lundi, juin 25, 2007

Crise d'angoisse

C'était un matin de printemps, la rue St-Denis commençait à peine à sortir ses couleurs estivales. La bise venue du nord collait les coupes-vent sur la peau des passants. Dans un café minable, on m'avait dit : « je la quitterai pour toi, si tu veux bien de moi ». Dans la lumière blafarde qui trouait les nuages, j'ai mis le pied dans la première angoisse de ma vie. Celle qui fait douter et redouter. Cette nuit-là j'ai offert mon coeur et mon corps sans partage. Entière. Je me suis jetée sur l'autel des sentiments. Irrémédiablement en danger. Avec la peur qui grandissait dans mon ventre au fur et à mesure que les jours se muaient en semaines, puis en mois. « Aimer, c'est se perdre », pensais-je romantique. Pas de demie-mesure pour moi. Devenue en si peu de temps l'ombre de moi-même, sans vigueur ni personnalité qui faisaient, il n'y avait pas si longtemps, mon charme. Silhouette à peine esquissée de ce que je croyais être ce qu'il attendait de moi.

À chacun de ses départs pour des occupations qui passaient toujours avant moi, avant nous, je sentais le gouffre de ma peur prendre un peu plus d'ampleur. Je versais des larmes amères sur les promesse qu'il ne m'avait pas faites et ne me ferait sans doute jamais. Ces promesses de bonheur éternel et de longévité dont mon coeur rêvait depuis sa plus tendre enfance. J'aurais voulu n'aimer qu'un homme de toute ma vie. Vivre cet amour de contes de fées qui abreuvait mes songes éveillés. J'avais offert mes chairs, ouvert mes veines, dépossédé mon âme de son essence pour avoir une toute petite chance de me l'attacher jusqu'à la fin de mon temps. J'aimais. Sur le fil du rasoir, continuellement en déséquilibre. Avec des larmes abondantes qui ne mouillaient mon regard que dans l'ombre des nuits de solitudes qui m'étaient imposées. En me demandant à tous les jours, quel serait celui qui le verrait partir pour une autre.

J'ai vécu cet amour sous l'épée de l'abandon prévisible. Chaque femme qui le faisait sourire et rire davantage que moi m'était insupportable. Jalouse jusqu'au bout des ongles pour la seule fois de ma vie. Petite boule de panique toutes les fois où je le savais en compagnie d'autres dames. Je me réveillais la nuit lorsque je le savais endormi, et je touchais doucement le tendre de son épiderme du bout des doigts pour m'assurer qu'il était là, dans mon lit à moi. Chaque matin était une victoire contre ces prédatrices que je voyais en toutes celles qui croisaient sa route. Et elles étaient nombreuses. Je m'étais choisi un charmeur impénitent. Beau parleur et amuseur de foules. Je devais me rester discrète, subir les taquineries un peu mesquines qui m'étaient destinées, pour qu'il m'aime une nuit de plus. Une minute de plus.

Un soir, il n'est pas rentré à la maison. Il ne m'a pas appelée pour m'en avertir non plus. J'avais préparé un repas pour lui. Mais je l'ai mangé seule avec mes larmes inutiles. Le coeur en arrêt sur la condamnation de cette relation. Roulée en boule dans le fond du salon, juste sous la fenêtre par la quelle je finirais pas le voir arriver. Plus capable de rien assumer. Avec dans le cerveau les phrases récurrentes qui me faisaient aussi mal que destirs rapprochés. Les mots que j'avais attendu toutes ces semaine et qu'il ne me dirait jamais. Je savais qu'il était parti de ma route. Mon coeur se déchirait sous les assauts de ces évidences. Des apnées prolongées bleuissaient le tour de mes lèvres.

Lorsque finalement il est revenu, à une heure impossible. Lorsque finalement il m'a trouvée dans cet état pitoyable il m'a dit que j'étais ridicule. Sans compassion, sans tendresse. Il a ajouté : « Demain je serai parti ». Je ne lui ai pas demandé si c'était avec Elle qu'il s'en allait. Je ne le savais que trop. Nous avons fait l'amour en silence, pour une dernière fois. Mue par une rage et un appétit que je ne me connaissais pas, je redevenais peu à peu la tigresse qui avait caractérisé mon adolescence. Je m'étais sauvée avant l'aube pour ne pas assister à son départ.

Ça aura été le début de la fin d'une crise d'angoisse qui aura duré deux ans.

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samedi, juin 16, 2007

Chroniques dans le pot de fleurs

25 - Quand Juli et Maman font leur nid


Bonjour Marie-Hélène,

J'ignore si c'est un effet de l'été, mais je m'ennuie beaucoup de toi depuis que nous avons déménagé. Les rayons lumineux qui caressent mon feuillage me font penser à ta beauté ondulante éclairant ta fenêtre au dessus du faubourg où tu es sise. Je me demande jusqu'où descend maintenant ta chevelure. Sans me faire toutefois trop d'illusions, puisque je sais pertinemment que ton hôte, comme Maman, a la cisaille facile lorsque le coeur lui en dit.

Je dois dire que notre nouvelle installation n'est pas si mal que cela désormais. Ne serait-ce que pour la facilité d'accès à l'ordinateur, ce qui me permet de t'écrire un peu plus souvent. Et puis, Maman s'épuise singulièrement depuis quelques semaines alors elle a beaucoup moins le temps de nous inventer des histoires. Je me suis dit que je devais prendre le relais un peu pour que sa petite fenêtre sur l'univers soit nourrie correctement.

On dirait que Maman a entamé un festival du déménagement. Encore hier, elle était avec Grand-maman et un grand monsieur et ils montaient des meubles. Peut-être que c'est sa manière à elle d'être haltérophile? Je les voyais suer au soleil, rouges comme mes fleurs, à se battre avec les escaliers abrupts de notre devanture. En plus, elle monte et descend son vélo tous les jours. Je suis certain que c'est parce qu'elle veut faire encore plus d'exercice, mais qu'elle ne me l'avoue pas. Maman est parfois très cachottière. Moi, je les observais de mon perchoir, fleurissant entre deux barreaux de fer forgé, me laissant admirer par tous les passants qui longeaient mon côté du trottoir. Je préfère laisser mes visages éclore dans ce sens parce que j'ai peur de me faire étêter par les queues agitées des chiennes qui passent quotidiennement sur notre palier. C'est qu'il y a de l'action par ici!

Ce que j'aime un peu moins de notre nouvelle maison, c'est la quantité de bruits qu'on y entend. Les camions et les autobus ne sont pas très discrets lorsqu'ils passent dans la rue. Je me demande d'ailleurs si c'est pour cette raison que Juli nous a abandonnés à notre sort, Maman et moi. Ça fait deux semaines qu'elle nous a quitté. Pour vrai. Oh, elle est bien revenue à quelques occasions, mais jamais très longtemps. Et elle passe plus de temps avec le garçon qui parle de dragons qu'avec moi. Ne lui dit surtout pas, mais j'ai peur qu'elle le préfère à moi. Et ça me rend triste, tu vois. En plus, dans la cours, là où je ne vais jamais parce qu'il n'y a pas une aussi belle lumière pour moi que sur le balcon avant, il y a une balançoire que Juli affectionne particulièrement. Elle passe des heures à tricoter en se berçant doucement. Ce qui fait bien rire le voisinage. Moi je ne les trouve pas très gentils de se moquer de Juli ainsi : ils riront beaucoup moins quand elle aura de beaux foulards en hiver et qu'eux auront froid au cou!

Bon, je vais retourner sur mon balcon, je vois d'ici le papa de Juli qui s'amène avec d'autres meubles. Si elles continuent à faire entre des grands objets dans l'appartement, ça va avoir l'air d'un entrepôt plus que d'une maison. Je me demande si elles ont penser à me garder une petite place pour les mois de l'hiver...

Bises,

Ton Roger xxx

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vendredi, juin 08, 2007

À condition que tu m'en donnes

Ils avaient passé la journée entre l'ombre et la lumière à profiter de la présence l'un de l'autre. Le soleil pesant de ce mois d'août avait doré leurs épidermes. L'eau du fleuve qui s'agitait en contrebas de la falaise donnait l'illusion d'une mer dans laquelle ils auraient pu s'immerger, aller jusqu'au bout du monde à travers les flots. Une tente dressée à quelques mètres bruissait dans le vent. Plus loin, derrière un bosquet d'arbres, ils entendaient les babillages des enfants qui s'imaginaient être les super-héros d'un univers issu de leur imagination. Ça faisait une petite semaine qu'ils s'étaient évadés du temps urbain. Une semaine à ne rien se dire tout en se dévoilant entièrement. Fragments de soi qui s'évadaient vers l'autre, au plaisir du temps.

Isabelle profitait de la sérénité des lieux pour lire tous les romans qui traînaient dans sa liste de lectures depuis des mois. Elle se rendait au village, à quelques cinq kilomètres, tous les jours à vélo, pour acheter le nécessaire à leur survie alimentaire. Cela lui donnait l'impression de résider dans un autre siècle, une autre société, dans laquelle chaque minutes s'étirait un peu plus dans des zones de tranquillités. Plus d'urgence, plus de productivité, simplement le déploiement des heures que l'on organise autour d'un îlot de bonheur. Sans contact avec l'actualité, les méandres des violences extérieures, les stress des relations interpersonnelles que l'on déçoit souvent, bien malgré soi. Bercée pas le ressac des vagues plutôt que par le bruit des camions, cette excursion sur une une petite île de bout du monde, lui faisait le plus grand bien.

Sébastien, se jetait à la mer sitôt levé pour ensuite parcourir la plage jusqu'à ne plus trop savoir où il en était. Il revenait peinard à son point d'origine, et se laissait diriger par les fumets alléchants des feux de camp. Tous les midis, il débarquait avec un sourire enjôleur, une ou deux histoires croquantes dont il s'était souvenu en route. Alors il s'installait et attirait immanquablement une bonne partie du voisinage autour de lui, suspendu à ces récits tous plus rocambolesques les uns que les autres. Après quoi il inventait des jeux pour les enfants, les faisant sillonner la plage dans des aventures de corsaires auxquelles ils croyaient dur comme fer. C'était du pur bonheur qui pétillait dans ses yeux lorsque les gamins retournaient épuisés vers leurs parents en lui disant : « à demain ».

Quand le soleil avait bien entamé sa descente et qu'il ne menaçait plus des les rouer de coups, Sébastien et Isabelle s'installaient confortablement sur le même drap de plage pour jouer au Scrabble. Il la battait tous les jours à plates coutures et elle faisait de son mieux pour ne pas s'enrager. Alors ils ouvraient une bouteille de vin qu'ils siroteraient tranquillement jusqu'à la nuit. Il cuisait le repas du soir tandis qu'elle profitait de la brunante pour aller affronter les flots, dans cette quasi-obscurité qui la dérobait aux regards des autres plaisanciers. Elle revenait détendue en s'ébrouant sur lui jusqu'à ce qu'il accepte de la frictionner pour chasser les dernière goutte d'eau de sa peau.

C'était le dernier soir de leur périple au bord de la mer. Elle avait l'impression que la vie après ne serait plus jamais tout à fait la même. Il y avait désormais entre eux une intimité plus grande que ce qu'ils n'auraient jamais pu créer ailleurs, dans le temps quotidien. Elle voyait les lèvres de Sébastien s'alourdir de désir, se gonfler jusqu'à devenir pourpres lorsque par hasard ses bretelles glissaient sur ses épaule pour laisser deviner une étincelle de sensualité. Et taquine, elle lui disait en tendant les mains vers les fruits qu'il avait en sa possession : « Je t'embraserai, si tu veux. À condition que tu m'en donnes... »

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lundi, juin 04, 2007

Abécédaire

J'ai écrit ce texte en réponse à une invitation de mon ami Obni sur son blogue qui avait lui-même créé un abécédaire intéressant.

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A comme Appétence de toi, de tes mains sur ma peau frissonnante.
B comme Bredouiller un nom dans le souffle du temps qui passe.
C comme Cacher les larmes qui perlent à mes yeux.
D comme Distance insondable des corps qui s'étreignent.
E comme Extase éphémère de l'orgasme.
F comme Flemmardise enjouée des matins qu'on voudrait voir durer toute une éternité.
G comme Gésir entre les draps trop blancs des ébats inavouables.
H comme Hypertrophie des sentiments tenus en gaine.
I comme Inconstance meurtrissante de tes allées et venues qui te mènent à moi, où à elles.
J comme Jade de tes yeux rieurs qui me vêtent de beauté.
K comme Kimono ouvert sur ma nudité démasquée.
L comme Lutiner ton épiderme jusqu'à le voir s'hérisser de mille manières différentes.
M comme Mutinerie inconsciente de ma vie sans conduite.
N comme Néant.
O comme Opprobre oppressant du jugement porté sur ce que nous ne sommes pas vraiment.
P comme Prisonnière des chaînes translucides de mes erreurs de jugements.
Q comme Que restera-t-il de moi, après nous?
R comme Rougeoyer sous tes pupilles obscènes.
S comme Staccato affolé dans les mouvements désordonnés de mon pouls.
T comme Tentateur de mes plus ardents désirs.
U comme Uppercuts sidérants qui me laissent pantoise sur le sol de ma propre vie.
V comme Véraison des émotions jusqu'à plus soif.
W comme Walkyries échevelées de mes combats inutiles pour me libérée de nous.
X comme Xylographie de tes doigts dans mes chairs.
Y comme Ysopet de mots que je ne t'avouerai jamais.
Z comme Zébrer ton corps de mes ongles jusqu'à t'arracher une parcelle de toi.


Je tiens à remercier Julie pour son aide à farfouiller dans les dictionnaires.

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vendredi, juin 01, 2007

L'endroit où je vis

Je vis dans un quartier qui respirait autrefois à l'ombre des sirènes aliénantes que les chantiers navals, et autres usines, faisaient retentir pour appeler les ouvriers au travail. Un quartier ou s'entassaient au moins 2155 personnes dans un rayon de 4 km2, dans des appartements trop petits, faits sur le long, construits rapidement et ne laissant passer aucune lumière. La révolution industrielle québécoise étant passée depuis longtemps, il ne reste de cette époque que de vagues souvenirs et les structures architecturales des bâtiments. Cependant, les habitants de mon quartier sont des descendants en ligne directe de ces anciens ouvriers qui ne voyaient pas le jour. La nuit, même si j'habite dans la partie autrefois dévolue au mieux nantis, n'est pas calme autour de chez-moi, surtout lorsque le premier jour du mois pointe le bout de son nez.

Le soleil est à peine levé que, déambulant dans les rues pour remettre un film en retard, je constate que la rue Ste-Catherine est parée d'une file d'attente longue de deux coins de rues menant aux portes de la succursale de la Caisse-Populaire. Ils sont tous sur leur 31, lavés et peignés de frais pour leur rencontre mensuelle avec le caissier sympathique qui leur remettra, rubis sur l'ongle, le montant total de leur chèque d'aide sociale. Et ils se connaissent, se reconnaissent dans cette file qui les voit se pointer aussi régulièrement que l'horloge sonne les heures. Alors le bout de rue devient le théâtre de discussions laissées en plan le mois précédent comme s'il n'y avait eu qu'une journée de décalage entre ces deux rencontres pas tout à fait impromptues.

Quelques heures plus tard, sagement assise dans mon salon, j'entends déjà les cris des chicanes de ménage titillées par un surplus d'alcool. Et, toute la journée, c'est la valse des bouteilles de bière qui passent sous mes fenêtres. Je peux, au son, savoir si c'est un aller au dépanneur du coin, ou un retour. Avec la nuit qui descend doucement sur ces dernières heures de mai, les pas se font plus hésitants, mais les verbes plus forts et plus acérés. Les enfants sont laissés sans grande surveillance alors, malgré le fait que l'école soit à l'horaire du lendemain, je peux les entendre jouer dans la ruelle jusqu'à minuit. Moi, je reste tranquille à l'écart de toute cette agitation qui ne m'est pas familière.

Je vis dans un quartier habité par des gens fiers. Ils en connaissent chaque recoin. Ils vous parleront longuement tout ce qui y a vécu dans les dernières décennies et même avant. Ils n'ont pas beaucoup d'éducation, mais ils savent mesurer le pouls de leurs chez-soi. Ils n'ont pas beaucoup d'éducation, mais ils savent utiliser leur mémoire. Alors ils font revivre pour moi, ces souvenirs. C'est parfois un peu mêlant parce que je ne sais pas encore faire la différence entre les souvenirs qui appartiennent à un de ces locuteurs et ceux qui sont empruntés à des gens d'une génération précédente.

Je vis dans un quartier où chaque ruelle a son lot de matous grincheux. Un quartier où les gens se saluent dans la rue. Un quartier qui ressemble un peu à l'image idyllique des villages d'antan. Aujourd'hui, je regarde par ma fenêtre et je me sens enfin chez-moi.

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