mardi, janvier 30, 2007

Les petits garçons

J'ai toujours eu un vif succès auprès des garçons en bas âge. Je veux dire, des poupons. Dès qu'ils commencent à regarder le monde qui les entoure, jusque vers cinq ans, environ. Les petites filles aussi m'aiment bien, mais les garçonnets, c'est fou ce qu'ils me font des beaux yeux. Je dois avoir une face à bébé, c'est comme rien. Combien de fois par semaine, à la libraire, je ne fais que passer à côté d'un poupon hurlant pour qu'il cesse subitement sa crise, trop occupé qu'il est, à me regarder. J'ai jamais cru que j'étais une belle femme, quoiqu'on ai pu me dire. Une question de perspective de soi, je présume. Mais, les petits garçons, me trouvent fascinante, alors, c'est très bon pour l'estime de soi. Le plus drôle, c'est la manière dont ils réagissent à ma voix. Je ne suis même pas dans la même pièce qu'eux, ça fait un moment que je ne les ai vus, et déjà leurs sourires s'allument lorsque j'ôte mon manteau en jasant avec l'adulte en présence. C'est un truc de Mathilde. Un truc que je peux partager avec personne puisque je ne sais même pas ce que je fais pour les charmer, c'est involontaire et bienvenue.

Ok, Ok, je n'ai pas d'amoureux et c'est certain que les petits garçons que je fascine sont un peu trop jeune pour être de la fibre de ceux dont je tombe amoureuse. Et puis j'ai avec eux une relation toute maternelle, type de relation que je ne désire pas avoir avec les hommes qui partagent ma vie. Vous me direz que je finis toujours par materner tout le monde, ce qui ne sera que trop vrai, mais il y a une limite dans l'attitude, n'est-ce pas? Bref, les fleurs que me font mes petits admirateurs, me flattent toujours autant et me remontent invariablement l'estime de moi. Plus c'est surprenant, plus j'en garde un souvenir tenace. J'ai dans ma besace une histoire de petit garçon que je ne connaissais pas, qui, voyant qu'il n'y avait absolument plus de place dans le bus, s'est assis sur mes genoux. Sa mère était rouge et bafouillante. Moi je riais. Ou, cet autre bambin, dans un autre lieu public qui crie très fort : « Papa, regarde la madame là, elle est belle hein? » Je voulais rentrer dans le plancher, et le père se serait volontiers évaporer dans l'espace.

Et puis hier soir, j'ai revu cette étincelle dans les yeux d'un adulte. Pareille. Pas une étincelle de désir, ni de convoitise, la même maudite petite face du bambin que je fascine. Et j'ai revu en rafale toutes ces autres fois où j'ai aperçu la même chose. Cette envie de me parler. Ou plutôt d'écouter ce que j'ai à dire sur eux, leur talent, leurs choix. Cette concentration intense sur ce que je pourrais dire. Là où le temps s'arrête, le temps que mon appréciation tombe. Alors, j'ai compris. Plein de choses. J'ai compris entre autres pourquoi les hommes dont je suis la groupie cherchent mon regard et ma présence lorsqu'ils me savent dans leur salle : Je les rassure. Je les rassure comme une maman rassure ses enfants.

Dans les dents Mathilde : même en fan finie complètement ridicule, t'es pas foutue de te sortir la fibre maternelle de la posture. C'en est décourageant.

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dimanche, janvier 28, 2007

La conjecture du fou

Ceci est ma participation de la semaine au Coitus. Le thème était La conjecture du fou. Je l'ai suivie.

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Je connais Frédéric depuis qu'il est né, ou presque. Il avait quatre mois lorsque j'ai commencé à le garder. Moi, j'avais onze ans. Même à ce très jeune âge, il me faisait la fête lorsque j'arrivais, multipliant les sourires et les fossettes, rien que pour moi. J'étais pour lui une adulte rassurante. Quelquefois, son père m'appelait en renfort pour savoir quels étaient mes trucs pour passer ses coliques ou autres larmes incompréhensibles. La Saint-Valentin était devenue une tradition entre lui et moi. Ses parents, toujours amoureux s'échappaient à chaque année pour nous laisser seuls. Il est bien le seul homme qui ai été mon Valentin durant plusieurs années. D'ailleurs, la première fois où je lui ai fait faut bond, il était furieux contre moi. Mais ses six ans très mignons ne faisaient pas le poids face à ma vie de femme qui s'ouvrait devant moi.

Lorsque sa mère est morte, d'un cancer foudroyant, il avait huit ans. Je crois que le père et l'enfant se sont naturellement tournés vers moi parce que j'étais une présence féminine récurrente dans leur vie depuis la naissance de l'enfant, ou presque. J'aidais donc Pierre avec son fils, encore davantage que dans le passé puisque la monoparentalité lui était tombée dessus sans crier gare et qu'il n'y était pas du tout préparé. Et puis, il était si triste de la perte de sa compagne que je craignais les conséquences pour la santé mentale du petit. Malgré tout, Freddie s'en sortait plutôt bien. Entre son père et moi, il avait trouvé un équilibre acceptable. C'était un garçon épatant, par sa vivacité d'esprit et sa chaleur humaine.

Lorsqu'il est entré à l'école secondaire, nous avons eu des discussions sans fin sur la place qu'il devait prendre et celle qu'il pouvait prendre. Je me retrouvais, à vingt ans à peine, prise dans des considérations un peu trop adultes pour moi, mais j'acceptais de jouer le rôle parce que j'aimais profondément cet enfant. C'est à peu près à cet époque que Pierre s'est trouvé une autre compagne de vie. Et pour la première fois depuis que je connaissais Frédéric, j'ai senti que son équilibre était plus précaire que ce qu'il avait toujours laisser présager. Mais l'adolescence pesait aussi dans la balance de ses débordements et de ses renfermements. Sa belle mère était une femme extraordinaire, mais Frédéric persistait à la rejeter. Elle pleurait souvent les méchancetés qu'il lui assenait, tandis que Pierre tentait tant bien que mal de comprendre pour quelles raison son fils était à ce point violent avec elle. Après une difficile année de cohabitation Annie les a quitté. Je crois, encore aujourd'hui qu'elle a davantage quitté le fils que le père. Et celui-ci a choisi de ne plus intégrer les femmes de sa vie à sa vie familiale.

Lorsque Frédéric a eu quatorze ans, il était devenu un adolescent franchement taciturne, voire inquiétant. Pierre et moi avions de longues discussions à son sujet. Et naturellement nous nous sommes rapprochés. J'avais grandement participé à l'éducation de son enfant, j'avais été présente dans la maison au cours de toutes ces années. Je crois que je suis tombée amoureuse de Pierre, par inadvertance et par habitude aussi. Et nous croyions sincèrement que Frédéric serait heureux que j'entre dans leur vie par la grande porte.

Il n'a pas tellement apprécié en fait. Je ne le gardais plus cependant j'allais tout de même souvent les voir. Autant pour le père que le fils désormais. Pierre et moi ne nous cachions pas, mais nous prenions notre temps pour annoncer la nouvelle à Frédéric. Nous n'avons pas eu le temps de le faire, c'était un garçon intelligent qui comprenait très vite ce qui se passait autour de lui. Alors un soir, j'allais me lever pour débarasser la table quand il m'a dit d'une voix sombre « Reste assisse. » Son injonction m'a sciée. Il s'est mis à parlé d'une voix lugubre, nous expliquant comment nous l'avions trahi. Comment, JE l'avais trahi. Il s'est levé et a fait le tour de la table. Avant que j'aie le temps de le réaliser, il me plantait un couteau de cuisine dans la colonne vertébrale.

Depuis ce jour, Frédéric est en institution. Nous avons découvert par la suite qu'il était atteint de schizophrénie. Moi, j'essaie tant bien que mal de m'habituer à une immobilité presque complète. Alors pour passer le temps, j'écris.

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mardi, janvier 23, 2007

De rides en souvenirs

Tu as dit : « Je cherche les livres de Guy Gavriel Kay, en anglais. » La question était pour moi, quoique adressée à un collègue. Je suis restée saisie, cachée derrière mon chariot. Un adolescent évanoui dans des souvenirs perdus. Là, juste devant moi. Même corps dégingandé, même sourire cassé sur une dent jamais réparée. Alors j'ai dit : « Salut. » Tu ne t'étais même pas tourné vers moi que déjà tu avais reconnu ma voix. L'étincelle de tes yeux s'est allumée pour moi comme elle le faisait lorsque tu venais traîner tes heures dans le club vidéo où je travaillais. On s'est enfoncé dans le ventre de la librairie, loin des bruits du comptoir, pour que je te montre les livres que tu étais venu chercher. Pris dans un cocon hors du temps. En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, tu as fait le tour des questions importantes. Sans concession à la bienséance, encore moins aux apparences. Des questions comme des flèches au coeur de l'authenticité. Je me rappelais en rafale, ces discussions sans fin dans les parcs qui nous ont vu grandir, cette faculté d'aller droit au but qui faisait peur à bien des gens autour de nous. Sans passé ni présent. Toi et moi, simplement.

J'avais envie de te dire que tu ressemble à ton père. Les même rides autour du sourire et des yeux. Je me suis retenue parce que me rappelais que cet homme était mauvais. La différence entre toi aujourd'hui et le souvenir que je garde de lui c'est que tu n'empestait pas l'alcool comme il le faisait toutes les fois où je le croisais. Combien de fois es-tu venu le chercher au vidéo parce qu'il était trop con? Je ne sais plus. Je n'ai jamais su, je n'avais pas fait le compte à l'époque. Mais je sais qu'il était déséquilibré. Il me disait des choses que j'aurais préférer ignorer, sur toi, tes frères, ta mère. Sur moi comme femme. Il posait sur ma peau un regard lascif qui me salissait à tout coup. J'avais envie d'hurler, engoncée dans mon mur de virginité qu'il écrasait de ses commentaires grivois. Je n'avais pas peur de lui, mais je ne l'aimais pas. Et tu arrivais, penaud, l'excusant de ton mieux et culpabilisant ses fautes. Comme si tu en étais responsable. Tu ne l'étais pas.

Tu le ramenais à la maison et tu revenais me chercher plus tard pour qu'on écume ensemble les pavés du quartier. Tu pleurais parfois la honte. Tu t'excusais tout le temps. J'étais muette devant cette douleur que je ne comprenais pas. Je venais de la ouate des enfants protégés. Tu étais né à l'autre bout du prisme. Dans le danger. On s'asseyait sur la terre battue, sous les branche de ce buisson immense qui nous cachait des regards indiscrets. Alors je glissais ma main dans tes cheveux, sans parole. Et nous laissions couler tes larmes dans les sillons de tes joues trop creusées. Tu t'en voulais pour ce père que tu n'avais pas choisi. Tu t'en voulais pour les souillures que ses paroles me laissaient sur le corps et sur l'innocence aussi. Tu prenais ma main dans la tienne, grande et calleuse, comme si j'étais celle qui avait besoin de réconfort.

Quelquefois, lorsqu'il n'était pas soûl, ton père m'invitait chez-vous, pour après l'école. Je n'ai jamais vu l'intérieur de ta maison, tu m'en as toujours protégée. Je t'en remercierai toute ma vie. Je ne comprenais pas vraiment quel était le danger, mais tu savais. Tu aurais levé une armée pour moi. Tu te serais démené en fou pour que je ne connaisse jamais cette vie qui était la tienne. Mais tu m'en parlais beaucoup. Dans tes gestes et dans tes silences. Tu me disais l'innommable. Entre deux larmes. Et puis tu es tombé amoureux de moi. Et j'ai eu peur. Parce que je ne pouvais pas t'aimer assez pour te protéger de cette vie qui t'avais malmené. Parce que mon refus te ferais mal. Je le savais. Mais je t'ai tout de même dit que je n'étais pas amoureuse de toi.

C'était le tout dernier jour de l'école secondaire. J'ai continué mon chemin sans te regardé. On ne s'est plus jamais revu après. Et tu es apparu dans mon monde sécurisé, surprenant mes souvenirs avec la violence de mes émotions adolescentes. Je suis retournée au comptoir pour répondre au prochain client et lorsque j'ai regardé dans ta direction tu avais disparu, comme je l'avais fait, vingt ans plus tôt.

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lundi, janvier 22, 2007

Les mots-croisés

C'était un appartement un peu mal foutu. Une petite pièce, à peine assez grande pour y loger un lit simple, sans bureau ni commode, un immense salon dans une pièce en rotonde, ensoleillé par trois immenses fenêtres, une salle-à-manger avec vaisseliers encastrés, d'un chic fou, balayée les lumières matinales, une cuisine assez vaste pour y asseoir une famille de 10 personnes, une salle de bain plus grande que la petite chambre et, sous la mansarde, une pièce, toute droit sortie des images romantiques que je me faisais, enfant, de la chambre idéale. J'imagine, qu'à l'époque de la construction de la maison, tous les lits de la maisonnée étaient à l'étage et que la vie se déroulait au premier plancher. Ce que je préférais dans ce logement, c'était la galerie, nichée à flanc de colline et surplombant tout l'est de la ville.

Il y avait dans le salon un vieux divan rose, inconfortable, qui m'a vue, un jour crier, à la tête de l'Homme qu'il était con parce qu'il m'avait dit « je t'aime » quatre jours seulement après qu'on se soit rencontrés. Je sens encore, sur mon avant-bras, dix ans après les événements, la pression de ses phalanges pour m'empêcher de me sauver en courant le plus loin possible de lui et de son amour auquel je ne croyais pas. Il m'avait tirée à lui, cajolée jusqu'à faire taire ma peur. Lissant ma chevelure emmêlée de ses doigts patients. Aimants. Je l'admirait tellement. Il était beau, beau comme ceux que je trouve beau. Intelligent aussi. J'ai toujours eu un faible pour l'intellect. Il m'impressionnait, sans que je ne me sente diminuée en comparaison. Je nous percevais en équivalence, nous accordant à chacun des points forts et des points faibles.

Je me me rappelle plus si c'était le premier ou le second matin dans cet environnement. Mais je nous revois dehors, dans la brise de juillet, à siroter un café pendant qu'il lisait le journal. Lorsqu'il eût terminé, il se mit en devoir de faire le mot-croisé. Je lui avouai que j'avais toujours vu mon père en faire mais que je ne perdais patience au bout de trois mots. Il m'a tirée à lui en riant, et m'a dit : « On va le faire ensemble d'abord. » Je suis très douée en mauvaise foi lorsque je ne suis pas bonne dans quelque chose. Alors je faisais la gueule toutes les fois où je me butais à un mot. Il me donnait des indices, pour m'amener à faire les liens nécessaires. Je me choquais lorsque je n'avais pas vu une réponse évidente. Il me disait : « T'es belle quand tu te mets en colère! » Je lui tirais la langue de frustration.

Pendant les années où nous avons étés amoureux, les mots-croisés sont devenus le rituel de nos matinées paresseuses de fin de semaine. C'était un moment de confort et de complicité. Je me suis améliorée en faisant les grilles lorsqu'il n'était pas avec moi. Planchant sans relâche, dictionnaire à la main. À la fin, j'étais aussi bonne que lui. Ce n'était pas l'important. Les mots-croisés étaient notre activité matinale, un point de jonction d'une intimité en construction constante.

J'ai continué à faire des mots-croisés après lui. Tous les jours, ou presque. Par conséquent, je suis plutôt rapide, du moins avec grilles dont j'ai l'habitude. C'est la première chose que je fais après avoir lu mes courriels. Il y a quelquefois des réunions de colocs dans ma chambre durant cette activité. Petit à petit, j'ai transféré mon plaisir à ceux avec qui j'habite. Je fais un peu enrager Julie parce que je suis meilleure qu'elle et que je réussi généralement les grilles qu'elle ne remplit qu'à moitié. Alors je l'aide, comme Il l'avait fait avec moi. Trouvant de nouveaux synonymes pour l'amener à la réponse souhaitée. Il y a quelque chose de réconfortant dans ces matinées de mots. Je suis devenue le professeur et mon élève progresse à grands pas. Elle est aussi têtue que je l'étais. Allant jusqu'à s'acheter des livres remplis de grilles pour s'exercer.

Moi, je nous regarde avec tendresse et je repense à mes débuts. Alors me revient en tête ce que je disais après ma dernière rupture : je saurai que j'aurai trouvé un homme à ma mesure le matin où, j'aurai envie de partager avec lui une matinée confortable; qu'il fasse des mots-croisés ou pas.

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mercredi, janvier 17, 2007

Être unique

Tu le regardes aller et ça te pique le coeur. Le sol s'ouvre sous tes pas et tes repères font des cabrioles dans tous les sens. C'est plus fort que toi, complètement irrationnel, et tu le sais. T'as la gorge sèche, les poings serrés, la colère qui gronde en dedans. Ton réflexe c'est de faire la gueule à ceux qui t'entourent. Il n'a rien fait pourtant. Simplement, s'est-il arrêté quelques instants pour parler à cette femme tout droit sortie d'un passé que tu aimerais oblitérer. Tu te tances pourtant. Tu sais que sans elle il ne serait pas celui que tu as rencontré. Tu sais que sans elle, il serait différent et que sans doute tu n'en serais pas amoureuse. Il est à quelques pas de toi à lui sourire. Sorcière à tes yeux dans sa beauté infinie. Détentrice du pouvoir d'un amour révolu. Et toi t'es toute seule, parmi tes amis à douter. Tu ne les écoutes plus, focussée entièrement sur les yeux de la belle. Tu épie chaque geste, chaque sourire. Tu te tords les tripes à te demander ce qu'elle avait que tu n'as pas, toi.

Lorsqu'il revient s'asseoir avec toi. Tu fais semblant d'être en grande discussion avec tous ces autres qui vous accompagnent. Pour faire comme si ce n'était pas grave. Pour faire comme si la maudite jalousie, cette inquiétude qui te mine, n'avait pas de prise sur toi. Chasser le doute, les questions, l'insécurité en les ignorant. Cependant personne n'est dupe. Ni toi, ni lui, ni ceux qui t'aiment et qui t'ont observé te consumer jusqu'à la moelle, dans la verdeur de ton regard. Il prend doucement un boucle dans tes cheveux emmêlés et la tiens doucement entre ses doigts, une étoffe soyeuse à lui seul réservée. Sauf que ce n'est pas le signe que tu remarques, il n'a pas d'importance. Pas de prise. Tout ce que tu sais, c'est qu'elle est belle, plus belle que toi, évidemment. Tout ce que tu vois c'est qu'elle est intelligente, drôle et séduisante. Par dessus tout, tu vois qu'il a tant de plaisir à la recroiser. Désormais, dans cette vaste salle, il y a un écran de brume qui vous désunit. C'est fini, déjà. Tu le sais, c'est fini, ça ne peut pas être autrement. L'amour de toute une vie, sur le même plancher que toi, tu ne peux pas te battre contre ça.

Il te murmure à l'oreille : « T'es la plus belle fille ici ce soir, tandis que sa voix se casse sur ses plus bas octave avant d'ajouter, je t'aime ». Tu ne le crois pas. Tu sais que c'est juste pour la frime. Comment pourrais-t-on t'aimer toi après elle? Impossible. Lui, évidemment, ne sent pas à quel point tu te tortures. Alors il se lève et te quitte pour aller faire une partie de billard. Et tes amis te secouent. Ils te font remarquer que depuis tous ces mois, c'est toi, et toi seule qu'il a choisie. Qu'il n'a donné aucun signe de reddition, malgré tes coups de gueule, malgré tes enfantillages, malgré la bête féroce qui t'habite et te détruit encore plus sûrement qu'elle ne détruit tes relations de couple. Tu n'as pas ce passé bien rempli d'amours mortes se muant en amitiés qui, sans être fréquentes, sont à tout le moins présentes. T'as toujours dit que ton passé t'en voulais pas et tu l'as régulièrement foutu à la porte de ta vie. Faire table rase de ce qui est négatif et rejeter avant de te faire jeter.

À la table de billard, que tu vois bien, il y a cette pulpeuse jeune femme qui a un talent fou pour faire rire ses partenaires. Légère, spirituelle et engageante. Tu te sens en danger parce qu'il y a dans la même pièce, le passé et l'avenir et que tu n'es qu'un présent qui n'a pas de durée. C'est ce que tu dis. Parce que toi... Ben toi, t'es seulement toi. Pas tout à fait belle mais pas tout à fait laide non plus. Pas tout à fait drôle, mais pas tout à fait plate. Pas tout à fait brillante, mais pas tout à fait terne. Rien que bien ordinaire. Rien d'autre qu'ordinaire. Tandis que lui, à tes yeux, il est une perle. Quelqu'un que tu aimes avec toutes tes fibres, même s'il est con parfois, même s'il te délaisse tous les samedis soirs pour son sacro-saint hockey. Et tu ne peux pas croire qu'il te voit exactement de la même manière que tu le perçois. Tu n'arrives pas à croire que chaque amour est unique et que t'es en soi, une belle unicité.

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lundi, janvier 15, 2007

De la tête et des idées

Je l'assume désormais, le mois de décembre 2006 ne fut pas une réussite dans ma vie. J'ai vraiment tourné autour du gouffre de ma dépression en me mirant dedans, fascinée par le puit sans fond des idées noires qui s'agitaient, dans son oeil tourbillonnant. Quand on passe autant de temps à se complaire dans la contemplation de nos idées noires, on fini par perdre un peu le cours de sa vie. On oublie des détails, un peu partout autour de soi. Détails qui n'ont soudainement plus d'importance tant qu'on ne les a pas égarés.

Ainsi, dans un délais assez bref, j'ai perdu mon chapeau. Petit bibi bleu que je portais avec coquetterie durant les mois d'un automne aux allures printanières. Évidemment, la perte de l'objet s'est produite lorsque la neige s'est mise à égayer le ciel de ses flocons et que la température commençais à descendre sous la barre du point de congélation. Mes oreilles en on pris pour leur rhume, mon corps aussi. Et le bibi fut retrouvé durant un redoux, dans la salle-à-manger maternelle. Depuis, je vérifie deux fois plutôt qu'une que j'ai la tête bien couverte avant de m'aventurer vers le monde extérieur. J'ai aussi développé une tendance fort régulière à perdre mes paquets de cigarettes. Dans les bars que je fréquente. Par conséquent, je dépense une fortune supplémentaire pour assouvir mon vice.

J'ai refais une partie de ma garde-robe récemment. Je porte fièrement mes nouveaux atours, récoltant au passage les compliments de mes connaissances et amis qui me font remarquer que mes tenues ont été choisies avec justesse. Il faut savoir que m'habiller a toujours été mon calvaire : je déteste cela. Alors je remets toujours cette tâche à plus tard, quitte à me arborer des vêtements tellement usés qu'ils en sont devenus informes. Je ne me maquille pas souvent non plus. Comme si m'occuper de moi était une activité secondaire. Je râle que je ne me trouve pas belle, mais je ne fais pas grand chose pour me mettre en valeur. Et je ne fais surtout pas attention aux choses qui pourraient me mettre en valeur. Alors la première fois que j'ai mis mon tout nouveau chandail brun, celui qui fait briller mes yeux et me caresse l'oval du visage, eh bien, je l'ai perdu. Je ne me suis pas aperçue avant quelque jours, bien entendu. J'ai donc entrepris une quête, presque surréaliste de ce chandail. Ne me souvenant plus du tout ce que j'avais pu en faire. À tout hasard, je demandais à quiconque si on ne l'avait pas vu passer. De cette manière, j'ai posé la question dans un bistro où je vais quelquefois et il était là, tout sage, dans le fond d'une boîte d'objets perdus. À ce moment, je me suis dit que je devais vraiment faire attention à garder mes idées dans ma tête parce que franchement, je commençais à m'éparpiller un peu trop.

Et puis vendredi, je suis allée prendre un verre avec une amie qui m'est très chère. Ensemble nous avons fais le tour de mon gouffre intérieur, pesé les tenants et les aboutissant de mes marasmes. Une fois de plus perchée sur la rive de mon gouffre j'ai observé le spleen s'y vautrer. Et j'ai pleuré un peu. Je suis repartie à la maison avec la tête à côté des épaules cette fois-ci aussi. Assurément. Puisque c'est mon porte-feuille que j'ai oublié sur la table. Oui oui, mon porte-feuille. Ce machin qui contient toute mon identité et mon argent. Chose que je n'ai absolument pas en quantité infinie. Je ne me suis rendue compte de mon étourderie que le lendemain soir. Et j'ai eu la frousse puisque nous sommes rentrés dans un taxi que nous avons hélé sur la rue, donc impossible de retracer la compagnie si d'aventure c'était dans la voiture que j'avais laisser choir l'objet en question. Mais non. La chance sourit aux innocentes de mon acabit et non seulement le porte-feuille était-il en un morceau derrière le bar, mais tout mon argent était encore à l'intérieur. Je suis donc allée le récupéré hier soir. L'attrapant au vol, j'ai couru de l'autre côté de la rue pour m'acheter des cigarettes et voilà que je demande au commis une pinte de rousse, plutôt que les cigarettes sus-mentionnée. N'importe quoi! Vraiment je vous dit j'ai la tête à côté de mes idées.

Cependant, il n'y a pas que du mauvais dans tout cela. Ce matin en m'examinant devant la glace, j'ai oublié que je n'aime pas mon corps et je me suis trouvée jolie, toute nue dans la lumière crue du matin.

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jeudi, janvier 11, 2007

Le chien de mon dentiste

Voici une nouvelle contribution pour le Coitus impromptus que je vous partage. Bonne lecture!

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Lors de notre première rencontre, j'avais épluché les pages jaunes pour trouver un endroit où je pourrais faire traiter une rage de dent un dimanche. J'étais dans mon petit appartement, à laisser couler mes larmes de douleur en me disant que c'était cuit et que je serais sans doute bonne pour endurer l'innommable toute une journée et toute une nuit encore, quand j'ai vu cette annonce d'une clinique dentaire privée qui fournissait des services d'urgence même le dimanche. J'ai donc téléphoné en vitesse et j'avais un rendez-vous deux heures plus tard, à l'autre bout de la ville. Ce qui me donnait le temps de me rendre, tout juste. La clinique en question était située à l'autre bout de la ville et les services de transport en commun, dans cette bourgade, passablement aléatoires le dimanche.

Je suis donc arrivée sur place avec la joue droite complètement enflée, et un mal de crâne à faire jurer un saint. La dame de la réception a jugé que mon cas était effectivement une urgence et je n'ai pas attendu du tout. Me voilà donc amenée dans le fond de la clinique où une technicienne bête comme ce n'est pas permis m'a accueillie de son air revêche, me faisant clairement sentir qu'il lui déplaisait fortement de travailler un dimanche. J'avais tellement mal que je ne pensais plus vraiment alors je me foutais un tantinet de ce bull dogue rébarbatif. Bien installée sur la chaise du dentiste, j'ai observé avec attention l'entrée en scène du spécialiste. Fort bel homme, au demeurant. Il m'a regardé la bouille, trituré la dent jusqu'à m'en faire gémir avant de conclure que j'étais arrivée juste à temps pour éviter le traitement de canal. Aidée de son assistante, il s'est donc mis à me jouer dans la bouche.

À sa grande surprise, je n'ai rien dit lorsqu'il a enfoncé son énorme aiguille dans ma maxillaire inférieure. Et dès que l'anesthésique a fait effet, je me suis nettement détendue. Le dentiste me regardait d'une manière étrange. Je n'avais certainement pas le type de comportement qu'il est habitué à voir sur sa chaise. Et je me suis mise à rire dès qu'il a commencé à travailler sur ma dent endolorie. Au début, il croyait que je pleurais jusqu'à ce que je lui dise, comme faire se pouvait, que ses instruments me chatouillaient. Je crois que je n'ai jamais autant surpris quelqu'un que cet homme cette journée-là. Il a fait son boulot jusqu'à faire de ma dent quelque chose d'acceptable. S'arrêtant de temps à autre, pour me laisser le temps de calmer les fou rires qui l'empêchaient de travailler convenablement. Lorsque son ouvrage a été terminé, nous avons, ensemble, regardé l'étendue des dommages d'un manque évident de soins sur ma dentition, et pris de nouveaux rendez-vous pour me refaire une santé dentaire.

Quelques mois plus tard, alors qu'il mettait un terme à toutes les heures de travail que ma bouche lui avait procuré, il m'a annoncé qu'il quittait la région sous peu et qu'il ne serait plus mon dentiste attitré. J'étais un peu triste parce qu'il travaillait bien, mais je n'avais pas l'intention de passer une autre année à m'asseoir sur une chaise de dentiste presque à tous les mois. Il m'a laissé partir en me disant que j'avais été sa patiente favorite durant la dernière année à cause de cette joie de vivre qui émanait de moi et de tous mes rires généreux et sans contrainte sur sa chaise. Il m'a fait promettre que je ne changerais pas.

Les années ont passé et j'ai moi-même changé de ville. Un jour que j'étais tranquillement en train de lire au Parc Lafontaine, sous une brise printanière réconfortante, j'ai entendu une voix connue m'interpeller. Levant les yeux j'ai vu le visage souriant de mon dentiste tout heureux de me voir. Rapidement, j'ai constaté qu'il n'était pas seul. Il était accompagné d'un gros maudit jeune chien pas éduqué qui se faisait une fête de cette rencontre amicale. Mais moi j'ai figé. Je n'ai peut-être pas peur des aiguilles et autres outils chirurgicaux, cependant, j'ai une peur bleue des chiens. Je me suis donc enfuie sans demander mon reste. Laissant derrière moi un dentiste fort perplexe.

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mercredi, janvier 03, 2007

Les chiennes

Quand l'année tourne une page sur elle-même, on ne peut faire autrement que de faire des bilans. On se pose des questions sur les accomplissements réalisés dans les derniers mois. Un vieux réflexe social que je vois poindre dans ma tête tout comme dans celle de beaucoup de personnes de mon entourage. Il y a des années qui nous ouvrent des rétrospectives moins réjouissantes que d'autres. Je constate que je vis avec les chiennes de mes peurs et qu'elles commencent sérieusement à être encombrantes. Peur du déjà vu ou de l'inconnu lorsque vient le temps de s'ouvrir à une personne qui pourrait partager une part de mon intimité. Peur de décevoir les gens que j'aime liée, au fond, à ma plus grande peur : celle du rejet ou de l'abandon. C'est une grosse chienne jaune qui est trop souvent dans mes pattes. Elle a ce dont de se coucher sur le plancher, exactement là où me porteront mes prochains pas. Quelquefois, je ne la vois pas alors je marche sur sa queue et je l'entend qui couine sa douleur tandis qu'elle se rappelle à mon esprit.

J'ai aussi une petite chienne bleue du ridicule. Mais je ne la nourri pas et ne la laisse pas grandir pour me prendre de l'espace vital. Je la regarde droit dans les yeux, pour lui montrer qu'elle ne m'impressionne pas et je continue mon chemin, sans pitié aucune pour cette bête qui s'approche de moi. Après tout, ce n'est qu'une toute petite chienne, beaucoup plus petite que moi et je sais depuis longtemps que les petites bébittes ne mangent pas les grosses. J'ai aussi, une chienne rouge de l'échec, ce qui m'a souvent amenée à ne pas essayer quelque chose, en me disant non dès le départ. Ne pas oser pour ne pas avoir à essuyer un refus. Pourtant, je sais que les refus sont souvent moins difficiles à assumer que tout le cinéma que je peux me faire en l'appréhendant. Après tout, dans l'année écoulée, je me suis fait refuser deux fois la promotion à laquelle j'aspire et je ne m'en porte pas si mal.

Depuis quelques temps, je sais qu'une énorme chienne orange, née de la juxtaposition de mes chiennes jaune et rouge délimite, son territoire dans mon fort intérieur. Je me retrouve pieds et mains liés par ma censure personnelle et je ne sais plus comment dire. Des situations que je juge difficiles se présentent à moi et je ne peux plus rien faire. Rien dire. Des situations liées à de relations interpersonnelles de tout acabit. Je vois bien que je gâche des moments particuliers et je me sens mal. Coupable, bien entendu, puisque c'est de ma faute. Mais voilà que je ne me sens pas le droit de dire quoique ce soit. Parce que j'ai le sentiment qu'en m'expliquant, c'est aussi chercher la pitié. C'est refuser l'opprobre qu'on me présente, c'est nier ma responsabilité. La chienne orange se love dans cette crainte, elle s'y sent au chaud. Et moi, je la regarde, muette. Incapable de trouver un moyen de la faire sortir de moi. Et lorsqu'on me dit : « Mathilde, t'es toujours pénible quand ces situations se présentent. » Je sais à quel point c'est vrai. Je sais que je ne peux rien dire, que je ne peux pas me porter à ma propre défense. Et je suis incapable d'en parler, ou presque. J'ai la conviction que d'en parler à qui que ce soit ferait passer les personnes qui me font ces justes reproches comme de mauvaises personnes.

Alors je vois bien la chienne noire de la dépression reprendre du poil de la bête. Parce que dans les multiples causes de ma descente au plus profond de cette vase, il y avait cette imposition du silence. Parce que je sais que j'ai toujours une responsabilité dans les conflits qui jalonnent mon parcours. Parce que je crois sincèrement que d'expliquer mon point de vue est beaucoup rejeter celui de l'autre et que moi, j'ai tellement peur du rejet que je ne suis pas capable de dire les choses qui pourraient faire sentir aux autres que je rejetterais une de leurs opinions négatives sur moi.

Il y a un mythe sur les écrivains qui dit que ceux-ci écrivent plus facilement dans la douleur. Pour ma part, c'est complètement faux. Parce que d'écrire une douleur, c'est aussi accuser quelqu'un ou quelque chose de mes malheurs. Du moins en partie. Mais moi, j'ai le sentiment que je n'ai pas le droit d'être blessée par ces gens qui me sont proches. Que je n'ai pas le droit de le dire parce que je manipulerais l'information en donnant mon point de vue. Subjectif, bien sûr.

Et voilà que je me retrouve, début janvier, propriétaire d'un chenil de grosses maudites chiennes qui s'engraissent de mes peurs, de mes silences et de mes malentendus. Et je me demande bien comment je vais faire pour leur trouver un autre logis que mon cerveau qui culpabilise un peu trop.

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