Il me semble parfois que
le temps file à une vitesse folle ou encore qu'il est parsemé de
trous béants. À d'autres moments, cependant, je croirais presque à
une certaine synchronicité. Ces derniers temps, j'ai reçu quelques
invitations d'amitiés sur les réseaux sociaux qui sortaient tout
droit de mon enfance; de l'école primaire, je veux dire. Ça fait un
peu étrange de voir apparaître coup sur coup les noms de personnes
qu'on a pas vu depuis quelque chose comme trente ans et à qui on
n'avait pas vraiment consacré beaucoup de pensées dans
l'intervalle.
J'ai croisé l'une de ces
personnes aujourd'hui. En discutant avec elle, j'ai compris qu'elle
croyait que nous avions été à l'école secondaire ensemble, pas au
primaire. Après avoir bien démêlé tous les fils de cet
embrouillamini, nous sommes tombées d'accord sur le temps d'école
que nous avions passées ensemble, à une classe d'intervalle. Et
c'est là qu'elle m'a dit, tout sourire : « Ah, mais
c'étaient tellement des belles années, il n'y avait que du beau
dans ce temps-là pour moi, autant au primaire qu'au secondaire,
c'est sans doute pour ça que j'ai tout mélangé ». Je me suis
contenté de sourire et j'ai repris ma route en réfléchissant à
tous les degrés de perceptions qui peuvent différencier deux
personnes.
À l'école où nous
allions, j'étais la tête de turc de ma classe. Je vivais de
l'intimidation, même si je n'aurais jamais utiliser ce terme pour
décrire ce que je vivais. J'aurais plutôt dit que j'étais rejet
parmis mes pairs. C'était un état de faits et j'avais trouvé un
paquet de solutions pour contourner le problème et avoir une vie
scolaire somme toute heureuse, à commencer par fréquenter des gens
qui étaient plus jeunes que moi de deux ou trois ans ce qui me
permettait d'avoir un cercle d'amis stimulants malgré tout. Je
vivais avec le reste sans trop de difficulté, je crois. Et puis,
comme l'école était loin de la maison et que les ordinateurs et
l'internet étaient plutôt loin du quotidien, je réussissais à
mettre des frontières entre les difficultés vécues à l'école et
le reste de mon existence. Néanmoins, je ne pourrais pas dire que
dans cette période de ma vie, il n'y ait eu que du beau.
Peut-être à cause de ce
que je vivais, j'ai longtemps cru que les gens ne pouvaient pas
garder un bon souvenir de moi. Tout ce dont moi je me rappelais en
voyant surgir quelqu'un provenant d'un certain passé, c'était la
fois ou j'avais eu l'air ridicule et je croyais que forcément,
c'était le souvenir unique que quiconque pouvait avoir de moi. Ça
m'a pris bien du temps, peut-être même un passage dans le pays des
zombies pour venir à bout de cette croyance.
Bref, quand j'ai vu cette
autre personne revenir dans ma vie qui me disait à quel point
c'était fantastique de pouvoir se reparler après bien des années,
j'avais, encore une fois, une perception mi-figue mi-raisin. Parce
que je me souviens très bien avoir choisi de couper les ponts avec
cette personne parce qu'en grandissant, nos valeurs et nos intérêts
n'avaient plus vraiment de rapport entre eux. Et comme cette
personne est partie s'installer à l'étranger quelques années après
cette rupture pas tout à fait claire, la distance a fait le gros du
boulot. Sincèrement, je n'aurais jamais chercher à retrouver cette
fille-là, même si j'ai beaucoup plus de bons que de mauvais
souvenirs de sa compagnie.
Sauf que les ponts sont
retissés, elle est censée me donner des nouvelles à sa prochaine
visite dans le secteur. Et malgré tout, je suis assez curieuse
d'apprendre ce que l'étranger aura fait d'elle dans les trente
dernières années.
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