mardi, juin 27, 2006

Prémonition

Voici ma contribution de la semaine au Coïtus impromptus. Le thème était prémonition.
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C’était la Saint-Valentin. Il faisait doux tandis qu’une bordée de neige était tombée sur Montréal en calfeutrant les bruits de son manteau blanc. J’étais allée souper en célibataire avec ma meilleure amie pour ne pas être trop seule ce soir-là. Nous nous étions aventurées dans une partie de la ville que nous ne connaissions pas. Pour ne pas nous faire voir de gens qui pourraient nous reconnaître. C’était un jeudi soir, le lendemain, il y avait de l’école. Je suis donc revenue à la maison assez tôt.

Rendue à ma station de métro, j’ai bien vu que les autobus étaient tous très en retard sur leurs horaires et les usagers formaient une queue qui se perdait dans le brouillard. J’ai donc décidé de marcher jusqu’à la maison, convaincue que j’arriverais à destination bien avant l’autobus. Comme je le fais souvent, je me racontais toutes sortes d’histoires dans ma tête. À l’époque, mes histoires tournaient toujours autour du même garçon que je voyais dans ma soupe tandis qu’il ne me remarquait pas. Il savait bien qui j’étais, nous travaillions ensemble. Mais je n’étais qu’une fille parmi tant d’autres, à ses yeux, pendant que je me morfondais pour changer de statut.

J’étais presque arrivée quand j’ai senti mes jambes s’affaisser sous mon poids. Pendant une fraction de seconde, il n’y eut plus de lumière du tout. Et je me suis retrouvée à quelques kilomètres de moi-même. C’était un sous-sol miteux. Il y avait beaucoup de gens. Je n’en connaissais pas beaucoup. Mais Il était là. J’avais l’impression étrange d’être exactement derrière lui, comme coincée entre son corps et le dos du divan sur lequel il prenait place. Il y avait beaucoup de fumée, beaucoup de drogues et encore plus d'alcool. Il tremblait de tout son corps, achevé par des mélanges trop durs pour une seule personne. Il tremblait et ses yeux secs me laissaient voir toute la détresse de son âme.

J’ai repris conscience de mon environnement réel pour m’apercevoir que j’étais assise dans un banc de neige. Je savais que ce que je venais de voir se déroulerait sans aucun doute quelques heures plus tard. J’ai couru à perdre haleine jusque chez moi. J’en suis sortie aussi vite que j’étais entrée en disant à ma mère que je dormirais chez Marie. J’ai bien vu qu’elle allait me dire que c’était la semaine et que je devais dormir à la maison ces jours-là. Je lui ai dit que c’était important. Elle m’a cru. J’ai attrapé mon pyjama et ma brosse à dents pour filer en vitesse jusque chez lui. Quand je suis arrivée, un de ses amis que je détestais était avec lui. Il était dans ma vision. Je savais intimement qu’il ne lui apporterait rien de bon. Quand Il m’a vue il m’a demandé ce que je faisais-là. Alors j’ai dit : « je suis venue t’attendre, tu vas avoir trop de peine cette nuit, pour rester tout seul. »

Il est revenu 3 heures plus tard en me disant qu’il n’avait rien consommé finalement et qu’il en avait assez que je me glisse dans sa tête quand ça ne lui tentait pas. Mais je savais qu’il ne m’en voulait pas vraiment, parce qu’en me disant cela, il me serait très fort dans ses bras.

lundi, juin 26, 2006

Le temps des cerises

Fin juin. Drôle de saison au Québec. Le 24, solstice, c'est la fête nationale des Québécois. Drôle tout de même de voir comment l'Église catholique a réussi à récupérer une fête païenne pour l'intégrer à ses rites. Je ne me rappelle plus trop de quelle manière c'est devenu la fête des Canadiens Français, puis des Québécois, mais je me rappelle très bien le spectacle grandiose sur l'Ile Sainte-Hélène (celle qui jouxte Montréal) l'année de mes 17 ans. Cette année là, je faisais partie de la fête, j'étais présente. J'ai ensuite passé quelques temps à Sherbrooke, dans les Cantons de l'Est, là où le comité de la Fête Nationale est fédéraliste, et j'ai un peu perdu l'habitude de célébrer parce qu'il y avait un non sens politique entre les festivités et ce que cette fête avait toujours représenté pour moi.

Cependant, la semaine suivante c'est aussi la fête du Canada. Le premier juillet. Personnellement, je m'en suis toujours foutu, cultivant intérieurement l'impression que c'était la fête du pays d'à côté plus que la mienne, ne m'étant jamais senti d'appartenance réelle avec l'immensité qui entoure ma terre natale. Une des particularités québécoises de cette fête, c'est que c'est LA journée des déménagements. En effet, ici, les baux finissent presque exclusivement le premier juillet. Alors de la dernière semaine de juin à la seconde de juillet, on croise plus de camions de déménagement au mêtre carré que toute autre forme de véhicule de transport. Et j'exgère à peine. J'ai presque toujours réussi à me déménager en dehors de cette fenêtre, mais cette année, je n'y échappe pas. Déjà, je suis à cheval entre deux appartements, puisque je squatte mes futurs colocs depuis 5 jours et que mon ancienne chambre ressemble étrangement à un entrepôt de livres. Ce qui n'en fait pas l'endroit rêvé où vivre, vous pouvez bien l'imaginez.

Je me sens étrangement dans une zone tampon entre mon avant et mon après n'étant ni vraiment ancrée dans mes anciennes assises et absolument pas installée dans mes nouvelles. Pour l'instant, je dors dans la chambre de Juli et mes affaires me semblent très loin de moi puisqu'elles sont encore entassée dans cette chambre qui aura couvé mes deux dernières années. Et puis, il y a longtemps que j'utilise les ordinateurs de mes colocs pour écrire mes textes, le mien étant un vieux machin d'une dizaine d'années, complètement inapte à se plier aux vitesses extravagantes du web actuel. Comme je suis très chanceuse, je me suis dénichée un coloc geek qui m'a promis de regarder ma vielle machine pour voir ce qu'il pourrait lui faire comme opération de rajeunissement afin que je puisse rester en contact avec ce monde virtuel qui a participé à faire de moi un écrivain.

Alors ne vous inquiétez pas si vous me voyez silencieuse de temps à autre d'ici le 7 juillet, je devrai me plier aux disponibilités des ordinateurs de mes sympatiques colocs. Mais je vous lirai avec attention.

Ici c'est le temps des déménagements même si je préférerais que ce soit le temps des cerises.

jeudi, juin 22, 2006

De la broue dans le toupet

Il était 22h00, les derniers clients étaient sortis et j’attendais que la caissière ait terminé de compter sa caisse pour fermer le magasin tandis que les autres employés quittaient un à un. L’agent de sécurité m’a accrochée pour me dire que nous resterions tard lui et moi. Et je ne comprenais pas. Entre le moment ou il m’a glissé cette information à l’oreille et la suite des événements, j’ai eu l’impression qu’une heure passait. Et puis les derniers employés sont descendus alors l’agent a interpellé une personne en lui disant qu’il croyait qu’elle avait volé du matériel. J’ai eu l’impression que le sol se dérobait sous mes pieds, je ne savais plus quoi faire. J’hésitais entre me mêler de la discussion, appeler le directeur ou la police. J’étais complètement perdue.

Finalement, j’ai laissé l’agent faire son travail. J’ai rarement trouvé aussi difficile de me taire. J’avais des sueurs froides et les jambes en coton. Comme si j’étais menacée. Pourtant, la personne n’était pas violente. La caissière et moi avions des envies de rentrer dans le plancher. Mais nous devions rester là puisque l’agent ne pouvait être seul avec l’interpellée. Évidemment, cette personne s’est défendue. Elle était désarticulée et trop nerveuse pour paraître sincère. Je tombais des nues. On ne pense jamais qu’un collègue puisse faire cela. On estime toujours que tout le monde est honnête. Au début, j’avais envie de prendre sa défense, de la laisser sortir et tout. C’était trop abracadabrant pour être vrai, je voulais croire qu'il se trompait et qu'elle pourrait justifier les objets qu'elle avait dans son sac.

Malheureusement, c'était vrai. On l'a su plus tard. Je suis sortie du magasin après minuit, complètement retournée. Ce qui me dérange le plus dans tout cela, c'est que ça change cruellement la perspective que l'on a de quelqu'un. Le lendemain, tout le monde se regardait avec des points d'interrogation dans le yeux. Plus personne n'était certain de pouvoir faire confiance à son voisin. Vous me direz que ça ne changera pas grand chose au chiffre d'affaire de l'entreprise et vous aurez raison. L'accroc c'est que la confiance entre tous les individus de notre succursale est sans dessus dessous pour quelques jours encore. Et la confiance blessée est toujours dûre à soigner. Un larcin comme celui-ci est difficile à comprendre. Ça vous chamboule les perspectives, croyez-moi.

Et moi j'en étais à ma seconde soirée comme responsable de quart. Ce genre d'événement ne se produit qu'une fois aux dix ans dans une succursale. Il fallait que ça tombe sur moi qui n'étais au courant de rien. C'est une dose de stress plus grande que ce que j'aurais pu imaginer. En fait, j'étais persuadée que le pire qui pouvait arriver c'était un vol à main armée. Désormais je sais que lorsqu'on est responsable, il y a plein de facteurs qui peuvent venir vous déboussoler une soirée.

En sortant, je suis allée prendre une bière, encore. Il fallait bien que je décompresse. Et le lendemain, j'ai travaillé en sandales toute la soirée. Sans m'en apercevoir. C'est dire si j'étais bouleversée.

mardi, juin 20, 2006

Une insulte sur un Plateau

Hier soir, il faisait chaud. Très chaud et humide sur Montréal. Pour la première fois depuis que j'ai changé de poste, j'étais RQ (responsable de quart). C'était donc à moi de fermer le magasin et de m'assurer que tout était en ordre avant de quitter et que la caissière avait le temps de préparer son dépôt final et tout et tout. Je savais que j'étais capable d'assumer ce rôle, je me suis sentie tout à fait confortable dans mes chaussures de responsable. Mais une fois dehors, quand tout fut terminé que j'eus vérifié pour la troisième fois que toutes les portes étaient bien fermées, j'ai eu l'impression qu'une chape de 2 tonnes me tombait des épaules.

J'ai donc décidé d'aller prendre un verre pour laisser descendre l'adrénaline. Soirée très tranquille pour moi. Je ne suis pas partie très tard, et je me suis arrêtée chercher une pointe de pizza parce que j'avais l'estomac dans les talons. Je sors de la pizzéria et je traverse la rue innocement quand un mec dans une voiture me lance «Heille bébé, tu devrais pas manger de la pizz, t'es trop grosse.» J'avais des envies de lui dire des méchancetés, mais je me suis simplement retournée, très calmement, sous l'oeil ahuri des passants, et je l'ai fixé. Il s'est terré dans son siège et a baissé les yeux. J'ai continué ma route. Blessée.
Oui, bon d'accord, je SUIS grosse. Mais pas énorme non plus. Et je ne suis pas bien dans mon corps. Et je sais que de boire de la bière ou manger de la pizza ne m'aide pas. Mais joual vert, vous ne pourriez pas me laisser tranquille? Je n'ai quand même pas un tour de taille à faire frémir non plus. Ce que je trouvais le plus frustrant c'est que personne ne se serait avisé de faire un tel commentaire à un homme. Mais je suis une fille, alors on se le permet. On se permet de faire de moi un objet de désir qui ne rencontre pas les qualificatifs dudit objet et on me le fait remarquer. Être grosse, ce n'est pas drôle, et pour la plupart des gens, il est plus facile de prendre du poids que d'en perdre. Je suis doudoune. Je le sais. Je ne me baigne plus depuis des années parce que je me trouve trop laide pour m'exhiber. Et tous les jours je vois des filles plus grosses que moi arborer fièrement des chandails bédaine sans plus se préoccuper des regards d'autrui. Moi, j'en serais bien incapable.
J'avais la rage au coeur en rentrant chez moi. Une rage impossible à faire tomber tellement ça faisait mal. J'avais envie de retrouver le mec et de lui mettre mon poing dans la face en lui hurlant : «Sacrament, t'as rien de mieux à faire de ta vie que de distribuer des méchancetés gratuites?»
Et après, on se demande pourquoi je ne me trouve pas jolie et que je suis susceptible côté poids.

lundi, juin 19, 2006

... dans les nuages

Voici ma contribution pour le Coïtus impromptus de cette semaine. La contrainte était que nous devions terminer le texte par «dans les nuages.»
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« Pourquoi tu pleures? » Qu’elle m’a demandé du haut de ses 5 ans. « J’aime pas ça que mes amis soient tristes tu sais » avait-elle ajouté dans le même souffle. Je me suis retournée, les yeux trempés, pour contempler sa petite bouille avenante. Je n’ai pas répondu, me contentant de passer une main dans sa chevelure bouclée. Elle s’est collée sur moi en ronronnant du plaisir de se faire câliner. Puis elle a dit « Tu crois que c’est un truc d’adulte de consoler les enfants quand ce sont les grands qui ont de la peine? » Je n’ai pas pu m’empêcher de sourire à travers mes larmes. Et j’ai répondu « Peut-être Alice, peut-être. » Et elle a soupiré que les adultes étaient décidément bien compliqués.

Je me voyais mal lui expliquer ma grosse peine d’adulte qui se sent responsable de trop de choses pour ses minces épaules. Je me voyais mal lui dire qu’à certains moments quand on devient grands, on se sent seuls et dépassés par les événements et qu’on a vraiment l’impression qu’on arrivera pas à prendre le dessus sur notre vie. J’étais à un moment charnière et je savais que je devais prendre de grandes décisions. Laisser aller cette vie dans laquelle je m’enfonçais depuis trop longtemps, cette vie qui ne me ressemblait pas. Je me voyais mal lui expliquer que je me retrouvais à trente ans, devant un Néant que je n’avais pas prévu, puisque le trajet que j’avais suivi toute ma vie ne me convenait plus. Je voulais lui laisser ses rêves intacts. Je voulais qu’elle croie encore qu’on ne se trompait pas.

Nous sommes restées dans l’herbe haute, en silence pendant un long moment encore. Moi perdue dans mes pensées, et la petite Alice, si sage, que j’aurais pu la croire endormie. De temps à autres, elle me rappelait qu’elle était bien éveillée en allongeant sa petite menotte pour essuyer une larme qui roulait sur ma joue. Quoique mes pleurs puissent laisser paraître, je n’étais pas désespérée, simplement épuisée. Je sentais qu’il valait mieux que je laisser s’échapper les signes de ma tristesse plutôt que de les refouler. De me détendre ainsi, dans cet après-midi silencieux, me faisait un bien fou et je savais que je n’aurais pas souvent l’occasion de mesurer ma peine dans les prochains jours.

Au bout d’un certain temps, mes larmes s’étant taries, la petite se mit à s’agiter autour de moi, déboulant la pente en roulant et en riant aux éclats. Je l’entendais papoter sans vraiment porter attention à sa présence. Comme un fond sonore pétillant de bonheur qui faisait du bien à mes émotions sans dessus dessous. Puis ce fut le silence. Inquiète un peu je levai les yeux vers le dernier endroit où je l’avais vue du coin de l’œil pour m’apercevoir qu’elle n’y était plus. J’ai eu un brusque sursaut quand elle s’est accroupie à côté de moi en soupirant : « Tu sais ce qu’elle dit ma maman quand j’ai de la grosse peine comme toi? » Je connaissais tous les discours de sa mère depuis ma plus tendre enfance. Mais j’ai dit non pour laisser à Alice le soin de m’expliquer.

Elle a hoché la tête d’un air entendu avant de se lancer : « Ma maman, elle me dit toujours que lorsque tout va de travers, le meilleur truc au monde pour se replacer les idée c’est de s’étendre sur le dos et de regarder passer les nuages. Elle dit que ça apporte la paix. » J’ai laissé passé un silence qu’elle a dû prendre pour un désaveux parce qu’elle s’est empressée d’ajouter « Mais peut-être que tu aimerais mieux parler avec Maman qui console si bien? » J’ai rit et je l’ai tiré vers moi en la couvrant de baisers avant de lui dire « Mais non Alice, rien ne me consolerait mieux que d’être ici avec toi, à me faire une nouvelle vie, dans les nuages. »

vendredi, juin 16, 2006

Les conteurs

Toute petite, le papa de Guillaume me racontait des histoires. Des histoires écrites pour son garçon, que je ne connaissais pas. Mais j’adorais l’entendre me dire, toujours selon les mêmes inflexions, ces aventures rocambolesques au fil des saisons, que je connaissais par cœur, mais pas aussi bien que mon frère qui peut encore nous les répéter exactement comme on les entendait. J’ai passé des heures à chercher des trésors, faire des cerfs-volants, rêver à des ponts et aux oncles sympathiques qui jalonnaient les récits. Je suis une enfant des mots et de l’imaginaire, j’ai toujours aimé les livres, les préférant souvent à l’écran parce que je peux y voir surgir des personnages que je façonne complètement. Et les histoires sur l’oreiller, à l’heure où les rêves se lèvent pour venir habiter mes nuits, ont toujours été une source de joie.

Dans ma vingtaine, c’est Guillaume qui a pris le relais. Au début, je n’avais pas fait le lien entre les deux conteurs puis, ça m’est apparu évident. Il y avait, dans la fluidité du verbe, dans les pauses calculées pour susciter l’émotion, quelque chose de grand. Des univers différents, mais les mêmes sillons dans lesquels arrimer mes pensées pour filer jusqu’au bout de l’histoire, sans me déconcentrer. Je me suis laissée portée par ses héros en me disant qu’on s’entendrait bien. Et j’avais raison. Le temps a prouvé que nous avions en commun cet amour du verbe et un sens de l’humour quelquefois étrange qui nous amuse beaucoup. Et la cigarette. Cette cigarette qui nous jette dehors des endroits où autre fois nous nous sentions chez-nous. En ce moment, il se sent sédentaire autour de son salon. Je sens que l’hiver va couper des ponts.

Un soir d’hiver, quand les verres roulaient sur la table et les esprits étaient à la rigolade, Guillaume s’est mis à raconter certains de ses souvenirs d’enfance. Avec les vrais noms des personnages que j’avais connu sous d’autres identités. Il s’est animé à l’évocation de ses souvenirs et j’avais devant moi le conteur, en plus grand. C’était une soirée d’alcool, c’était une soirée de rires, et moi j’étais pendue à ses lèvres en questionnant les détails des aventures qui résonnaient si fort en moi. Il me répondait, patiemment, sans se choquer de mes interruptions intempestives. J’étais retombée en enfance impatiente, le temps d’une histoire bien ficelée.

Je suis retournée chez-moi avec de la magie plein le cœur. Plusieurs mois sont passés depuis cette soirée et pourtant j’entends encore, quand j’y pense, toutes les inflexions de la voix qui se posait à mon oreille. Et je souris en me disant que les lignées de conteurs, décidément, ont un petit quelque chose d’indéfinissable.

mercredi, juin 14, 2006

Soirée de filles

Il s’était assis à mes côtés sans me demander mon avis et se mit à me parler comme si j’en mourrais d’envie. Pourtant, loin s’en fallait. J’attendais, en réalité que la personne qui m’accompagnait ait terminé de lire le bouquin qu’elle dévorait depuis quelques jours. Étant moi-même lectrice, je savais que je n’aurais pas pu avoir toute son attention tant qu’elle n’aurait pas su le fin mot de l’histoire. L’homme en question, était dans tous ses états et même davantage. Il empestait le vieux cigare de mauvaise qualité, la sueur rance et le fond de tonne. Il me dit, dans un français cassé : « je voudrai me présenter à toi ». Je n’ai pas daigné répondre. Je suis snob comme cela, parfois. Il a déplacé mon verre en face de lui, pour que je lui accorde mon attention. J’ai remis ledit verre à sa place. Il a dit « je veux parler avec toi. » J’avais compris, que je me suis dit in peto, sans pourtant rien ajouter.

À ma gauche mon amie m’a lancé un drôle de coup d’œil et je lui ai fait signe que tout était sous contrôle. C’est là qu’il s’est mis à hurler : « T’es pas gentil! Je te parle! Tu dois me parler! » Je lui ai simplement répondu, le plus doucement possible : « Non, je ne suis pas obligée de te parler et en l’occurrence, ça ne me tente pas. » Alors il s’est mis à s’énerver et à m’accuser de ne pas lui parler sous prétexte que je ne le trouvais pas assez beau. Là, j’ai tiqué, sans le lui montrer. En fait, je ne le savais pas vraiment parce que je n’y avait pas porter beaucoup d’attention. Je n’avais pas envie de faire la discussion à un gars trop soûl pour se tenir droit qui puait de surcroît. À mon avis, c’est bien suffisant. Et je ne suis pas encore assez superficielle pour décider de ne pas adresser la parole à quelqu’un pour l’unique raison que je n’ai pas envie de le draguer.

Un peu plus tard, alors que nous avions migré du bar à une table, pour éviter les importuns, il y a cet autre homme qui s’est mis à tourner autour de notre table. Mon amie et moi étions dans une grande discussion philosophique sur l’amour et ses aléas et ne faisions rien pour laisser entendre que nous désirions avoir de la compagnie. Après tout, nous avions bougé dans le but d’être le plus discrètes possible. Toujours est-il que nous le sentions rôder comme un vautour prêt à se jeter sur ses proies. Voyant qu’il n’arrivait pas à intercepter mon regard où celui de la demoiselle à mes côtés, il est retourné, penaud, s’asseoir avec ses amis.

Quelques instants après, un de ses compagnons se tire une chaise à notre table sans nous demander notre avis. Il va sans dire que je l’ai fusillé du regard. Je crois que la personne visée par ces manœuvre était davantage l’autre personne que moi, m’enfin. Il a dit « laissez-moi deux minutes, juste deux minutes les filles » J’ai regarder ma montre avant de décréter : « Ok, timer on ». Alors il s’est mis à nous expliquer qu’il donnait une leçon de drague au pauvre hère qui lui tenait lieu d’ami en lui démontrant qu’il fallait foncer un peu plus quand il y avait des jeunes filles jolies assisses toutes seules à une table et que de toute manière, deux filles seules dans un bar étaient là pour se faire draguer, n’est-ce pas.

J’ai vu rouge. Le plus calmement du monde, je lui ai dit que son temps était écoulé et que j’apprécierais fortement qu’il nous crisse patience. Il m’a trouvée bête et allait s’en plaindre à ma compagne quand elle a ajouté qu’effectivement le délai était écoulé. Il est reparti en bousculant toutes les tables et toutes les chaises qu’il a rencontrées sur son passage. Il m’a traitée de tous les noms le plus fort possible, afin que tous les occupant du bar puissent bénéficier de ses avertissements. Nous avons haussé les épaules et continué notre discussion.

Ce matin, Joss se demandait si les commentaires salaces et stupides avaient un tant soit peu la cotte auprès de filles. Je ne pourrais pas parler pour les autres, mais je peux vous garantir que ce n’est pas avec moi que ça marche.

mardi, juin 13, 2006

Citoyenne du monde

Je me disais justement que je devais prendre des nouvelles auprès de sa mère. Ça faisait longtemps que je ne l’avais pas lue et je me demandais comment elle allait. Mais je savais bien qu’elle ne pouvait pas écrire comme bon lui semble : elle est infirmière pour Médecins du Monde et est actuellement au Zimbabwe. C’est loin d’ici et la technologie n’est pas aussi accessible que dans cette ville où je vis. Ce matin, il y avait dans ma boîte de courriel une chronique africaine. Un rayon d’humanité qui traverse les frontières et les continents. J’ai bu mon premier café en laissant mes yeux examiner les traces que mon amie y laisse, et j’ai eu le cœur trop gros pour ma poitrine comme chaque fois que je la lis.

J’avais 8 ans, la première fois que je l’ai vue. On s’est tout de suite bien entendues. Elle venait se faire garder chez-nous le jeudi soir pendant que sa mère travaillait ce qui a participé à jeter les bases d’une amitié solide qui a perduré entre les espaces et les silences. Nous nous sommes perdues de vue plus d’une fois, mais toutes les nouvelles rencontres nourrissaient le assises déjà existantes et nous voilà, vingt-cinq ans plus tard, encore copines. Plus de la même manière que lorsque nous étions enfants, cependant il existe un lien très fort qui ne s’atténue pas au gré des voyages qui l’amènent à tous les bouts de cette planète.

À travers ses yeux j’ai regardé la Savane, les inondations haïtiennes, le tremblement de terre de Bahm, les effets du raz-de-marée indonésien. Elle m’a ouvert une porte sur l’Afghanistan et une fenêtre sur le Grand Nord dans un même élan. Mais plus que tout, elle a su tracer un portrait très juste des êtres qu’elle a croisé que ce soit avec une pellicule ou encore avec des mots qu’elle nous fait parvenir jusqu’ici. En mai 2005, elle a publié un recueil de ses chroniques au Moyen Orient. Au même moment, elle recevait un prix pour son implication en dehors du Canada, comme infirmière. Et moi j’avais le cœur qui débordait d’affection pour ce bout de femme qui se dépense sans compter pour ses semblables, semant et récoltant un millier d’étincelles partout où elle passe.

Récemment, on l’a nommée parmi les dix femmes de l’année du Québec, elle est passé un peu inaperçue, coincée qu’elle était entre deux personnalités hautement plus publiques que mon amie. Et pourtant…

Ce matin, j’ai reçu une quatrième chronique africaine et comme tout ce que j’ai lu d’elle à ce jour, c’est le parfum suave de son amour pour les hommes et les femmes qui habitent notre terre qui m’a le plus émue.

lundi, juin 12, 2006

Le jour où la lettre arriva

Voici ma contribution au Coïtus impromptus de cette semaine. Nous devions commencer le texte par Le jour où la lettre arriva.
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Le jour où la lettre arriva, je n’étais pas dans mon assiette. Tout me faisait ronchonner à commencer par le temps qui ne se découvrait pas. J’avais des envies de meurtre des envies de détruire mes dernières œuvres et je devais me retenir pour ne pas me rendre dans mon bureau et tout mettre à sac, comme mes instincts me le dictaient. Parce que j’ai tout de même appris avec le temps que mes crises destructrices passent comme elles viennent. Parce que j’ai tout de même appris avec le temps que je dois prendre du recul quand je suis dans le cœur de ma création, sans quoi je trouve tout immodérément mauvais.

J’étais tranquillement en train de me prélasser sur les blogues quand j’ai eu l’indication que j’avais un nouveau message. Alors je suis allée voir ce qui en était.

Mademoiselle,

Je ne vous connais pas et rares seraient mes chances de vous apercevoir puisque des continents nous séparent. Je voulais vous dire que je vous lis depuis quelques temps déjà et que plus d’une fois vous avez fait vibrer en moi une corde que je croyais cassée depuis longtemps. Il y a, dans vos mots, quelque chose d’accessible et de serein qui vient me fusiller les tripes. Quelques mots et un espoir de douceur, de compréhension comme si vos paroles m’étaient adressées. Parfois, j’ai cette impression que c’est ma vie que vous racontez, assise à votre bout du monde.

Un jour, vous traitiez des femmes du Québec et j’ai vu ma propre vie s’écrire sous mes yeux. Comme si vous teniez une caméra au-dessus de mon existence et que vous en égouttiez la sève dans vos histoires. Il y a des matins où je me sens seul et alors j’ouvre vos pages, je fouille vos archives à la recherche d’un peu de ces embruns qui me réchauffent le cœur. La plupart du temps, je me vautre dans les réconforts que vous me proposez, des parcelles d’espérances qui soignent mes désillusions.

J’ai quelques écrits moi-même, je vous les fais partager parce que je voudrais avoir votre avis d’écrivaine.

J’étais abasourdie. Ces petites phrases sans détour me montraient une femme en moi que je ne voyais pas quelques instants plus tôt. Alors, en entrant dans le bureau, au lieu de tout casser comme j’en avais eu plus tôt l’intention, j’ai imprimé mes derniers textes et je me suis mise à les retravailler.

L’espoir, souvent, renaît des cendres que l’on ne voyait pas.

samedi, juin 10, 2006

L'effet Don Juan

Je n’aime pas les jours de grisaille. Depuis mercredi qu’il pleut sur mon coin d’univers, je me sens amorphe. Lassée que je suis de ces gouttelettes qui finissent pas écorcher l’âme à force de persuasion. Ça m’éteint le goût de l’écriture, comme si je fonctionnais à l’énergie solaire (je me répète, je sais). Les idées qui d’ordinaire se bousculent dans mon imaginaire pour sortir le plus rapidement possible, se remisent d’elles-mêmes quelque part dans mes inerties. Et je me laisse aller dans les silences que je ne maîtrise que peu.

Pour me changer les idées, hier, j’ai écouté de films de soleil. En commençant par Don Juan deMarco. Oh God! Pourquoi est-ce que je n’en ai jamais rencontré un comme ça moi? Je suis une fille bizarre qui lit vraiment des romans savons un tantinet stupides. Je carbure au romantisme depuis que je suis toute petite. J’ai toujours espéré qu’un homme viendrait un jour me faire une cour comme il s’en fait peu. Mes princes charmants imaginaires ont bien souvent changé de visage avec les années, mais leurs motivations étaient toujours les mêmes. Évidemment, je n’en ai vraiment jamais rencontré, les hommes qui ont fait partie de ma vie n’étaient pas tout à fait conformes à l’idéal que je me faisais. M’enfin, j’ai rapidement compris que mes idéaux n’étaient pas fait pour être accotés. Et j’aime bien rêver.

Mais hier, j’écoutais le Don Juan parler des femmes, de leur corps, je regardais les femmes devenir tout chose après l’avoir connu et je me disais, que j’aurais bien aimé vivre cela au moins une fois dans ma vie. Et puis, je me suis demandée si je vivais l’effet Don Juan, ou l’effet Johnny Depp. Alors j’ai écouté Benny & Joon. Pour en arriver à la conclusion qu’au bout du compte c’est l’acteur qui me met les hormones à broil et le cœur en été. Ça peut paraître con comme la lune, sauf que ça m’a fait un bien fou de me laisser porter par un élan adolescent pour un acteur qui ne me verra jamais de sa vie. Ma mère dira sans doute que c’est à se demander parfois si je vieilli ou si je désire stagner dans une adolescence puérile, mais moi je crois que ma faculté d’émerveillement intempestive me permet de traverser les jours de pluie qui autrement, seraient trop sombres pour moi.

Ce matin, il faisait toujours aussi gris dans mon coin de pays. Par contre, j’avais envie d’écrire ici quelques niaiseries. Ce que je fis.

mercredi, juin 07, 2006

Les autos tamponneuses

Tu m’as dit : « il faudrait peut-être qu’on se parle, pour recoller les éclats de nous qui se sont éparpillés à son contact » et j’ai pensé que tu avais sans doute raison. Puis, j’ai réalisé que ce n’est pas tout à fait vrai. Les hommes, tu vois, ceux que nous avons aimés jusqu’à la lie, ne pourront jamais unir deux femmes surtout lorsqu’elles ont été juxtaposées dans son existence. J’ai longtemps cru que la solidarité féminine nous permettrait de comprendre. Aujourd’hui, je crois que tout ça, c’est de la foutaise. On n’arriverait qu’à faire le procès de celui qui est le trait d’union entre nous. À mon avis, ce ne serait pas juste. Ni pour lui, ni pour toi, ni pour moi.

Je ne suis pas plus grande que nature, je ne suis pas plus merveilleuse que personne d’autre. Je l’ai été dans ses perceptions, à lui, pendant un certain temps, mais aujourd’hui, je ne le suis plus. Malgré le fait qu’il puisse parler de moi en termes élogieux, malgré le fait que tu puisses parfois avoir l’impression que de m’arriver à la cheville relève de l’utopie, aujourd’hui, tu es celle qu’il a choisie. Je fais partie d’un passé qui a son importance, mais tu es la fleur de son présent et c’est ce à quoi tu devrais porter attention. Après tout, je ne suis qu’une femme, en déséquilibre parfois. Après tout, je ne suis qu’une femme avec bien des défauts. Assez nombreux pour qu’il ait envie de me quitter.

Si j’ai appris une leçon au cours des années qui se sont accumulées sous mes ponts, c’est bien qu’on ne peut pas vraiment faire le tour de quelqu’un et que c’est beaucoup plus facile de composer avec ladite personne lorsqu’on laisse aller les zones d’inconfort sans chercher à mettre des explications sur tout. J’ai lu, je ne sais plus où, que ce n’était pas sain de fouiller dans la vie amoureuse, des gens avec qui on espère construire une relation. Je me suis rebiffée à l’idée. Pour finir par comprendre à quel point cette phrase était vraie. Je crois que lorsqu’on fait étalage de notre passé, c’est beaucoup pour se donner de l’importance. Et quand l’on avale avidement le passé de l’autre, on se crée des montres avec qui on se sent en compétition, bien malgré nous. Et les filles qui jalonnent les heures parcourues deviennent si merveilleuses que c’en est presque de la tricherie.

On pourrait jouer les autos tamponneuses, des semaines de temps et se rentrer dedans pour aller jusqu’à la fin de nos frustrations. Encore mieux, on pourrait s’asseoir, toutes les deux, devant un millier de cafés sans arriver à trouver les mots pour penser nos maux. Encore moins pour les panser. Nos blessures se regarderaient, dans le blanc de l’œil, toujours à vif. J’aurais beau dire, beau faire, je resterais un tantinet surhumaine, selon ta perspective. Ce n’est pas à moi de te donner les réponses, de toute manière, toutes celles que je pourrais te donner seraient faussées par ma propre humanité. Le puit que tu dois creuser est celui de ta confiance en toi. Il faut que tu réussisses à te convaincre de ta propre individualité. Il faut que tu saches, dans le cœur de tes tripes que tu es unique et que c’est cette unicité qui le comble, en ce moment.

J’aimerais pouvoir te dire qu’il t’aimera jusqu'au bout de tes rêves. Mais je ne peux pas te donner cette garantie. La seule chose dont je sois certaine c’est qu’il t’aimera au mieux de lui-même, le temps qu’il le pourra. Ne cherche pas à vaincre les déesses du passé, je suis certaine qu’être toi, suffit amplement.

mardi, juin 06, 2006

Les lumières dans la plaine

Voici ma contribution pour le Coïtus impromptus de la semaine. La grande nouveauté c'est que j'en suis une des nouvelles administratrices. Mais bon, ça ne changera pas grand chose hein? Je vais simplement continuer à écrire des textes pour le plaisir de les écrire. Mais je saurais un peu à l'avance quels seront les thèmes.
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Je n’ai jamais vu les lumières sur la plaine. Je viens d’une vallée sinueuse qui s’étend tranquillement le long d’un fleuve portant des allures d’océan à bien des endroits. Dans mon environnement tout personnel, la géographie se conjugue en vallons et en accidents de terrain. Les Européens, me disent que mes montagnes n’en sont pas, qu’elles sont trop petites pour mériter un tel nom. Ceci étant dit, je suis fière de ma montagne, comme la plupart de mes concitoyens. En réalité, nous y tenons tellement que les édifices qui décorent l’île sur laquelle est juchée la ville ne doivent pas dépasser en hauteur, le sommet du Mont-Royal. Je connais l’horizon qui borde l’eau, le connais celui qui découpe le ciel de ses dents montagneuses, mais la plaine ne fait pas partie des attributs dont se pare volontiers cet espace territorial.

Dans cet immense pays par contre, il existe des plaines qui s’étendent à perte de vue sur trois provinces. On les appelle les Grandes Prairies. Je n’y ai jamais mis les pieds et pourtant j’ai une vague idée de leur visage puisque j’ai l’imagination aussi fertile que leurs terres. J’ai passé des heures dans les mots de Gabrielle Roy à voir s’étaler sous mes pieds les terres du Manitoba. J’ai vagabondé à l’ouest de mes possibles durant toutes les heures que j’ai mis à parcourir les aventures de Laura Ingall’s et de sa famille. J’ai suivi la route des lettres que des amis me faisaient parvenir lorsqu’ils décidaient de poucer jusqu’à l’autre bout du continent en quête de sensations fortes, ou peut-être, plus simplement, d’eux-mêmes.

Je n’ai jamais vu les lumières sur la plaine. J’en ai souvent rêvé. J’ai imaginé des centaines d’histoires dans des pays qui n’existent pas, portant des plaines immenses des champs de bataille héroïques de mes fadaises intérieures. J’ai vu des couchers de soleil irradier des lignes de fuite que mes yeux ne caresseront jamais. J’ai senti les brises des vents qui ont le temps de prendre leur allant avant de se jeter sur la peau des jeunes femmes qui attendent patiemment le retour de leurs hommes. J’ai fabriqué des calembredaines pleines de fées et de farfadets qui nourriraient la flore de leurs chants et de leurs charmes. Je me suis laissée emportée dans les légendes amérindiennes qui expliquent la nature et ses secrets aux enfants attentifs.

Je n’ai jamais vu les lumières dans la plaine, cependant, lorsque je ferme les yeux à l’heure ou le sommeil se lève, je la sens tout près de moi, vibrante et souriante.

lundi, juin 05, 2006

Des filles et des fruits

Nous étions transis de pluie et de froid en entrant dans ce bouiboui que nous connaissions par cœur. J’avais l’impression que rien ne pourrait arriver à réchauffer ma moelle durement affectée par les gouttes pénétrantes qui nous avaient lacéré les chairs. À l’intérieur, les volutes de fumée se disputaient l’air ambiant. C’était la dernière soirée. On aurait dit que tous les fumeurs de la ville s’étaient donné rendez-vous dans tous les endroits public pour consumer le plus de tabac possible avant l’heure dite. Mes yeux rougis ne parvenaient pas à voir l’autre extrémité de la salle et j’avais l’impression que mes compagnons restaient dans le flou. Je savais que je n’aurais pas trop d’une heure sous la douche, en revenant à la maison, pour me débarrasser des effluves persistants de ces consommations légales.

J’étais tellement mouillé que mes doigts étaient fripés comme après une longue baignade et je tentais tant bien que mal de me trouver un espace sec dans un quelconque recoin de mes vêtements. Ce que je n’arrivais pas à faire, bien entendu. Je me sentais tendu comme une barre de fer et je savais que cette contraction involontaire de mes muscles ne m’aidait pas à me sentir mieux, plus au chaud. Je sentais des vagues frissonnantes me remonter l’échine à chaque respiration. Je tentais de chasser la froidure en ingurgitant des goulées d’alcool dont l’effet prenait plus de temps à se faire sentir que d’ordinaire. Les discussions roulaient sur le travail comme à l’habitude. Nous disséquions les tenants et aboutissants de toutes les maladresses que nous avions pu répertorier dans la journée. Je me sentais un peu à côté de la discussion, pour une fois, je n’étais pas celui qui la lançait dans toutes les directions.

Je me sentais un peu étranger dans ce milieu qui est pourtant le mien. Alors plutôt que de me concentrer sur ce qui se tramait à ma table, je me suis mis à observer les gens qui étaient présents. C’est un jeu que je pratique souvent. J’aime bien regarder la foule et me demander quels sont les liens entre les personnes en présence. J’ai tout de suite reconnu cette habituée qui papillonne d’un espace à l’autre, au gré de ses fantaisies. Elle ne me parle jamais, nous ne nous connaissons pas, mais il y a souvent cet échange de regards des gens qui se reconnaissent comme faisant partie de la même meute. J’ai aussi vu l’homme qui conte. Toutes les fois où je l’observe, il semble être en plein milieu d’une histoire plus abracadabrante que la précédente et ses gestes se font larges tandis que l’alcool fait son œuvre.

Je me racontais toutes sortes d’improbabilités dans ma petite cervelle quand mes yeux se sont posés sur une table voisine de la mienne. Elle était occupée par quatre filles. Aussi dissemblables que possible. Je me sentais magnétisé par elles. Pas tellement qu’elles étaient belles, quoiqu’elles fussent fort jolies. Ce qui était attirant, c’était le bonheur évident que chacun de leurs gestes laissait transpirer. Elles riaient de concert, comme des fleurs qui s’ouvrent à l’aurore matinale. Du pur bonheur pour mes prunelles inquisitrices. Je ne pouvais pas entendre ce qu’elles se racontaient, mais la légèreté qui les drapait avait quelque chose d’éminemment attirant. Je n’aurais pu dire laquelle me plaisait le plus.

À un certain moment, la plus blonde des quatre a posé un bol sur la table. J’ai entendu le cristal de leurs rires se rendre jusqu’à moi. Du plaisir dans sa plus belle expression. Je les ai vues piger allègrement dans le plat devant elles et tremper ensuite la chose dans les verres de mousseux qu’elles dégustaient tranquillement. C’étaient des fraises gorgées de suc qu’elles se faisaient manger l’une l’autre. Elles mordaient dans les fruits en tentant ne pas trop en gaspiller le jus qui, immanquablement, leur coulait sur le menton. Une traînée de sang sur leurs visages blêmis par l’hiver. Leurs lèvres devenaient plus sanguines à chaque nouvelle morsure pendant que je ne pouvais détacher mes iris avides d’elles.

C’était la nuit, j’étais encore trempé par la pluie du printemps. En les dévisageant, j’ai oublié d’avoir froid.

vendredi, juin 02, 2006

Le parapluie

Je m’étais réveillée avec un mal de tête à tout casser. J’avais passé la nuit à tourner dans tous les sens, incommodée par la chaleur étouffante de cette canicule précoce. Je me sentais plus épuisée au réveil qu’avant de m’endormir. Je me suis installée devant l’ordinateur pour faire ma tournée quotidienne. Et je me suis dit qu’un café ne me nuirait pas. Mais voilà que la boîte était vide et que le lait avait tourné. Grommeleuse, je me suis rapidement habillée. Le plus légèrement possible parce que toute forme de vêtements collant à mon corps était une source d’irritation. L’air était lourd, tellement lourd qu’il donnait l’impression d’être un poids pour les épaules. J’ai enfilé rapidement une camisole blanche et une jupe indienne, d’un bleu très pâle.

C’était un dimanche matin, les rues étaient désertes et l’épicerie aussi. J’aimais bien me décider à aller faire mes courses à ce genre de moment puisque les lieux étaient calmes et pratiquement vidés de la population. Ainsi je pouvais prendre tout mon temps sans me faire pousser par mes concitoyens pressés. Comme souvent, en pratiquant une activité que je n’aime pas, je me racontais des histoires que je pourrais par la suite vous faire connaître. Ce matin-là il était question de ces personnages célèbres qui me font battre le cœur et les hormones. Simplement parce qu’ils sont. Je m’amusais bien à trouver des qualificatifs et des tournures pour amuser mon public, qui était alors très restreint. Comme je déteste faire les courses, je m’organise généralement pour ne pas avoir à y retourner trop souvent. Je suis donc revenue sur mes pas avec les mains pleines de sacs plus lourds les uns que les autres et je pestais comme une déchaînée en gravissant les collines de la ville où j’avais élu domicile.

J’attendais tranquillement que le feu de circulation, des seules artères dignes de ce nom, change quand l’orage s’est abattu sur moi. En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, j’étais complètement détrempée. Mes cheveux emmêlés se collaient à mon visage tandis que mes vêtements épousaient les formes de mon corps. Je ne sais pas si vous avez déjà remarqué, mais une camisole blanche imbibée d’eau c’est plutôt transparent. Et ça devient particulièrement embarrassant quand la porteuse de ladite camisole n’a pas jugé opportun de mettre un soutien-gorge. Mais là où ça devenait franchement catastrophique c’est que la jupe aussi était entrée dans le concours de transparence. Et moi j’étais-là transie par la pluie chaude de l’été, sur le seul coin de rue vraiment achalandée de la petite ville que j’habitais. Je ne pouvais pas vraiment me cacher puisque j’étais un vrai petit mulet sous mes sacs. Une voiture a ralenti près de moi, pour mieux m’éclabousser tandis que le chauffeur, un jeune con, me disait « t’es belle quand t’es toute nue ».

Je me serais passée du compliment. Je me serais passée de ce public. Cependant, je n’ai pas vraiment appris ma leçon. Il y a quelques jours, je revenais du travail quand le ciel a crevé sur ma tête. J’avais un chandail vert pâle qui s’est révélé transparent à l’usage (mais j’avais un soutien-gorge).

Pour mon anniversaire, ma coloc m’a offert un parapluie. Heureusement que j’ai des amies pour me sauver la mise.