu pour toi finalement. Mais tu n’écris pas. Lorsqu’on te demandera s’il y a quelque chose qui cloche, tu répondras, sure de toi, que vraiment non, tout va bien.

Les jours passent et ce qu’il y a de plus excitant dans ta vie c’est les programmes que tu suis au petit écran. Une addict de la télé. Tu te dois de te ruer sur le divan du salon pour ne pas manquer, ne serait-ce qu’une mini part de l’intrigue. Lorsque tes amis t’appellent pour sortir, tu as toujours de bonnes raisons pour refuser. Irréfutables. Tu n’as plus de conversation, plus d’élans du cœur sur toutes les futilités qui d’ordinaire t’allument. Plus de grand chambardement à la suite d’une rencontre fortuite, d’un sourire échangé en douce.

Tu passes ton temps à te regarder le bide et à te dire que tu es trop grosse pour être belle. Tu passes ton temps à te dire des choses assez vilaines et mesquines, mais tu ne fais rien pour changer le cours des choses. Tu accuses les autres de te délaisser. Tu ne fais pas d’effort pour entretenir tes relations épistolaires qui t’ont si longtemps fait du bien. Tu te négliges et tu négliges ton entourage. Tu es jalouse de l’attention d’autrui. Tu te dis que la vie est décidément injuste parce que tu es somme toute une personne agréable, mais bêtement délaissée par tous ceux que tu as cru un jour aimer. Tu demandes des comptes. Et tu calcules. La somme de ce que l’on te doit dépasse toujours largement la somme de ce qu’on t’a donné.

Tu tombes lentement dans les ornières de ce qui t’horripile le plus, de ce que tu reproches si vertement à ces personnes que tu as laissées sur le bord de tes routes toutes personnelles, parce qu’elles te faisaient plus de mal que de bien. Tu t’immobilises. Tu t’immoles sur l’autel des rêves qui ne se sont pas réalisés. Mais tu refuses obstinément de te regarder en face. Parce que tu te dis que si tu es guérie, tu ne devrais pas avoir à regarder ces choses-là.

Puis le printemps revient. L’air de rien. Tu te lances dans certaines activités qui te manquaient sans doute plus que tu ne le croyais. Et la roue du mouvement se met en marche. Soudainement, t’as le temps de tout faire et de faire tout. L’éclat de rire du fond de tes yeux se remet à briller. Tu cesses bizarrement de te chicaner avec tout le monde en te disant qu’enfin, ces gens se mettent à te comprendre, mais au fond, c’est toi qui changes. Pour le mieux.

Et puis un jour, tu t’assoies en compagnie d’une vieille connaissance qui ne t’a pas connue dans ce que tu as de plus laid et qui te dis que tu dois écrire, tout simplement. Et tu le crois.

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mardi, octobre 14, 2008

Le prix de ta liberté

Tu m’as dit : « C’est juste pour le plaisir, juste pour cette fois. » Je me suis laissée tenter. Charmée par l’intensité de ton regard, de ta voix dans mon oreille, comme s’il n’y avait que toi et moi au monde plutôt que nous deux et la quantité de gens qui étaient présents. J’ai pensé que je n’étais plus une petite fille qui courait après l’amour véritable au premier échange de regards, j’ai pensé qu’une seule fois ne me ferait pas de mal. J’ai pensé que je pourrais faire taire cette petite voix intérieure qui m’entrave si souvent.

Tu m’as dit : « C’est pour le plaisir de la chair, celui de la volupté. Laisse murmurer des sens au lieu de les museler… » Tes paroles se sont suspendues à tes gestes. Mon souffle s’est suspendu à tes doigts. Et je me suis vue tomber. Abandonnant derrière moi le souvenir de la femme forte et rebelle qui me fait office d’écran public. Au matin déjà, je prenais la résolution de ne plus te voir. Éviter les rencontres impromptues, les yeux qui tuent. Pousser l’audace jusqu’à changer des habitudes pourtant bien ancrées. Parce que je sais maintenant reconnaître les petites bêtes qui m’attachent le corps et le cœur. Et que j’avais au moins compris qu’entre toi et moi, il y aurait toujours ta liberté.

Par jeu, je crois, tu t’es mis à arpenter mon sillage. Fantôme suave de mes soirées qui essayaient de provoquer la fuite. La seule fois s’est mutée en plusieurs. Mon cœur s’est resserré autours de toi. Plus capable de me nier quelle importance tu avais prise sur moi. Je me suis arraché les ongles à faire taire mes doutes et mes angoisses parce que tu ne voulais pas t’engager et qu’au seul mot « couple » je te voyais déjà voguer vers d’autres cieux que les miens. Me taire pour ne pas perdre cette complicité et cette unicité que j’avais mis si longtemps à établir.

J’ai laissé toutes les portes ouvertes. Pas osé dire que ça me faisait mal quand ta précieuse liberté amputait la mienne. Pas osé avouer, qu’à mes yeux, tu étais un peu plus que tout ce que j’avais connu jusqu’à toi. J’ai tellement bien adopté mon personnage, façonné pour toi, que mes amis les plus proches s’y sont laissés prendre. Après tout cette femme muraille me ressemblait bien. Alors pourquoi auraient-ils questionné cette indépendance dont je faisais montre?

Nous avions succombés à la chair, je m’étais accroché les sentiments. Toute seule, sans ton aval. Je savais que tu me dirais que tu n’étais prêt à rien. Ni à vivre avec moi, ni a faire des projets plus loin que la semaine suivante. Je savais que tant que je resterai là, immobile et fidèle, je n’aurais, en partage, que les restes épars de ce que tu es.

Je me suis détachée avant de partir. Fait un deuil difficile. Prenant ma douleur sur ma poitrine comme d’autres bercent leurs enfants. On s’est quittés s’en trop s’en apercevoir. On s’est quittés comme lorsqu’on dit : « Au revoir » à un ami sur le coin d’une rue. J’ai repris mes sentiments meurtris et je les pansés lentement. J’ai repris mes sentiments meurtris et je les ai fait grandir lentement et maintenant, je suis prête, enfin, à les offrir à un autre que toi.

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vendredi, octobre 10, 2008

Nourir mon âme

La salle était déjà pleine lorsque nous sommes arrivés. J’aurais dû rappeler à mes compagnons de spectacle que j’ai un peu de peine à supporter la foule. Un peu beaucoup. Et puis, je suis petite, je me retrouve toujours à voir une forêt de têtes et de dos davantage que le spectacle lui-même. Ce n’est pas très agréable. Mais j’ai essayé. Essayer de me baigner dans la foule sans trop en sentir les conséquences. Sauf que, ça n’a pas très bien réussi. Au bout de trois chansons, j’avais des vagues de chaleurs qui me remontaient les pieds jusqu’à la tête, faisaient battre mon cœur un peu trop vite. Et puis, j’ai perdu le fil du spectacle aussi génial soit-il. C’était Karkwa, hier soir au Club Soda.

Alors, je suis montée aux balcons. Histoire de me donner un peu d’espace, histoire de me donner une chance de voir quelque chose. Sage décision pour une petite Mathilde presque guérie de ses peurs irraisonnées. Presque, mais pas encore tout à fait. Du haut de mon perchoir solitaire, j’ai observé la foule, cette masse compacte de têtes qui chantait à en perdre les sens les textes superbes sur une musique tout aussi fantastique. La plupart du temps, lorsque je vais voir un spectacle, je constate que les filles se regroupent et deviennent des adolescentes effervescentes le temps du show. Hier, hier c’était différent.

Je pouvais remarquer, de mon perchoir temporaire qu’une masse d’hommes laissait la musique lui dresser les poils sur le corps. Les femmes étaient éparpillées dans cette marée et tentaient de bouger un peu au cœur de la musique, pour en sentir davantage le pouls, je crois. Moi, je me berçais des paroles qui m’allument depuis que je connais ce groupe-là. J’ai toujours eu les mots sensibles et les oreilles beaucoup plus aiguisées aux images qu’aux notes. Et je me suis laissée harponnée par des phrases que je connais par cœur comme si c’était encore la toute première fois que je les entendais. Qu’une personne ait pu écrire « Je déchirerai le temps lui-même » ou encore « J’allume ton visage, un phare dans la nuit », pour ne tirer que deux vers qui m’ont hanté les oreilles toute la nuit, me fait mourir d’envie. D’envie de les avoir écrit la première. Mais d’autres ont créé ces images avant moi alors je m’en repais le plus possible.

J’ai quitté avant la fin. Au moment où les rappels allaient commencer. Trop de foule, trop de gens, pas assez d’air. Je me sentais cuite à l’étouffée. Je suis partie en voleuse, sans le dire à personne, surtout pas aux gens avec qui j’étais venue (je m’en excuse). Besoin criant de prendre un pas sur l’espace. Besoin d’être seule après tant de gens. J’ai marché plus loin que supposé avant de m’engouffrer dans le métro. Marché pour me nourrir les veines d’oxygène. En repassant des extraits que j’avais encore en mémoire.

Pas de regrets. Un bon spectacle qui valait largement le prix payé. Mais j’avais besoin de faire le point toute seule sur ces émotions si grandes qu’on m’a fait vivre. Avant de m’endormir tout doucement, bercée par les mots qui me nourrissent l’âme.

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jeudi, octobre 09, 2008

les nuits qui ne portent pas conseil

C’étaient des nuits aux contours laiteux. Des nuits que je voyais se lever avec le poing au cœur comme une masse de briques sur mon estomac. Le jour, je ne disais rien, je ne faisais rien, je n’appelais personne. J’écoutais la télévision pour assommer la douleur. Pour assommer l’ennui. Mais lorsque l’aiguille de l’horloge croisait vingt-trois heures, mes angoisses s’aiguisaient et il n’était plus question que je trouve le sommeil. Des que mes yeux s’affaissaient sur l’éveil, je voyais arriver en boucles toutes mes défaites, toutes mes erreurs, persuadée que j’étais de n’être que la sommes de celles-ci. Quelquefois aussi, c’étaient les visages superposés des hommes qui m’avaient plus mais qui ne m’avaient pas rendue la pareille. Alors, je me convainquais que j’étais trop grosse, trop laide pour mériter de telles attentions. Alors je me voyais comme une loque. Rien de moins.

J’essayais de fermer les lumières et les yeux, j’essayais de trouver le repos de l’âme et du corps. Je ne voulais plus vivre. Pas dans un tel état. Mais j’étais trop lâche pour mourir aussi. J’errais donc sur les rives de l’existence sans trop savoir comment revenir à moi-même. Les nuits étaient longues. Les nuits étalaient leurs heures jusqu’à ce que le soleil traverse timidement les stores. À ce moment seulement, je pouvais penser à autre chose qu’à ma solitude. À mon immense solitude. J’appelais ma mère à la rescousse. Tout le temps. Et je pleurais les larmes que j’avais retenues toute la nuit. Je lui disais à quel point rien n’allait plus. Elle était forte, forte pour sa fille. Même si au fond d’elle-même criait le désespoir de me voir m’enrouler autour de mes douleurs sans plus avoir de manière de me sortir de ces impasses qui revenaient toutes les nuits.

Un jour, un ami est venu me chercher par la peau du cou. Il le fallait. Il m’a amenée voir des gens qui pouvaient m’aider parce qu’il était évident que je n’y arriverais pas toute seule. J’ai tranquillement recommencé à dormir durant les heures sombres qui reposent le mieux. J’ai tranquillement cessé de pleurer tout le temps. Et j’ai découvert que pouvais pleurer encore. Quelquefois, lorsque ça faisait du bien. Laisser les digues de mes larmes crever sur l’oreiller. Pleurer sur moi, mais aussi sur d’autres comme si désormais je pouvais partager les douleurs, plus uniquement me lover dans les miennes. Les nuits sont redevenues des compagnes acceptables; la plupart du temps.

Il m’arrive encore de m’échouer sur l’écueil de mes pensées. Il m’arrive encore de n’avoir plus rien à dire que des cris de douleur sous l’œil serein de la Lune. À tourner dans un sens et dans l’autre. À espérer que mes pensées me feront l’honneur d’une trêve pour que je puisse m’engloutir dans le sommeil. Et les minutes passent comme autant d’heures volées au sommeil. Alors j’attends que les images cessent de me tourner en bourrique à mes propres yeux. Alors j’attends que le soleil redonne des couleurs diurnes à ma vie, même lors de matins gris.

Alors j’espère bien inutilement que la prochaine fois sera dans très longtemps. Mais je sais très bien qu’il n’en sera rien. La dépression m’aura au moins appris que je ne dois pas me débrancher de moi, même lorsque ça fait mal et que ça perturbe mes précieuses heures de sommeil. Désormais je traverse mes déserts en me disant que demain est une autre nuit

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