mardi, février 26, 2008

Un spectre de couleurs

J’avais dix-sept ans et j’étais éperdument amoureuse d’un homme de quatre ans mon aîné. À cette époque d’une vie, cet écart d’âge fait toute la différence du monde. Ma tête foisonnait de théories de toutes sortes. Je courais à perdre haleine derrière des idéaux qui n’étaient pas toujours réalisables. Et j’écrivais. J’écrivais des lettres irisées d’arcs-en-ciel pour toutes les occasions. À l’époque, les ordinateurs ne faisaient pas encore partie du quotidien. Ils me semblaient froids et impersonnels. Je ne voyais pas comment quelqu’un pouvait prendre la peine de taper une missive plutôt que de tracer lentement les lettres, la tête penchée sur le papier comme pour prendre davantage la mesure de nos propres mots.

Je possédais un étui à crayons débordant, à un point tel que j’arrivais avec peine à le fermer à la fin de chacun de mes cours. Cette foutue manie de le remplir jusqu’à en faire éclater les couture a perduré jusqu’à la toute fin de mes études puisque j’avais développé un système de coloration et d’alinéa dans ma prise de note, ce qui optimisais mon étude. Mais surtout, j’avais besoin de mon éventail complet afin de pouvoir écrire les mille et uns messages qui me traversaient l’esprit en cours de journée.

Il me fallait du rouge (en plusieurs tons) pour exprimer correctement toutes mes peines. Ces billets s’appelaient tous Rouge sang sur papier blanc. Ils narraient mes déchirures, sur tous les fronts. Toute ma victimisation y passait. Et je m’y vautrais avec volupté. Je faisais saigner le papier de mes récriminations, me délectant des phrases bien dramatiques et bien tournées que je pouvais faire jaillir au détour d’une émotion. Je me sentais tellement incomprise, tellement seule à ressentir quoique ce soit. Comme la vie m’était tragique! Alors j’écrivais des kilomètres en saignées.

Lorsque venait le temps de laisser Érato me dicter l’inspiration, je choisissais différentes teintes de bleu selon que la poésie que je tentais d’atteindre était drôle ou dramatique. Plus le thème était léger, plus la couleur était claire et inversement. Et tous les mots d’amour dont j’ai inondé mes boites à souvenirs étaient écrit en vert. En feutre vert. Ces écrits s’intitulaient Lettre écrite à l’encre verte (pas très original, je sais). J’en ai écrit des tonnes. J’ai même osé donner à leur destinataire quelques unes d’entre elles. Ces missives toutes en émotions en ont fait sourire plus d’un. Aujourd’hui, lorsque par hasard je tombe sur une de ces lettres ayant survécu à mes trop nombreux déménagements le feutre se détache furieusement des feuillets jaunis, comme un esprit taquin qui viendrait me rappeler le spectre de mes amours avortés.

Désormais, je ne calligraphie plus souvent mes écrits, ayant développé une vitesse de croisière à l’ordinateur que je trouve beaucoup plus avantageuse. Alors tous mes textes déclinent mes émotions en noir et blanc. Pourtant, quelque part au fond de moi, il reste des éclat de cette jeune demoiselle qui croyait fermement que la couleur des mots jouait, un peu, en leur faveur.

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dimanche, février 17, 2008

Vaine tendresse

Il y a des thèmes qui interpellent plus que d’autres. Des thèmes qui font rugir le dragon intérieur, ce monstre tout personnel gardien de nos peurs et de nos appréhensions. Et malgré le fait que l’on en entende l’appel, malgré le fait qu’on en connaisse une réponse, les mots nous fuient comme un oiseau qui s’envole devant le chat tapis dans l’herbe de l’été. Il y a pour moi un danger de disserter sur un thème comme vaine tendresse et pourtant…

Pourtant je suis bien placée pour savoir que la tendresse n’est pas vaine justement. Je sais dans tous les pores de ma peau que c’est une émotion qui ne devrait pas être mesurée et encore moins calculée. Je sais qu’on ne peux pas demander de rendre à quitte ou double ces gestes et ces élans qui devraient être gratuits. J’ai connu l’oppression des mouvements qui en exigeaient d’autres. Connu la désolation profonde de ne pouvoir atteindre les aspirations de celui qui se dressait devant moi, quémandant que je rende tout ce que sa tendresse m’avait offert dans un écrin qu’il reconnaîtrait comme sien. Mais j’ai failli à la tâche, lamentablement échoué. Je n’ai réussi qu’à perpétrer la blessure d’incompréhension du fond de l’âme. Me sentant de fait même coupable jusqu’au bout des ongles.

J’ai écouté trop longtemps les longs argumentaires fallacieux faisant la démonstration de tous mes manquements à l’étique de l’affection mesurée. Ceux qui muselaient mes essors à grands coups de reproches déguisés en besoins. J’ai fini par me composer un chant sémantique d’émotions qui ne différait de celui qu’on m’avait proposé et qui me heurtait si fort. Un chant sémantique dans lequel tendresse, amour, amitié et affection ne rimeraient pas avec attentes. J’ai pris sur moi d’aimer les gens qui m’entourent comme j’aime mes animaux ou mes chats, en acceptant ce qu’ils me donnent comme une offrande généreuse; en tentant de ne pas laisser de place à la rancune, à la jalousie ou à la mesquinerie.

Je ne suis pas certaine d’y arriver tous les jours. C’est difficile de vivre une affection complètement désintéressée, le besoin de reconnaissance est grand. Non, la tendresse n’est pas vaine, même lorsqu’on ne voit pas ses effets immédiatement. C’est un don de soi qui nous pousse au-delà de nos propres limites. Un don de soi qui nous permet de voir un peu plus loin que le tour de notre univers tout personnel.

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mercredi, février 06, 2008

Dans mon sac à main

C’est un grand sac, sans poche qui ressemble davantage à un sac recyclable pour faire les courses qu’à un sac à main proprement dit. Il faut comprendre que j’ai besoin d’espace. En effet, dans mon sac, il y a en permanence un cahier ligné pour que je puisse y noter tout ce qui me passe par la tête. À tout moment. Dans l’autobus ou le métro, sur le coin d’une rue lorsque je suis en vélo, sur un banc de parc, dans un café, dans un restaurant ou un bar. Il me faut un exutoire possible et je n’ai jamais su mieux le faire qu’en couchant le tumulte de mes émotions sur du papier. Il me faut aussi des crayons. Pas simplement un crayon parce que j’ai besoin d’avoir un choix de couleur et de texture d’encre pour exalter mes idées. La colère ne s’écrit pas de la même couleur que l’amour.

Dans mon sac, il y a aussi des livres. Celui que je lis, celui que je lirai immédiatement après ou celui que je lisais tout de suite avant. Me retrouver sans bouquin durant un transport me rend dingue. J’ai souvent aussi le livre que je ne sais pas si je finirai pas lire. Celui qui me tente et m’intrigue, mais dont je ne suis pas trop certaine. Alors je le zieute de temps à autres, entre deux stations de métro. Je grappille, compulse ses pages en me demandant si un jour je prendrai la peine de le parcourir pour la peine. Il y a aussi un ou deux mots-croisés, des sudokus et autres jeux d’esprit qui occupent mon temps pour faire changement.

Dans mon sac, il y a les très prosaïques tampons et serviettes sanitaires. Les multiples trousseaux de clefs qui me sont nécessaires ; celui de la maison, celui de mon vélo, celui du bureau et ceux de ces gens qui m’ont confié leur trousseau au cas où ils perdraient le leur. La plupart du temps aussi, il y a un sac à lunch en plus de ma réserve de fruits séchés et de noix ; ne sachant jamais quand une fringale me tombera dessus à bras raccourcis. Je traîne aussi l’inévitable portefeuille, tout gonflé par toutes les factures que j’y glisse au fur et à mesure que je les collectionne et la petite monnaie que j’oublie de dépenser et qui finit faire craquer les fermetures éclairs dudit portefeuille.

Dans mon sac à main, il y a des petits bouts de papier sur lesquels des numéros de téléphone sans correspondance sont notés à toutes les fois que je fais les ménage je me demande bien ce qu’ils représentent. Je fini par les jeter sans appeler ne sachant plus à qui ou à quoi ces numéros faisaient référence. Il y a aussi des notes gribouillées rapidement sur le coin d’un comptoir, d’une table entre deux clients que j’ai engouffré dans ce sac, dès mon quart de travail, terminé pour les journées où je manquerais d’inspiration.

Dans mon sac, il y a surtout des dizaines de lettres écrites à personne. Des lettres dans lesquelles je parle de moi. De ce que je suis vraiment. Des lettres qui me découvrent et me dévoilent. Des lettres que je n’enverrai jamais même si lorsque je les commence c’est dans l’intention de leur trouver un destinataire. Mais en cours d’écriture je m’aperçois souvent qu’elles deviennent un déversoir de rage, de colère et d’incompréhension. Elles me permettent de faire le tour de mes frustrations pour être apte à en parler calmement sans pour autant paniquer ou crier des mots qui iraient plus loin que mes maux.

Mon sac est en fait un reflet de ma propre personnalité. Quelque chose de grand et de désordonné où tout est à la fois accessible et difficile à trouver.

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dimanche, février 03, 2008

Terrible

Il y a quelque chose de terrible en moi. Une indifférence que je ne me connaissais pas. La plainte est longue, lancinante même. J’entends la larme s’échouer sur les écueils de la gorge qui s’use. Je me terre dans la douillette, j’enfoui ma tête sous les cinq oreillers qui habillent mon lit. Ça dure depuis une semaine. Tronquant les heures précieuses d’un sommeil nécessaire. Et ça s’ajoute aux bruits obnubilants qui filtrent à tout moment des murs cartonnés de mon appartement. Je suis épuisée, ma patience a atteint les limites de mes possibilités, je me sens sombrer dans la folie comme lorsque la dépression m’empêchait de dormir. Et cette fois, ma tête n’y est pour rien. Sinon parce que mes oreilles captent des sons qui leur font mal au cœur.

La nuit est encore noire, quand j’entends jouer la poignée de la porte. Un peu plus et je croirais aux fantômes. Et les cris recommencent. Plus forts, plus constants. Je ferme les yeux et me retourne sur le matelas faisant fi de tout ce tapage. Je ne cèderai pas au chantage. Plus le temps passe et plus je m’en fou. Je sais qu’il perdra patience et que bientôt le silence enveloppera à nouveau mon espace vital. Je sais que je pourrai retourner me lover dans les bras de Morphée sitôt que ses plaintes se tairont. Je réussi à peine à rogner une petite demie heure sur le sommeil que déjà le manège recommence. Les larmes, les plaintes, les cris, la porte. Mais cette fois, celle-ci joue sur ses gonds, sans s’ouvrir pourtant.

Il y a quelque chose de terrible en moi, je ne ressens même plus la douleur, ni la pitié. J’ai complètement décroché. Plus de sympathie, plus même d’empathie pour l’âme esseulée qui pleure toute les larmes de son corps à quelques pas de moi. Je replonge sous les couvertures, bien décidée à me fermer les conduits auditifs pour de bon. De l’autre côté de la porte, la voix s’essouffle, se casse. Il abandonne enfin. Malgré son entêtement proverbial. Je sais que je trouverai au matin un petit chaton gris de quatre mois, l’œil humide et le regard insulté par tant d’incompréhension de ma part, sagement assis sur le pas de ma porte.

J’ai pourtant bien essayé de lui ouvrir ma chambre lorsque la nuit succède au jour. Mais il est trop jeune et trop taquin pour que nous puissions nous entendre. D’autant que sa sœur et lui ont la fâcheuse habitude de prendre mon corps assoupi pour une autoroute de chat et qu’ils s’encouragent l’un l’autre à faire des bêtises. La nuit, nous sommes en guerre ouverte. Je suis particulièrement têtue moi aussi. Je sais qu’il est bien nourri et abreuvé. Je sais que ses larmes de crocodiles sont sa manière toute féline de me faire du chantage émotif. Qu’il se le tienne pour dit : sa maîtresse ne cèdera pas.

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