dimanche, décembre 30, 2018

L'infirmier

Moi, les fêtes de famille du côté de ma mère, j'aime ça et je n'aime pas ça en même temps. Je n'aime pas ça parce qu'il n'y a pas d'autres enfants que Coccinelle et moi et j'aime ça parce que j'aime ma grand-mère de tout mon grand cœur de petit garçon. Et puis Noël, c'est bien parce que je peux mettre mes beaux vêtements neufs et que Geoffroi est là et il n'est pas souvent là. Geoffroi c'est mon oncle et lui il sait jouer. On a eu beaucoup de plaisir avec mon joli train en bois. Et j'ai eu presque autant de plaisir à déballer mes cadeaux et ceux de Coccinelle, et ceux de Papa et ceux de Tatie aussi. Je suis le meilleur déballeur de cadeaux de cette famille, c'est certain. Heureusement qu'ils m'ont pour les aider.

Cette année, comme je suis grand, j'ai mangé à table avec tout le monde entre Tatie et Papa. Ça fait longtemps que j'ai compris que ça ne donne pas grand chose d'essayer d'attirer l'attention de Papa quand il est en train de parler avec les cousins et les frères de Maman. Il est beaucoup trop occupé à écouter. Du côté de Tatie, c'est plus efficace, comme ça je peux manger plein de noix sucrées que j'aime beaucoup, même si je suis obligé de dire merci à toutes les fois où elle en met dans mon assiette.

Mais cette année, c'est aussi celle où Grand-Mamie elle est malade. Je le sais depuis avant Noël parce qu'on devait aller au théâtre ensemble il y a quelques jours, mais on n'a pas pu parce que déjà était malade ce jour-là. D'habitude, Grand-Mamie passe la soirée assise au bout de la table. Sauf que là, elle était assise dans sa chaise de lecture. J'en ai profité, vous pensez bien. Je me suis faufilé par en dessous de la table pour aller la retrouver et on a lu des livres ensemble. Je pense par ailleurs, qu'elle devrait renouveler son stock de livres, parce que ce sont des livres de petits qu'elle a, je trouve. Moi, j'aime les livres de grands, ceux dans lesquels il y a beaucoup de mots, comme mon livre de légendes québécoises que j'ai à la maison. Des livres avec presque pas de mots et beaucoup d'images, c'est pour les bien plus petits que moi voyons, alors je l'ai dit à Grand-Mamie.

Après la lecture, j'ai mis mon pyjama et je me suis installé devant la télé pour écouter un film. Moi, je n'écoute pas souvent de film. C'est juste pour les moments spéciaux. Et Noël, c'est spécial. Je suis allé chercher Grand-Mamie et je lui ai dit de se coucher à coté de moi pendant mon film. J'étais vraiment content, me semble que c'est bien meilleur le cinéma quand on a une grand-maman avec soi.

Mais le lendemain de Noël, Grand-Mamie était toujours malade. Maman a décidé d'aller l'aider à aller faire du ménage. Moi, je suis allé avec elle pour m'occuper de Grand-Mamie, elle en avait bien besoin. On s'est collés, je lui ai raconte plein de choses et on a encore lu les livres qui sont chez elle.

Maintenant, elle va mieux. Je suis certain que ma visite a fait toute la différence.

Quand, je serai grand, peut-être, je deviendrai infirmier...

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jeudi, décembre 27, 2018

Premier Noël

Noël, je ne sais pas ce que c'est. En tout cas, pas vraiment. Après tout, je n'ai que 9 mois et 4 dents. Mon frère en parle beaucoup, il est très content que ce soit Noël et de mettre ses beaux habits. Moi, tant que Maman, Papa et Zazou sont là, je suis contente. Même si je ne sais pas trop ce que c'est Noël, on est allés chez Grand-Mamie et il y avait là plein de gens. Des gens que je ne connais pas et qui parlaient fort, mais comme toute ma famille semble aimer ces étrangers j'ai affiché mes plus jolis sourires et je ne me suis pas faite trop sauvage.

On a déballé les cadeaux près beau sapin illuminé. J'étais personnellement beaucoup plus intéressée par la crèche et le village sous le sapin que par ce qu'il y avait dans les paquets. Sauf si c'était des jeux pour Zazou. Parce que tout ce qui est à Zazou m'intéresse. Je suis chanceuse, il me laisse jouer avec ses jouets, la plupart du temps. Mais des fois, quand je veux participer à la création d'une ville ou autre chose du genre il dit non. Je ne comprends pas pourquoi, parce que le morceau de plastique de sa ville est aussi bon que la petite voiture de bois dans ma bouche.

Maintenant, j'ai acquis beaucoup d'indépendance, je marche sur mes quatre pattes et je peux aller à peu près où je veux. Je vais moins vite que Zazou sur ses deux pattes et je me perds encore un peu quand on est chez Grand-Mamie. Alors je m'assois tranquillement et j'écoute bien fort les bruits autour. Dès que j'entends une voix connue, je reprends ma route jusqu'à ce que j'arrive triomphalement devant Maman ou Papa qui eux ne savent pas encore quelle étrange aventure que viens de vivre, ni surtout que j'ai pensé les perdre mais que je les ai retrouvés toute seule.

Des fois Tatie me prends dans ses bras, je ne la reconnais pas vraiment, mais elle est gentille, elle me tient bien et me chante toute sorte de comptines que je connais. Alors je ris un peu et j'accepte de rester là. J'ai mangé un bon repas pendant bien dissimulée dans ce que Maman appelle mon costume nucléaire, parce que je veux participer activement à me nourrir et que ça signifie le plus souvent que j'agite ma cuiller dans toutes les directions avec les conséquences que je vous laisse imaginer.

Après mon souper, tout le monde s'est mis à table, sauf Grand-Mamie, alors je suis allée me coller sur elle et elle me racontait toutes sortes de choses doucement. Ensuite Zazou est venu jouer au train avec Geoffroi, mais il ne voulait que je participe. Papa est venu me prendre pour me ramener à table et j'avais les joue rouges de chaleur et de fatigue, j'ai même un peu dormi, mais pas trop, parce que je voulais savoir ce qui se passait. Je ne pouvais quand même pas être la seule personne de cette maisonnée à être plongée dans l'ignorance.

Quand je me suis réveillée à la maison, le lendemain. C'était encore Noël, mais chez-moi avec encore plein de gens que je connais un peu pas. Au moins, j'étais dans mes affaires, sur un plancher qui n'a plus de secret pour moi.

Alors, au bout du compte, je ne sais toujours pas vraiment ce que c'est Noël, mais c'est ben, ben fatigant.

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dimanche, décembre 23, 2018

Ma professeure de maths

Ça fait des jours que je cherche le client de Noël qui me fera sourire et qui deviendra le personnage annuel de mes récits. Je ne l'ai pas croisé cette année, il faut croire que celui-ci a décidé de fréquenter un autre endroit que celui où je travaille, peut-être n'avait-il pas envie de se faire pincer par ma plume cette année. Même si, je dois l'avouer, la plupart de mes victimes ne savent pas que je les décris, et si elles le savaient, je pense qu'elles en seraient plus amusées qu'offensées.

Mais tout de même, il y a cette femme, que j'ai failli nommer ici fille, que je vois seulement une fois par année, généralement entre le 21 et 24 décembre depuis presque aussi longtemps que je travaille dans le milieu du livre. De manière tout à fait étonnante, elle a suivi à peu près tous mes mouvements de succursale sans jamais à l'avance que je changeais de localisation. Je la connais depuis bien longtemps, depuis 1988 en fait. Nous avons fait notre secondaire ensemble. Enfin une partie.

Elle était très douée en mathématique, ce qui a été une bête féroce dans mon cheminement scolaire. Et je suis encore convaincue aujourd'hui que si j'ai passé mes années de secondaire 2 et 3 en cette matière, c'est à elle que je le dois. Les professeurs de mathématique de mon adolescence avaient souvent l'habitude d'ordonner leur classes en imposant l'ordre alphabétique pour le choix des place dans leurs salles. Ce faisant, elle et moi étions souvent assises dans un secteur bien rapproché si ce n'était carrément l'une devant l'autre.

C'est ce qui m'aidait parce que dès que nous tombions en pratique, je me tournais vers elle avec des yeux ahuris, démontrant muettement mon incompréhension totale de la matière. Alors, elle prenait le premier exercice en haut de la feuille, et m'expliquait, dans ses mots, ce qui venait d'être démontré et que je n'avais pas compris. Et elle le refaisait jusqu'à ce que je réussisse un exercice en lui expliquant de quelle manière j'avais procédé et comment je l'avais fait.

En secondaire 4 nos chemins ont divergé et j'ai échoué la partie enrichie de mon année. On s'est perdues de vue pour se retrouver, des années plus tard à l'Université de Sherbrooke. Elle étudiait alors en mathématiques pures. Ce qui ne m'avait pas du tout surprise. Re-perte de vue après trois ans et c'est au magasin, quelques jours avant Noël il y a une douzaine d'années qu'on s'est revues. À tous les coups, je prends la peine de jaser quelques minutes avec elle, pour prendre des nouvelles d'elle et de sa famille, en donner à mon tour. On se quitte toujours sur un grand éclat de rire, ce qui résume assez bien les années où nous avons partagé une amitié plus assidue.

J'en arrive presque à croire, même si honnêtement, je ne l'attends pas vraiment, que mes Noëls seraient un peu moins joyeux sans nos petits échanges d'éclats rieurs en catimini.

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jeudi, décembre 20, 2018

Dernier droit

Ça y est, je n'ai plus la moindre petite idée de quel jour on est tellement je n'ai pas le temps de penser, Mes journées ressemblent à n'importe quoi, si ce n'est à marcher des kilomètres dans des rangées trop étroites occupées par des qui semblent se multiplier par elles-même et des véhicules motorisés pour personnes à mobilité réduite. Généralement, on a à peine terminer de répondre à une requête que déjà une petite file s'est créée autour de nous. Et ça ne donnerait pas grand chose qu'on soit vraiment plus nombreux parce qu'un moment donné, ce qu'il faut ce sont des personnes qui connaissent les livres, les jeux, les films et la musique et leur classement davantage que de personnes qui, de toute manière, finiront pas demander de l'aide à un collègue parce que leur temps parmi nous n'aura pas été suffisamment long.

J'aime cette période de l'année. En fait, ma paie, c'est le service à la clientèle, ce l'a toujours été. Je suis heureuse quand je déniche la chose qui convient exactement aux besoins du client. Même si parfois, je suis un peu coincée. Je n'ai pas tout lu et n'ai absolument pas l'intention de tout lire. J'en serai de toute manière bien incapable. Mais certaines personnes semblent croire qu'il faut avoir lu un livre pour pouvoir le conseiller. Heureusement que ce n'est pas le cas, parce que sinon, je serais une bien mauvaise libraire. Parce que je ne suis pas friande de biographie, ni d'essais de sciences, par exemple, ne veut pas dire que je sois incapable de dénicher l'ouvrage qui nourrira l'esprit de qui en est adepte. Je réussi généralement à faire comprendre cet état de fait aux sceptiques.

D'autant que plus le temps passe, plus il les clients seront pressés et, presque forcément, bougons. Oh, ils ne le sont pas tous, je dirais même que la grande majorité est très conviviale et bien consciente que c'est un peu de sa faute si elle se retrouve dans une foule sans bon sens et que tous les objets sur la liste en mains ne sont pas forcément trouvable dans l'immédiat ni même, avant Noël. Mais quelques uns sont de mauvais poil, année après année, il me semble et eux, eux on les entend. Généralement, ils sont tellement bruyant que c'est tout le magasin qui les entend.

Aujourd’hui, j'en ri. Après leur départ, bien entendu. Ça ne me touche plus personnellement. Je les laisse tempêter en tentant tout juste de contrôler les dégâts et de les calmer. Il m'arrive même parfois de réussir à trouver un quelque chose en compensation de l'objet de désir évanoui depuis longtemps des tablettes des commerces. Et à tout les ans, il y a ce quelque chose que tout le monde veut en même temps et que franchement, on n'avait pas vu venir. Cette année, ce sont les cartes à gratter et le jeu Exploding kitten. Il n'y en a plus dans le réseau ni nulle part que je connaisse et quand bien même que les gens se mettraient à grimper sur les murs, je ne peux pas les inventer.

M'enfin, c'est une bien courte période dans l'année, pas si désagréable, somme toute, même si c'est vraiment épuisant.

Après ben, je participerai au souper de Noël de la famille.

Et ça c'est vraiment un des meilleurs moments de mon année.

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dimanche, décembre 16, 2018

Ligne dilettante

Jeudi soir à la fin de l'heure de pointe, j'attendais l'autobus sous une pluie constante et glaciale depuis une vingtaine de minutes, peut-être davantage. J'avais bien vu des véhicules sur un trajet alternatif passer plusieurs fois, mais je ne me sentais pas l'optimisme de descendre les quatre coins de rue sur la chaussée devenue presque impraticable à cause du verglas. Une fois encore, je me maudissais de n'avoir pas choisi des bottes à crampons lorsqu'était venu le temps de remplacer mes bottes d'hiver.

Je savais, avant de décider quel trajet emprunter que celui pour lequel j'optais était hasardeux. Je blaguais beaucoup avant de revenir vivre dans Ahuntsic au sujet de cet autobus qui ne m'avait pas manqué parce qu'il est plutôt dilettante dès que le mauvais temps se met de la partie. Cependant, sur à peu près le même parcours, il y a aujourd'hui une seconde ligne qui peut, parfois s'avérer fort utile.

Il était frustrant de voir des bus décharger leur passager un coin de rue plus haut avant d'afficher un « en transit » qui les renverrait certainement à leur garage. La grogne commençait à se faire entendre de plus en plus fort autour de moi parce que visiblement, il y avait un souci avec la ligne 140 puisque, selon ce que j'ai compris, 3 autobus avaient omis de se présenter. Et bien entendu, ce genre de chose arrive quand la température est dégueulasse. Et franchement, ce soir-là c'était épouvantable.

Comme beaucoup d'entre-nous, lorsque l'autobus de la ligne alternative s'est présenté, j'ai décidé de me diriger vers le second arrêt afin de finir par arriver à bon port. C'est à ce moment qu'une dame immense s'est jetée devant l'autobus pour l'empêcher d'aller rejoindre son point de départ. Il n'y a pas eu de heurt, la conductrice de l'autobus ayant pu s'arrêter avant de frapper la dame. Celle-ci criait à la conductrice de prendre le trajet du 140 parce qu'elle était tannée d'attendre, frigorifiée. Elle était visiblement en furie. Un homme l'a tirée vers le trottoir pendant, qu'avec un peu de honte, je continuais à me diriger vers l'arrêt où je pourrais monter dans ledit bus.

Je ne sais pas trop comment elle s'y est prise, mais elle a atteint la porte du 41 deux personnes avant moi. Pourtant, j'étais certaine de l'avoir laissée en arrière quand l'homme l'avait sortie de la rue. Une fois à l'intérieur, elle s'est remise à enguirlander la pauvre chauffeuse. Avec des mots que je préfère ne pas répéter. C'était violent. Pendant ce temps, une bonne partie des gens qui avaient attendu le 140 s'agglutinaient derrière-moi, forts mécontents de ne pas pouvoir se mettre au sec. La dame hurlait qu'elle empêcherait tout le monde de monter et l'autobus de partir tant que celui-ci ne se transformerait pas en 140.

J'ai fini par lui toucher le bras en en lui disant : « Madame, je comprends que vous soyez furieuse, mais la chauffeuse n'y est pour rien et tout ce que vous réussissez à l'heure actuelle c'est de braquer une vingtaine de personne contre-vous. Potez plainte à la STM, vous aurez raison, mais la conductrice elle, elle ne peut pas régler votre problème » Elle s'est retournée vers moi encore plus furieuse et j'ai eu peur qu'elle ne me frappe, ce qui semblait être son prochain mouvement. Mais le même homme qui l'avait sortie de la rue a tiré sur son bras pour l'écarter de la porte tout en me poussant à l'intérieur.

J'ai eu le temps de voir des agents de la STM arriver pour apostropher la cliente mécontente avant que le bus soit tellement plein pour qu'il soit possible de voir ce qui se passait à l'extérieur.

J'espère sincèrement qu'ils n'étaient là que pour la calmer, parce que je suppose depuis deux jours, qu'une affaire plate de plus n'aurait absolument rien amélioré à une journée déjà gâchée.

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dimanche, décembre 09, 2018

La fille

Quand j'étais adolescente, peut-être même pré-adolescente, le Québec a été balayé par une vague qui s'appelait RBO. Je ne les ai pas connu à la radio, mais je les écoutais régulièrement à la télévision, fascinée, comme bien d'autres par leur irrévérence généralisée. Je pourrais même ajouter que j'ai compris certaines choses de la société dans laquelle je m'inscrivais en regardant les caricatures que ce groupe en faisait. Beaucoup de mes connaissances étaient capables, à l'époque, de citer des sketchs complets dans l'ordre ou dans le désordre des épisodes récemment passés à la télé.

Bref, ils étaient incontournables dans notre environnement culturel, tout le monde les connaissait et même si dans la chanson d'ouverture on disait que c'était un groupe de 5 garçons, tous savaient qu'il y avait un fille dans le groupe; elle était LA fille de RBO.

La fille en question, Chantal Francke, visite le magasin ou je travaille depuis son ouverture. Je l'ai reconnue la première fois où elle y a mis les pieds. Comment faire autrement quand on a mon âge et qu'on a vécu toute sa vie au Québec? Impossible. Elle n'est pas la seule personnalité connue qui viennent faire son tour d'ailleurs, beaucoup de musiciens dans le vent ont captés qu'on est encore juste assez peu connu du grand public pour que ce soit facile pour eux de venir chercher leur cordes de guitare en toute discrétion. La plupart du temps, je joue le jeu de l'innocence. Je sais très bien qui est devant moi, mais je m'abstiens de tout commentaire. Après tout, ces gens ont aussi droit à une vie privée et ils devraient pouvoir faire leurs courses sans se faire agresser par des groupies de mon acabit.

Mais dans le cas de Chantal Francke, je sais que je suis la seule personne du magasin à savoir qui elle est. La plupart des employés sont très jeunes, ils pourraient être mes enfants. Comme elle n'a pa continué à faire un métier public, elle s'est progressivement effacée de la mémoire collective, et je pense qu'elle ne s'en porte pas plus mal, que peut-être c'est beaucoup par choix qu'elle s'est faite très discrète dans l'espace public.

Toujours est-il que je l'ai servie cette semaine et que comme elle faisait une partie de ses courses de Noël, c'était plus long que ses passages habituels. Il n'y avait pas grand monde, ce qui nous a permis une discussion à bâtons rompus, comme si nous étions de vieilles copines. Je me suis arrangée pour lui faire comprendre que je savais qui elle était et elle m'a regardée franchement surprise avant de m'avouer qu'il était très, très rare que quelqu'un la reconnaisse aujourd'hui. Je lui alors dit mon âge, expliqué l'importance de son ancien groupe dans mon espace culturel adolescent, ce qui l'a bien amusée. Puis, je lui ai dit que ce n'était pas la première fois dans ma vie que je la servait dans mon travail puisque je l'avait déjà abonnée à un club vidéo de quartier, sans doute 30 ans plus tôt.

Évidemment, qu'elle ne se souvenait pas de moi à cette époque, mais elle s'est franchement bidonnée quand je lui ai dit à quel point j'étais impressionnée, à l'époque, d'avoir fait son abonnement. Elle m'a dit : « Je vous regarde-là, pis vous n'avez pas l'air d'être sur le bord de perdre connaissance! » Avant d'ajouter : «Heureusement, d'ailleurs, parce que que je ne suis qu'une femme ». L'humour ironique qui avait fait la marque du groupe, juste pour moi. Dans un clin d'oeil je lui ai réorqué : « La femme de quarante-cinq ans que je suis le comprend très bien, mais la jeune fille de 16 ans de l'époque, vous voyais sans doute une peu plus grande que nature et se plaisait sans doute beaucoup à vivre une émotion aussi forte ». Elle s'est mise à rire en me lançant un « au revoir » bien senti avant de gagner la sortie.

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jeudi, décembre 06, 2018

6 décembre

6 décembre,

Comme à chaque année, dès mon réveil, je guette les signes de toi dans les médias avec une attention fébrile. Je n'y peux pas grand chose, tu es pour moi, une marque indélébile dans mon identité. Peut-être est-ce parce que j'étais une toute jeune adolescence lorsque tu es arrivé et que je garde en mémoire une nuit d'hiver sans fin pendant laquelle je n'arrivais pas à croire ce que les journaux télévisés rapportaient. Tant de mortes, si près de moi. Qui n'avaient rien fait d'autres que d'être nées femmes avec un esprit scientifique.

Je sais bien que la journée internationale du droit des femmes est en mars. Cependant, pour moi, parce que je suis femme et Québécoise, parce que j'étais née et en mesure de commencer à comprendre l'ampleur de ce qui nous a été fait ce soir-là, c'est toi, 6 décembre, qui est mon point d'encrage pour réfléchir à mon féminisme.

Peut-être que tu es si marquante pour parce que j'ai croisé, à quelques reprises, un dommage collatéral de ta violence. Un être blessé dans sa chair, jamais cautérisée et encore moins cicatrisée, malgré le temps qui passe, malgré les années qui fuient. Une plaie béante ouverte sur le cœur et l'âme qui ne peut être reprisée, réparée ou oubliée.

Nous avons fait du chemin depuis toi, le plus grand est sans doute la vague de dénonciation de toutes les petites violences qui ont été si longtemps socialement acceptables. Ces petits mots susurrés ou lancés par la la tête comme des armes de fiel pour assouvir un besoin de domination que que l'on ne taira plus, ou du moins que l'on commence à dénoncer. Quel que soit la grandeur de ce pas, il n'en demeure pas moins insuffisant parce qu'il ne rejoint certainement pas celles qui marchent sur les routes des migratoires ni une multitude d'autres qui n'ont ni les outils ni les connaissances pour s'insurger devant le mal qu'on leur fait parce qu'en réalité, elles ne le reconnaissent pas comme tel.

6 décembre, depuis bientôt trente ans, à chacun de tes anniversaire, je pense à toutes celles qui se sont évanouie dans une nature proche ou lointaine de ma propre réalité et qu'on a omis de chercher. Parce qu'elles étaient pauvres, trop usées par la vie, trop jeunes ou trop vieilles pour que les tireurs de ficelles des pouvoirs (hommes et femmes, malheureusement), ne leur accordent assez de valeur pour vraiment mettre en place ce qu'il faudrait pour les retrouver, mortes ou vivantes et surtout qu'aucun filets ne les retiennent avant qu'elles commencent à avancer vers ces lieux figurés ou réels qui les mettra, un jour en danger.

6 décembre, tu es un drame horrible, que je n'oublierai jamais et surtout ne veut pas oublier. Mais je t'aime parce que ton souvenir me permet, année après année, de me rappeler que toutes les luttes ne sont pas gagnées et que quand bien même ce serait le cas, le recul peut toujours exister si on n'y prend pas garde.

J'espère 6 décembre, que pour tes trente ans on te fera une fête digne de ce nom, un vrai commémoratif qui durera plus de vingt-quatre heure pour crever les voix du silence.

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dimanche, décembre 02, 2018

Famille buissonnière

J'attendais l'autobus depuis quelque chose comme une minute quand un petit bout de femme (déjà que je ne suis vraiment pas grande, lorsque je dépasse mon interlocutrice de presque une tête, on parle d'un petit bout de femme) m'avait abordée : « L'autobus? Il passe dans cinq minutes ou moins? » J'avais regardé ma montre avant de lui affirmer que l'autobus devait arriver d'ici cinq minutes effectivement. La dame avait poussé un long soupir avant de me dire qu'elle s'était pointée à l'arrêt à 8h30 avant de s'apercevoir qu'elle en venait de manquer le passage du précédent. Puis, elle avait ajouté avec un sourire en coin : « mais je me suis sauvée sans regarder l'horaire... »

Parce qu'elle était souriante, pétillante et fort sympathique avec son accent chantant j'avais demandé pourquoi. Elle avait répondu à peu près ceci: « Tu vois, ma petite fille, je suis italienne et j'ai 64 ans. J'ai trois fils, dont un qui vit au-dessus de chez-moi. Je crois que je les ai trop gâtés eux et mon mari parce que tous s'attendent tout le temps à ce que je m'occupe de tout dans la maison. Mais je travaille moi, à temps plein toute la semaine. Ça ne change rien, ils débarquent tous la fin-de-semaine, avec leurs femmes et les enfants et il faut que je fasse un gros souper pour tout le monde. Et quand je demande de l'aide, ils me câlinent et me disent tous que personne le fait bien comme moi. Mais, je suis fatiguée et j'ai décidé d'avoir un jour de congé ».

J'étais amusée. Je ne doutais pas un instant qu'elle disait vrai ni qu'elle soit fatiguée, même si en toute honnêteté elle semblait avoir de l'énergie à revendre. En contre-partie, je pouvais tout à fait comprendre qu'elle en avait plus qu'assez de servir tout son monde tout le temps. Je lui avais alors demandé qu'est-ce qu'elle comptait faire de son congé.

« Oh, je vais faire les courses, c'est bien entendu, parce que demain on est dimanche et que le dimanche c'est sacré et on aura un souper de famille. Après mes courses, je vais aller chez ma sœur, elle ses brus son Québécoises, alors elle a de l'aide quand elle reçoit, ce qui n'est pas mon cas. Alors, quand je suis fatiguée, elle m'aide à son tour et me permet de cacher mon épicerie chez-elle sans avoir à rentrer chez-moi. Ensuite, je vais aller au cinéma puis je vais aller souper avec des copines du travail ».

Elle me racontait tout cela l'air coquin. J'avais l'impression d'écouter une adolescente qui tentait de s'affranchir des décrets parentaux. C'était peut-être un peu vrai du reste, elle semblait réellement en réaction à sa famille et son milieu. J'avais le sentiment que quoiqu'elle dise, elle ne se sentait pas écoutée et encore moins comprise. Juste avant que l'autobus n'arrive elle m'avait avoué : « Et puis, je suis fâchée contre mon mari, il a dit à mon fils que nous pourrions gardé sa fille après-midi, mais ça, ça veut dire que c'est moi qui la garde parce que mon mari, lui, ne change pas ça une couche. J'ai bien hâte de voir comment il se sera débrouillé après ma fuite. Mais en attendant je vais profiter de ma journée ».

Je l'avais aidée à grimper dans l'autobus en souriant et en lui souhaitant la meilleur journée de famille buissonnière possible. Elle m'avais renvoyé un sourire absolument ravie, heureuse, je crois, de s'être sentie entendue...

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