vendredi, mars 30, 2007

De réflexions ou d'éclosion

Depuis quelques semaines, j'ai le sentiment d'être une fleur qui s'éveille au printemps. L'impression que je vis au rythme des saisons et que comme tout animal, je me cherche plus qu'à n'importe quel moment de l'année, un compagnon pour la route à faire. J'ai des antennes à garçons. Je les vois, les évalue. Je les juge, les jauges, leur adresse des sourires sans en avoir conscience. Je vois leur intérêt pour la femme que je suis, les courbes que je ne porte plus en fardeau, mais en étendards prometteurs de fertilité. Et les commentaires se lovent dans les replis de ma mémoire, ces commentaires que j'ai à peine entendu sur le coup, et qui reviennent en boucle lorsque les absences s'additionnent. Avec un petit recul, je les savoure ces compliments murmurés à mon oreille, les yeux pétillants de malice.

Point pour moi de femme requin pourtant. Pas d'envie dévorante de mordre dans les chairs friables des hommes qui me croisent en toute innocence. Point de désir inaltérable de dépouiller les âmes et de me repaître, langoureusement, de leur essence. Sans besoin de séduire à n'importe quel prix, surtout pas celui de mon intimité. Sans vouloir brûler ma propre sève à l'autel de ma concupiscence. Ce n'est plus un jeu de pouvoir, ni une volonté de m'inscrire en faux devant mes propres complexes pour me prouver que je puisse encore avoir un certain succès auprès des hommes. Plus l'envie de boire le calice jusqu'à la lie. Jusqu'à l'écoeurement de ma propre peau, marbrée des traces que tous ces doigts laissaient dans leur sillage. Tannée de ne me juger qu'à l'enveloppe charnelle plutôt que dans mon entité. Lasse des eaux troubles du désir éthylique, assoiffé des caresses sans noms qui multipliaient mes nuits. Ce n'est plus l'aulne à laquelle je m'abreuve.

Appétence plutôt de complicité. Soif de rires dans les matins taquins de la bonne entente. Faim de savoir que les soirs se ressembleront dans leurs différences. Sauf que je ne sais plus jouer cette orchestration. Celle qui dose savamment le besoin de l'autre et celui de soi. Celle qui permette de s'avancer un peu, juste assez pour se dorer les ailes sans les brûler totalement afin de conserver l'essor qui me pousse vers le soleil. Je crois qu'en fait, je ne l'ai jamais su. Toujours été trop passionnée et entière pour laisser la vie tranquillement faire son oeuvre. Impatiente d'en finir une fois pour toute quitte à donner l'impression de m'en foutre. Tout donner ou tout prendre. Sans réserve et sans mystère.

Envie souvent de tendre la main de l'autre côté du gouffre de mes doutes. Effleurer le néant qui s'ouvrirait devant moi. Attraper le bonheur qui pourrait s'y glisser. Sentir refluer le mouvement à peine entamé. Discourir des heures durant, analyser chaque geste et chaque absence de geste avec un tiers plutôt que de dire tout simplement que j'aimerais bien qu'il m'aime, justement.

Libellés :

mercredi, mars 28, 2007

Le poisson était sur le dos

Dans la cuisine de la maison familiale, un rayon de soleil taquinait les lattes du parquet. Du haut de mes trois ans, je m'avançais vaillamment vers la table, portant près de mon corps le contenant de lait disposé à mon attention dans le frigo pour que je puisse le verser toute seule dans mes céréales. En passant près du comptoir, j'ai constaté que le bocal de mon poisson était vide. Inquiète, je suis revenue sur mes pas après avoir posé le lait sur la table. Rien de rien. Seulement l'algue en plastique qui ornait le fond du bocal. Algue que je mêlais avec l'herbe des pelouses alors j'avais nommé mon poisson rouge Gazon.

Désarçonnée je suis montée jusqu'à la chambre de mes parents. Toute triste. J'ai réveillé ma mère pour qu'elle descende avec moi afin de comprendre ce qui avait bien pu se passer. Elle a enfilé une robe de chambre et m'a suivie. Quelques minutes après son arrivée, elle l'a trouvé, juste au pied du comptoir, le poisson était sur le dos, séché. Nous avons trouvé une petite boîte pour y mettre mon petit ami oranger. Ensuite, nous l'avons enterré. Parce que je pleurais beaucoup, j'ai eu un autre poisson. Que j'ai évidemment appelé Gazon. Comme son prédécesseur, il s'est un jour retrouvé sur le plancher. Je ne sais pas combien de poisson rouge j'ai bien pu avoir ainsi. Je n'ai pas eu connaissance de tous les suicides de mes compagnons aquatiques. Mais un jour, j'ai compris qu'ils se suicidaient en sautant par dessus le bord du bocal. Et ce n'est beaucoup plus tard que j'ai su que je ne mettais pas assez de roche dans le fond de cet aquarium et que ça perturbait la psychologie de ces pauvres bêtes.

Je me souviens d'avoir trouvé que les poissons suicidaires franchement, c'était un paquet de trouble pour rien. Depuis, j'ai quand je passe près d'un aquarium, j'ai développé le réflexe de regarder le plancher afin de ne pas écraser quelque survivant d'un plongeon dans le vide.

Libellés :

mardi, mars 27, 2007

Sans compter les coups

Je n'ai pas compté les coups, mais je sais que j'en suis à plusieurs. Si je ne me connaissais pas si bien, je croirais que je suis presque méprisante. Tu me dis que tu reviens et je profite de ton absence pour me sauver. Le pire, c'est que la plupart du temps, je n'y pense même pas. Je fais juste réaliser que je suis tannée d'être où je suis. Alors, je fou le camp. Et si tu ne trouves pas exactement sur le chemin de mes pas lorsque je prends ma décision, c'est cuit; tu n'auras même pas droit à un « au revoir » de bon aloi. J'ai un certain talent pour les sorties à l'anglaise. Rien à faire avec moi, je file dès que j'ai une minuscule chance de m'esquiver.

Tu me dis que tu me trouves belle, et je repousse cette affirmation du revers de la main, comme s'il s'agissait d'une mouche fatigante qui me tournerait autour de la tête. Ça me prendra des semaines avant d'assimiler que tu t'es mouillé assez pour m'offrir ce compliment. Tu me dis que je suis sensuelle quand je danse, que je n'ai pas besoin d'un follow spot pour que tous les regards se portent sur moi. Moi je me convainc que tu es simplement gentil avec moi. Comme un ami qui cherche à remonter mon ego émietté. Je vois bien qu'il y a toujours une nuée de femme autour de toi, quelles que soient les circonstances. Je vois bien que tes partenaires de billard féminines se battent pour obtenir ton attention, tes sourires et les discussions bien senties que tu me réserves depuis peu. Elles me toisent, questionnent la pertinence de ma présence autour de la table, essaient de savoir, par des chemins détournés, ce que je pense de toi. Toutes les fois, ça me rentre dedans comme un char d'assaut en pleine face.

Tu braves la foule pour venir jusqu'à moi, malgré la gang dans laquelle je m'insère tout le temps. Je me dis que tu dois avoir trouvé une de mes amies particulièrement séduisante, ce jour-là, pour que je te la présente. Et quand tu tends la main, convivial, au dessus de la mêlée, pour te présenter avant que j'aie eu le temps de le faire, je me dis : « ça y est, c'est elle ». Sitôt ces formalités passées, tu restes assis à mes côtés. Silencieux. Tu me regardes débattre de tout ou de rien avec mon entourage, un drôle de sourire sur le coin des lèvres. Quand je m'emporte contre les imbéciles qui jonchent un parcours de vie, tu ris tout bas. Des lors, je crois que tu te paies ma gueule. Et je rougis dans le noir, honteuse d'avoir encore été prise à me laisser errer sur les ires des mes emportements. Alors, tu poses la main sur les rondeurs de mes joues et je retiens à grand peine les crues qui montent à mes yeux.

Quand la soirée a fini de s'étioler, les rares fois où je ne me suis pas éclipsée d'avance, tu m'accompagnes jusqu'à ma porte. Comme si ce n'était pas un détour. Je te plante un baiser sur la joue et tu exploses de rire. Je grimpe en courant la volée de marches qui me sépare de la rue et je referme la porte sur moi, le coeur affolé. Les sens aux abois. Toute seule dans ma chambre, je me dis que j'ai tout inventé. Je récapitule la suite des événements, je repenses à toutes les sourires que les autres t'ont fait. Je me dis qu'elles sont toutes plus belles que moi. Que je me bâti des châteaux dans les nuages en m'imaginant qu'il y peut-être un bout de cette attention qui m'est véritablement destiné.

Je n'ai jamais compté les coups, cependant je commence à me rendre à l'évidence qu'au nombre de fois où je t'ai claqué la porte au nez, tu aurais dû tourner les talons depuis longtemps. Mais tu es là et tu persistes. Tu m'enveloppes de ton charisme bienveillant et tout ce que je trouve à dire c'est que je n'y crois pas.

Mon problème tu vois, c'est que j'ai toujours eu une peur démente des hommes qui ont du charme. Ce dont tu ne manques vraiment pas.

Libellés :

lundi, mars 26, 2007

Les nouveaux voisins

J'avais quatre ans. Mon amie des deux dernières années avait quitté la maison qui jouxtait la nôtre depuis quelques jours, mais ça me paraissait une éternité. Je savais, puisqu'on me l'avait expliqué, qu'il s'agissait d'un déménagement tout bête, mais à cette époque, pour moi, c'était beaucoup plus que cela : c'était un bouleversement de mon environnement. Il n'y avait pas de clôture entre les cours, seulement deux ou trois bouquets de cèdre qui délimitaient les territoires. J'avais déjà l'habitude de passer d'un endroit à l'autre, en traversant des frontières imaginaires. L'ensemble formait déjà mon territoire. Ma mère m'avait dit que ce serait sans doute différent avec les nouveaux voisins. Que l'autre maison n'était pas la mienne et que je ne pourrais pas nécessairement continuer à y entrer comme bon me semblerait.

Par un beau matin ensoleillé, une voiture s'est stationnée derrière un gros camion. Moi je faisais semblant de m'affairer devant la maison. Je crois que j'étais très préoccupée par l'état de santé d'une de mes poupées. Aussi subtilement qu'une fillette de quatre ans puisse le faire, j'ai observé l'arrivée des nouveaux habitants de la maisons verte. Tout d'abord, un grand monsieur, fier et digne a émergé du véhicule. Puis une toute petite femme, au sourire rassurant en est sortie à son tour et enfin un cortège de fillettes. Trois, pour être précise. Dont une qui avait l'air d'avoir mon âge. J'étais sauvée : le hasard avait troqué une amie pour une amie. Je n'ai pas douté un seul instant de l'issue de cette rencontre. Forcément, si la fillette avait mon âge, elle serait mon amie. J'ai donc vaillamment traversé la pelouse et je suis allée me présentée. Pour me faire rabrouer rapidement par le grand monsieur. Ce n'était pas méchant, simplement un peu sec, parce que les filles avaient à transporter encore quelques affaires dans la maison, après quoi, seulement, elles pourraient jouer.

J'ai vite compris que ma mère avait eu raison, mon terrain de jeu s'est mis à rapetisser comme une peau de chagrin. De notre côté de la haie, les jouets jonchaient le sol comme des feuilles à l'automne. La piscine que nous possédions attirait une ribambelle de bambins de tous âges, le gazon tournait à la terre un peu partout. De l'autre côté, c'était un jardin luxuriant, une belle balançoire toisait le terrain tandis que des fleurs et un plan d'eau avaient allègrement poussé. L'homme, prenait un soin jaloux de son terrain, sur lequel nous avions le droit de jouer, mais plus calmement que de notre côté de la haie. On le voyait tout le temps à bichonner sa verdure, à rendre service à tous ceux qui le demandaient. C'était un homme du dehors, que l'hiver ne freinait pas. Il aidait à déneiger les entrées et nous permettait de nous créer de formidables forteresses dans les bancs de neige savamment disposés dans des endroits stratégiques pour qu'ils ne soient pas ramassés par la voirie lors du déneigement. Je me rappelle l'avoir vu courir à ma rencontre après une de mes chutes à bicyclette, lorsque, trop hardie, je m'étais lancée sans mes petites roues sur la chaussée encore mouillée par les pluies printanières. Dans son regard inquiet, je voyais bien que ma santé lui importait.

J'ai quitté le domicile familial il y a près de quinze ans. Je n'ai pas revu ce voisin depuis ce temps. Sinon, une ou deux fois, par hasard, devant sa maison lorsque j'allais visiter mes parents. Quoiqu'il en soit, le souvenir tenace de l'homme bon qui avait aménagé avec toute sa famille à côté de chez-moi a perduré à travers le temps. J'ai su mercredi dernier qu'il était décédé. Je suis allée au Salon funéraire avec ma mère et ma soeur, pour les filles. Elles étaient heureuses de me voir, malgré le temps et le silence. Dans la bière ouverte, j'ai vu le visage serein d'un homme qui avait bien vécu. Il était identique à mon souvenir et lorsque je me suis approchée, j'ai cru le voir sourire.

Libellés :

mercredi, mars 21, 2007

Les chaînes du passé

Tu me disais que je t'abandonnais. Avec cette moue que je ne connaissais que trop bien. Cette petite bouille toute chiffonnée que j'avais vu un million de fois au moins. Tu me disais que jamais tu ne m'aurais fait ce coup-là, que je descendais bien bas pour en arriver là. Et moi, je me tordais le coeur sous les assauts de la culpabilité galopante que cultivais comme d'autres entretiennent un jardin. Tu me disais que je n'avais pas le droit, après tout ce que tu avais fait pour moi, te te laisser sur le carreau de ma vie. Tu me disais que personne ne m'aimerait comme tu m'aimais.

Tu me disais que tu me connaissais par coeur. Que tu appréciais de moi ce que la plupart des autres me reprochaient. Tu me disais que je te faisais mal. Je n'avais pas besoin d'entendre ces mots pour voir le désastre que je provoquais. Je n'avais pas besoin des accusations pour sentir que j'érodais le monde dans lequel tu vivais. J'avais une conscience aiguë de la hauteur de ma trahison. Je n'avais même pas d'autre raison à t'offrir que ce besoin irrépressible d'aller voir le monde. D'aller explorer par moi-même le bout d'univers qui m'était imparti. Tu me disais que tu ne comprenais pas. Que tu ne pouvais pas avoir été à ce point mauvais ou lacunaire pour des ailes me poussent à voler vers d'autres cieux.

J'aurais voulu sublimer la détresse de tes prunelle. Faire taire la plaine lancinante que je lisais dans ton désarrois. T'expliquer, dans des mots que tu comprendrais avec tes tripes, tes sens, ton être tout entier, pas uniquement avec ces mots vides de sens que tu ne pouvais qu'intectualiser, que mon départ n'était pas contre toi. J'aurais voulu que cesse la pression immense sur mon coeur, cette responsabilité accrue, avec laquelle je ne savais pas du tout composer. Parce que la déchirure que je sentais poindre sur ton être était pire que tout. J'ai tenté de te dire, tenté de trouver les verbes qui conjugueraient adéquatement mes états d'âme. Et après presque quatorze ans, je n'arrive à rien d'autre qu'à constater l'échec de mes fêles tentatives pour te préserver du gouffre que j'ai fait éclore sous tes pas. Et pourtant, ce n'était tellement pas une dans une volonté de t'atteindre ni de te blesser. Ce n'était qu'un élan complètement égoïste qui me poussais ailleurs. Sans regard à nos malentendus. Sans regard à nos prises de bec.

J'aurais préféré que tu comprennes que mon départ n'était pas un geste de renoncement ni l'annulation de l'amour. Ce n'était que le désir de liberté, après tout légitime, qui me poussait vers des cieux différents. Après tout, je n'étais alors qu'une toute jeune personne que je n'arrivais à qualifier ni d'adolescente, ni de femme.

Je ne vivais, au fond, que l'essor de l'enfant devenue adulte cherchant à se défaire du noeud familial. Et toutes les années écoulées depuis m'auront appris que mes espoirs de liberté seront toujours entravés par les chaînes de ce passé qui marque la césure entre l'enfant que je fus et la femme que je suis devenue.

Libellés :

mercredi, mars 14, 2007

Les yeux verts

Deux yeux verts me regardaient. Intensément. Comme si j'avais été victime d'une transformation subite. Et pourtant, je n'avais pas changé. J'étais la même que la dernière fois où ce regard s'était posé sur moi. Un peu ronde, avec des pommettes rondes cachant mes yeux si petits derrière les sourires et les rires qui éclosent sur mon visage. J'étais la même, mais dans ces yeux taquins je me voyais aussi différente qu'ils me percevaient. Je me suis tournée vers mon verre pour chasser le malaise. Sans grand succès. J'ai sorti un cahier pour me donner une contenance. Je me sentais beaucoup trop seule pour affronter la foule environnante. Je ne voulais pas trop avoir l'air disponible pour une conversation. Il y a des moments où la fuite est encore le seul moyen que je connaisse pour arriver à survivre. Des moments durant lesquels je ne sais plus que faire de ma peau. Des moments au cours desquels je rêve de devenir transparente. Et je savais que si je quittais l'endroit à ce moment précis, beaucoup de gens en seraient étonnés. Je savais que j'aurais droit à des slaves de questions à la première occasion.

Gribouillant à la fois dans mon cahier et dans le livre de mots-croisés qui ne me quitte pratiquement jamais, je ne prêtais plus attention aux personnes qui m'environnaient. Je faisais bien attention à ne pas boire mon breuvage trop rapidement afin d'éviter les déplacements que ma vessie ou mon gosier m'auraient imposés. J'avais le sentiment d'être tombée dans une pièce rétrécissante, entre moi et les yeux verts l'espace devenait de plus en plus petit quoique ni l'un ni l'autre ne nous étions déplacés. Je replongeais dans mes cahiers, faisant comme si je ne voyais pas le salut qu'un homme au bar m'adressait. Je ne voulais pas du tout être en contact avec le monde extérieur à mon âme. Drapée dans une attitude asociale. Il y a des moments durant lesquels même les plus jolis compliments me donnent la frousse. Il y a des moments durant lesquels je n'ai pas envie que quiconque me trouve belle. Il y des moments durant lesquels je voudrait bien que la téléportation existe pour que je puisse simplement disparaître et annihiler le temps.

J'en étais à terminer mon verre et à me dire qu'assez de temps s'était écoulé pour que je puisse ramasser mes affaires l'air de rien quand il s'est laissé choir sur la chaise à mes côtés. Toujours ce regard bizarre que je ne lui avais jamais vu jusqu'alors et qui m'était réellement destiné. Je ne pouvais le nier, sans la foule entre nous pour me permettre de croire que je me faisais des idées. Prise au piège de sa présence encore muette, je lorgnais le verre vide qui ne pouvait plus me donner de contenance. Il a agité la main tandis qu'un serveur s'empressait de me rapporter la même chose que je consommais depuis le début de la soirée. « Alors, qu'est-ce que tu en as pensé? Me demandait-il. J'aimerais avoir ton opinion franche sur ce que tu viens de voir. » Je lui ai répondu le plus honnêtement possible. Décrivant les bons et les moins bons moments. Quitte à voir ses sourcils se froncer lorsqu'il me trouvait un peu trop sévère. Nous avons été interrompus, plus d'une fois, par des gens qui le connaissent et qui me toisaient d'une manière intriguée, comme si je n'étais pas digne d'accueillir cet homme à ma table. Comme s'il me faisait une faveur incroyable, moi qui n'avait strictement rien demander. Et il disait à ces importuns qu'il irait les voir un peu plus tard. Ce qu'il ne fit pas. D'un sujet à l'autre la discussion s'est étirée, changeant de cap et de rythme à tout instant. Entre les rires et les confidences un peu plus sérieuses, la place s'est tranquillement vidée. J'ai oublié que je pouvais avoir envie de fumer une cigarette. Le temps s'est écoulé à une vitesse folle.

Je suis partie le coeur gonflé. En me disant que je me racontais sans doute une des chimères dont j'ai le secret. En me disant qu'il était un grand charmeur et qu'à la prochaine occasion, il ferait le même coup à une autre fille. Et pourtant, depuis ce temps, il s'installe souvent devant moi lorsque nous nous croisons, pas vraiment par hasard. Il a pour moi une petite touche de plus que pour beaucoup de filles qui se trémoussent sous le vert de ses yeux. Et j'ai appris par expérience qu'il vaut mieux pour moi de ne pas trop laisser traîner mes objets personnels devant lui, lorsque je m'absente quelques minutes, sous peine de les retrouver remplis de petites notes idiotes qui me font sourire et rougir quand je les aperçois.

Libellés :

jeudi, mars 08, 2007

La tentation de Sarah

Ça avait été le plus bel été de sa vie. Pourtant Sarah y était allée à reculons. Elle n'avait plus envie de passer ses étés en colonies de vacances, mais comme sa mère lui avait très justement fait remarquer, un été en apprenti-monitrice lui donnerait une première expérience de travail, ce qui serait utile pour la suite des choses. Elle avait donc choisi une colonie où elle n'était jamais allée auparavant. Écoeurée qu'elle était de tous les étiquettes qui lui collaient à la peau. Plus envie de se faire cataloguer comme fille terne et pas dans le vent. Encore moins envie de revoir toutes ces filles qui lui avaient mené la vie dure du haut de leur grande popularité. Alors elle s'était exilée dans une base de plein air pour toute la famille, quelque part loin au nord de Montréal, sans possibilité de revenir chez-elle avant la fin des vacances.

Elles étaient deux apprenties-monitrices pour quatre apprentis-moniteurs. Deux filles aussi dissemblables que possible. Stéphanie, la dégourdie, fonceuse, confiante et aventureuse et la très ordinaire Sarah. Le soir, autour des feux de camps, lorsque les campeurs dormaient sagement sous leur tentes, Stéphanie entreprenait toujours de faire du charme aux gars, se lançant à leur tête sans gêne. Et au matin, elle racontait ses exploits à sa condisciple mal à l'aise. Sarah l'écoutait en essayant tant bien que mal de ne pas se faire d'images mentales trop persistantes des ébats que lui narrait son amie, en doutant toutefois un peu de l'exactitude de ce qui lui était rapporté. Pour la première fois de sa vie, Sarah constatait qu'elle plaisait beaucoup au garçons de son entourage. Combien de fois lui avait-on proposé une promenade sous l'oeil discret des arbres environnants? Elle avait parfois l'impression d'être le centre réel de l'attention masculine, mais se gardait bien de livrer ses impressions à Stéphanie.

Malgré tout, Sarah ne s'intéressait pas aux apprentis-moniteurs. Son coeur à elle avait fait des cabrioles en descendant de l'autobus, avant même d'arriver sur le site du camp. Là sur le quai de la gare, un grand jeune homme attendait les apprentis-moniteur. Il avait des cheveux en bataille et un sourire en coin. Il s'appelait Jacques, mais pour les campeurs c'était Trac. Pour tout le monde en fait. Puisque comme il le disait en riant, Jacques était un prénom beaucoup trop sérieux pour lui. Sarah s'était accrochée à son sourire au premier regard. Elle en rêvait la nuit. S'inventant des histoires romantiques dans des circonstances plus abracadabrantes les unes que les autres. Il avait vingt-et-un ans. Elle savait bien que ses dix-sept ans ne pesaient pas lourd dans la balance face aux monitrices plus âgées qu'elle. Alors Sarah vivait de ses chimères. Lunatique toujours, mais heureuse d'être amoureuse.

C'était son secret. Elle se surveillait de près afin d'éviter que Stéphanie, surtout, de découvre quoique ce soit. Sarah avait le sentiment que Stéphanie sauterait sur l'occasion de draguer Trac si elle s'apercevait que le coeur de Sarah était accroché au sourire de celui-ci. Pour rêver en paix, Sarah allait seule le soir sur la jetée, avant l'heure du feu de camp. Et dans le creux de son coeur, elle donnait de nouveaux surnoms, affectueux à ce moniteur qu'elle trouvait si parfait. À cet homme qui pour elle, représentait la plus grande tentation. Ainsi de Trac elle était passé à Titi puis à « Rrrrrrrrro Minet » par association d'idées. Lorsque vint le temps pour tout le monde de retourner chez soi, Sarah avait réussi à obtenir, innocemment, le numéro de téléphone de Trac.

Toujours accrochée, complètement mordue en réalité, elle avait compté les jours avant de l'appeler. Ils s'étaient vus, au début, au milieu de tous les autres et tranquillement seul à seule. L'été allait prendre son envol et ils retourneraient tous les deux à la colonie de vacances comme moniteurs. De l'ancienne équipe, il ne restait presque personne. Et un soir qu'ils étaient seuls Trac et elle à préparer les activités de l'été Trac lui avait demandé : « M'as-tu appelé Gros Minet? » Elle ne s'en était pas aperçue. C'était sorti tout seul. La démasquant par le fait même. Et devant le sourcil interrogateur qu'il levait pour elle, Sarah n'avait rien su faire d'autre que de rougir, un peu.

Libellés :