dimanche, juillet 30, 2006

Linceuls invisibles

Il y a des parfums mortuaires qui m'entourent depuis quelques temps. Pour me rappeler l'impermanence de l'existence, sans doute. Ce n'est pourtant pas la première fois que la faucheuse sévit autour de moi. J'ai des empreintes tatouées de ces passages que j'ai croisés. Mais cet été a des teintes de gris qui trahissent le bleu du ciel et les éclats de soleil. Coup sur coup, deux de mes amis ont perdu quelqu'un de très près d'eux et j'ai cette amie dont la mère se tient dans l'antichambre de l'Éden depuis plusieurs mois déjà. Quand j'y pense trop, j'ai le sentiment de sentir les odeurs putrides des corps qui se défont.

Certaines morts m'ont davantage marquée que d'autres. Mais la vie continue pour moi. Alors les souvenirs se ternissent et je n'en vois plus aussi bien les contours, sauf à de rares moments quand les éléments se lient pour que je revive des événements depuis longtemps révolus. Il y a des morts que j'ai vues de près sans pour autant réaliser ce qu'elles signifiaient sur la ligne du temps. Et me voilà, 15 ans plus tard à assimiler que je ne verrai plus jamais une personne que j'ai pourtant bien connue. La vie m'aura évité, à ce jour, de comprendre par mes tripes, ce qui s'était passé. Mais voici que j'ai croisé une ville où je ne suis jamais allée, à quelques km de Montréal, et que soudainement j'ai compris que je ne verrai plus jamais le vert de ses yeux me transpercer jusqu'à la moëlle, tel un scanner foudroyant qui m'obligeait à dire toute la vérité, même celle que j'aurais voulu me cacher.

Il y a près d'un an, quelqu'un a laissé un commentaire sur un de mes textes, dans lequel il me disais que j'avais toujours été la plus jolie à ses yeux. J'ai eu l'impression qu'un ouragan m'agitait toute entière, tellement je fus surprise de cette note que je n'attendais pas, surtout que je suis tombée dessus par hasard, bien longtemps après qu'il eût laissé sa trace dans mes chemins. Je lui ai répondu. Il m'a dit qu'il apprécierait qu'on se voit pour reparler des derniers moments que nous avons passés ensemble, de cette mort violente qui avait ponctué la fin de nos relations. Je lui ai dit que j'aurais besoin qu'il vienne à Montréal pour me voir parce que je n'avais pas de voiture pour me rendre dans la petite ville à l'est de la métropole où il habite aujourd'hui. Cette rencontre n'a jamais eu lieu et j'ai été trop paresseuse pour le relancer.

Hier, j'ai vu le nom de cette ville sur un grand paneau vert comme il y en a des centaines sur les autoroutes québécoises. Hier, j'ai compris que la mort était passée il y a quinze ans. Je n'ai jamais pleuré cette perte parce que je ne le réalisais pas. Mais aujourd'hui, j'ai les larmes fluides devant mon écran à me dire que je n'avais pas été une bien bonne amie à l'époque. À me sentir insensible dans ce passé lointain durant lequel j'érigeais des forteresses autour de mes sentiments pour ne pas faiblir. Je me souviens que j'étais en colère contre la peine de cette personne qui pourtant avait été mon premier amoureux. Il avait trouvé son frère pendu. Et moi j'étais en colère contre sa peine. Je ne voulais pas de cette douleur trop grande pour un seul homme. Un tout petit bout d'homme, en âge. Je crois que cette année-là, il a vieillit, mais je ne le saurai jamais puisque j'ai cessé de lui parler à ce moment-là. Et je sais bien aujourd'hui que c'est parce que j'étais trop lâche pour faire face à la danse morbide qui s'agitait sous mes yeux affolés. J'ai fait l'autruche. J'ai fait semblant que rien ne me touchait. Et je me suis crue.

J'ai arrêté de pleurer un jour dans ma vie et j'ai fini par perdre complètement la route des larmes, sauf pour m'auto-appitoyer sur mon sort. Les digues ont cédé à l'automne dernier emportant avec elles des tones de larmes refoulées. Je ne sais pas si je pleure aujourd'hui parce que j'ai passé quelques jours avec cet ami qui me fouille les sentiments sans en avoir l'air, ou plus simplement à cause d'un nom de ville pourtant banal. Cependant je sais que j'aimerais que tes yeux se posent sur mes sentiers aujourd'hui pour que tu saches que j'ai enfin compris.

vendredi, juillet 28, 2006

La vieille âme

« Je n’ai jamais vu rien de tel. Franchement, je suis impressionnée par ta prestance. Tu possèdes une vieille âme. Une âme sereine, comme on le voit rarement à ton âge. » Un sourire s’est glissé sur mon visage, dans une impression de déjà vu. Pourtant, je savais très bien que je n’avais jamais rien entendu de tel à mon sujet. Comme si j’avais su d’avance que cette rencontre m’apporterait cette phrase particulière en partage. On me parlait de moi et de confiance, de ce que je dégage si fort lorsqu’on est à mes côtés. Pour la première fois, on mettait des mots sur cet insondable que je ne suis jamais capable de nommer. Ce qui fait que j’ai l’air forte, même si chaque jour le miroir me renvoie une image corporelle qui me complexe et balaie mon estime de moi comme un ouragan décime un paysage sur son passage.

Je possède peut-être une vieille âme, qui selon les dires de mon interlocutrice, me permettrait de retrouver les souvenirs enfuis des joies et des douleurs des vies que j’ai déjà traversées. Ce qui m’amènerait à trouver les mots pour dire. Pour écrire. Ce qui me permettrait de dire vrai lorsque j’affirme comprendre quelqu’un ou une situation. N’empêche que je suis avant tout une femme qui se débat avec ses propres monstres d’existence. Tout en sachant en tirer des leçons. Tout en ayant appris à mettre des limites là où, autrefois, je n’en aurai pas vu la pertinence. Peut-être est-ce bien simplement parce que je n’aime pas revenir dans des zones d’inconfort où j’ai déjà pataugé. Et que de me rappeler des chemins que j’ai emprunté pour m’y rendre me donne envie d’en piétiner de nouveaux.

Je sais que j’ai souvent donné l’impression de m’auto suffire. De porter mon indépendance et mon énergie comme des trophées dont je serais particulièrement fière, à bout de bras, sans laisser voir à quel point ce sont des leurres. Mais la plupart du temps, je crois que c’est vrai, que je suis simplement bien. Tant que j’écris. Tant que les mots me sont encore des réconforts. Et lorsque j’ai vraiment eu trop de poids sur les épaules, j’ai toujours eu des proches pour me tirer contre le courant de mes inerties. Même dans les abysses de ma déprime, lorsque me laver était devenu une responsabilité, il me restait toujours une étincelle de battante qui me raccrochait à la vie. Avec le temps, j’ai appris qu’on a quelquefois besoin d'aide pour traverser à gué, mais que pour certaines personnes la vie se traverse comme une rivière en colère, quel que soit l'endroit ou l'on se trouve sur le rivage. Rien n'est simple ni sans danger.

Peut-être que je sais ces choses intuitivement, parce que je possède une vieille âme. Peut-être que j’ai conservé les cicatrices des expériences des âges passés. Je crois que mon truc c’est davantage d’être moi-même en danger constamment. Et que j’écris pour cette raison. Je devais avoir huit ans lorsqu’une vieille dame a lu les lignes dans ma main pour m’annoncer, d’un ton péremptoire, que je ne vivrai pas vieille. Je garde le souvenir de cette épée qui me plane au-dessus de la tête depuis si longtemps que je dois avoir compris quelque part que de la vie n’était pas immuable et que le temps m’était compté.

Mais peut-être aussi que je n’ai rien compris du tout et que c’est pour cette raison que je tente à tous les jours, en écrivant ici et là, de m’expliquer la vie.

jeudi, juillet 27, 2006

Parfum de sagesse

C’était un vieil homme qui ne faisait pas du tout son âge. Lorsque je l’ai aperçu qui traversait la rue, je lui donnais un jeune soixante-dix ans. Il était alerte, vif et visiblement très actif. Mais comme beaucoup de personnes âgées, il essayait tant bien que mal de tromper sa solitude en s’activant. Il me racontait qu’il aimait beaucoup magasiner pour se garder en forme. Qu’il passait beaucoup de temps à sillonner la ville en autobus et qu’il marchait aussi. Sa voix était graveleuse et portait une camisole sous sa chemise malgré la chaleur écrasante de l’été. Et j’entendai,s dans ses expressions et ses tonalités si particulières, un souvenir de la voix de mon grand-père pourtant décédé il y a déjà longtemps. Il y avait communauté entre ces deux hommes, ce parfum de sagesse que fleure la vieillesse.

« J’attends ma douce, m’a-t-il expliqué en me rejoignant. Ce soir, on va danser. Quelques valses et un tango » Moi je le regardais en souriant, enchantée qu’il me fasse la conversation pour tromper l’ennui de cet après-midi perdu. Il a dû voir à mon sourire que sa conversation ne me gênait pas, alors ils s’est mis à me raconter qu’il allait danser comme cela, un samedi sur deux. Qu’il était celui de son âge qui se fatiguait le moins vite dans son groupe de l’Âge d’or et qu’il en était très fier. Je lui ai alors demander combien il comptait de printemps et il m’a répondu, pompeux : « quatre-vingt-deux, ma petite demoiselle! » J’ai manqué une respiration, tellement j’étais saisie.

La femme qu’il attendait, venait d’une autre ville passer deux jours avec lui. Il la considérait comme une jeunesse parce qu’elle n’avait que soixante-quinze ans. Et il rigolait en me disant cela. Je le soupçonnais fortement de m’imaginer encore au stade du biberon. Quand je lui ai demandé depuis combien de temps il la fréquentait et s’il avait l’intention d’habiter avec elle un jour, il m’a lancé un regard horrifié avant de me dire : « Tu vois, j’ai été marié dans mon jeune temps. Mon épouse était belle comme le jour et avait toujours vécu dans la ouate. J’étais financier avant de prendre ma retraite, alors des sous, on en avait. Et ma femme mangeait au restaurant tous les jours en plus de payer des domestiques pour ne pas avoir à entretenir la maison. J’ai pas tellement le goût de retomber l à-dedans. Fa que j’ai appris à cuisiner après son décès, pis je ne me remarierai pas c’est certain. J’aime ben mieux conter fleurette aux jeunesses que je croise et retourner dans ma tanière le soir venu. »

J’avais un peu de peine à ne pas rire. Je ne voulais pas le blesser. Il m’a offert une boisson gazeuse, un peu, sans doute, pour que je continue à l’écouter parler. Il me montrait les bâtiments autour de la gare, dans cette ville où j’habitait depuis si longtemps en me racontant à qui ils avaient appartenu. Dans le temps. Comme si je connaissais ou étais supposée connaître toutes les personnes dont il était question. Pourtant, tous ces noms m’étaient inconnus. Mais j’écoutais intéressée les aventures de ces gens qui demeuraient pour moi des images sorties tout droit d’un passé révolu. Avec, probablement, un peu plus de chair que s’il ne me les avait pas racontés.

Au bout d’une heure l’autobus a fini par entrer en gare. Et j’ai vu une petite dame en bleu, avec un grand chapeau. À la fois menue et distinguée. C’était la douce de mon compagnon d’attente à coup sûr. J’étais tellement concentrée sur leurs retrouvailles que j’ai presque manqué la sortie de ma sœur, venue me rendre visite. Je lui ai fait la bise, encore distraite, en regardant mes deux tourtereaux s’éloigner en se tenant la main.

mardi, juillet 25, 2006

Dans l'objectif de l'appareil photo














Voici ma contribution au Coïtus impromptus de la semaine. Nous avions une double contrainte, soit respecter le thème Dans l'objectif de l'appareil photo et aussi de tenir compte de la photo ci-dessus.

Comme j'aime bien faire d'une pierre plusieurs coups et qu'en prenant connaissance de l'image, je ne pouvais m'empêcher de penser aux photographies que Sauterelle me fait voir de ses voyages européens, j'ai profité de l'image pour souligner cette journée dans la vie de mon amie.

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Il y a des amitiés qui se partagent en silence, d'autres qui s'écrient à toute force. Il y a des gens qui vous intimident et d'autres qui vous rassurent au premier regard. Il y a des femmes qui s'accomplissent sans donner l'impression de fournir un quelconque effort, d'autres qui bûchent toute leur vie en ayant l'impression de ne jamais arriver nulle part. Mais la plupart du temps, les gens que l'on rencontre et qui deviennent importants pour nous, s'agitent quelque part au centre de ces extrêmes et sont tout simplement eux-mêmes. La plupart du temps, on ne sait même pas qu'ils seront importants lorsque les mains se tendent, pour les présentations.

J'ai galéré mes amitiés, jalonant mes parcours de toutes sortes de rencontres. Fidèle jusqu'au bout des ongles avec certaines d'entres elles, négligente à l'excès avec d'autres. J'ai des amitiés qui doivent beaucoup à l'autre partie. Je le sais et je mesure ma chance d'avoir de telles personnes dans mon entourage. J'ai des amis qui se sont acharnés à mes donner des nouvelles et à en prendre quand je pensais que je n'en valais pas la peine. Il y a des gens qui me disaient qu'ils m'aimaien même lorsque je ne m'aimais plus du tout.

J'ai une amie dont j'ai déjà parlé dans ces pages qui mord dans la vie jusqu'à en faire sortir toute la sève pour en déguster chaque parcelle. Elle a soif de rencontres et de voyages et m'assoie d'autorité devant ses photos de tous les bouts du monde qu'elle a fréquentés et m'explique en longueur les détails des paysages que j'ai tendance à regarder d'un oeil distrait. Mais elle me ramène à l'ordre et m'explique la douceur du soleil sur sa peau, le bruit des vagues qui s'échouent sur la grève, les teintes de l'eau et les anecdotes qui entourent la prise de vue très précise qu'elle tient à me faire découvrir. Mais je suis impatiente et de mauvaise volonté, souvent. Alors elle persiste, insiste et signe pour me faire voyager un peu avec elle, à travers l'oeil de son appareil qui m'emène toujours un peu plus loin de ma réalité.

Mais par dessus tout elle sait lire mes silences, ce que je ne veux pas dire, sans me brusquer. Elle sait me faire comprendre qu'elle sait. Malgré tout. Souvent elle ne fait que me dire « Oh Mathilde! » avec tout l'amour du monde dans sa voix. Et ça fait plus de bien que toutes les plus belles paroles de réconfort. Quelquefois même, je me laisse aller à un câlin. Et je me demande encore qui est-ce que ça réconforte le plus.

Aujourd'hui, c'est l'anniversaire de ma Sauterelle, cette amie qui s'est installée quelque part à l'orée de mon coeur sans trop qu'on s'en rende compte. Alors, je voulais lui dire que je l'aime. Au moins autant qu'elle m'aime en retour.

samedi, juillet 22, 2006

Chroniques dans le pot de fleurs

22. Sortir des limbes


Bonjour Marie,

Oui, je sais, ça fait un moment que je ne t'ai pas écrit, du moins ici. J'ai le boudin tenace comme dirait Maman. Ça ne change rien entre nous. Je ne vois pas comment ce pourrait être autrement : te voir une fois, même en photo, a illuminé mes jours.

Si je sors de mon mutisme aujourd'hui, c'est que Maman me décourage un peu. Alors je me suis dit que j'étais aussi bien de prendre les choses en main si je ne voulais pas que ses « petits oublis » finissent par causer des incidents autrement plus importants. Tu vois, c'était l'anniversaire de Laurie lundi. Tu sais La Dame du Lac, celle qui fait de si beaux dessins et qui a envoyé ici une carte vraiment super pour Maman cette année? Eh bien, Maman l'a OUBLIÉE! Vrai de vrai! Moi, je comptais les jours qui me séparent de mes nouvelles fleurs quand j'ai réalisé que nous étions plus tard, que le 17 juillet et que rien avait été écrit sur ces pages concernant cet anniversaire important. Alors, je me suis dit que je pouvais bien le dire moi-même! Vraiment, Maman a une tête de linotte.

Je ne sais pas si ton hôte te l'a dit, mais nous avons déménagé Maman et moi. C'est une plus petite maison, cependant il y a beaucoup plus de soleil à l'intérieur. Et nous avons trouvé l'endroit idéal pour moi, durant la saison froide. Une belle et grande fenêtre qui donne sur une ruelle sympathique et pleine de vie. De ce perchoir, je pourrai observer les enfants qui jouent. J'ai toujours eu un faible pour les forteresses enneigées sous mes fenêtres, tant que je suis moi-même bien au chaud et que je vois les petites pommettes enfantines rougir sous la bise. Pour l'instant cependant, je trône fièrement sur le balcon. Maman m'a coupé les cheveux un petit peu. Si tu savais comme cela fait du bien! Pour la remercier, j'ai préparé 5 boutons qui fleuriront en août, un à la suite de l'autre. Maman est vraiment fière de son garçon. Surtout qu'elle était très blessée que des gens aient dit, à la pendaison de crémaillère, que je n'avais pas l'air en forme. Les mauvaises langues n'ont qu'à bien se tenir. Na!

Maintenant, à la maison, il y a vraiment tout plein de gens. C'est très rare que je suis seul. En plus, il y a toute une ménagerie. Deux chats (Radjah et Cachemire), un hamster (Monsieur Paint) et un lapin (Fleur). On s'entend que Monsieur Paint et Fleur sont sous interdiction de m'approcher, des plans pour qu'ils me grugent et Maman ne laisserait pas faire cela. Quant aux chats, bien ils ne sont pas encore très parlant. Mais j'espère bien m'en faire des amis, un jour. Pour l'instant, nous en sommes encore à l'étape de l'apprivoisement.

Comme tu sais déjà, Élisa n'a pas survécu à l'hiver, son unique tresse n'était sans doute pas suffisante à sa propre vie. Sauf que j'ai de nouvelles consoeurs. Des plantes désertiques. J'aime beaucoup Roberta, c'est une violette africaine et il y a Coyote, plante désertique dont nous ignorons le nom latin. Et une petite nouvelle que nous n'avons pas encore baptisée. Je sens que je ne m'ennuierai pas. Même quand Maman sera chez toi. Parce qu'elle ira te voir bientôt, elle me l'a dit.

Alors je lui transmetterai des miliers de bisous pour toi. Lorsque j'arborerai le pourpre de mes visages, je t'enverrai des photos pour que tu ne m'oublies pas, comme je ne t'oublie pas. Toutes les fois où je vois Véga de la Lyre, je me souviens de notre pacte et je me demande si tu y pense aussi.

À bientôt, Belle Dame,

Ton Roger xxx

jeudi, juillet 20, 2006

La roue tourne, mais elle prend son temps

Voici ma contribution au Coïtus impromptus de la semaine. Quelquefois, les aléas de la vie se concertent pour me donner le goût d'écrire.

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Les activités de la rentrée avaient eu lieu la semaine précédente. Je m'étais amusée comme une folle à faire connaissance avec mes futurs condisciples. J'avais tellement crié que ma voix s'en ressentait encore un peu. C'était une journée de fin d'été, de celles qui sonnent le glas du retour en classe. J'ai toujours aimé l'école. Un peu parce que j'y apprenais de nouvelles choses, beaucoup parce qu'il me tarde toujours de faire des rencontres, de tisser des amitiés. Le Cégep ou j'allais n'était pas grand. En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, on en avait fait le tour. Cependant, les nombreuses ailes qui se déployaient dans toutes les directions avaient de quoi déboussoler le meilleur cartographe. Un peu à la course, puisque je m'étais oubliée au café étudiant, j'ai attrapé une frite au casse-croûte avant de monter à mon premier cours de math (ma mort). Là je me suis butée à une porte fermée que j'étais incapable d'ouvrir parce que mes mains étaient trop pleines. Je me suis tournée vers la fille qui se tenait tout à côté et je lui ai foutu mon repas dans les mains en disant, cavalièrement, je l'admets : « tiens-moi ça pendant que j'ouvre la porte. »

Je ne sais plus ni où ni quand, cette année-là, elle est devenue autre chose, pour moi que la fille-dans-mon-cours-de-math, mais je sais qu'on s'est retrouvées plus souvent qu'à notre tour, attablées à la taverne du coin à refaire le monde et les gens qui y vivent. Je me rappelle que lors des premiers jours de cette année scolaire, elle portait sur elle les embruns d'un été aux Îles, comme un voile de nostalgie qui lui entravait les épaules. Je crois que mon truc, c'est de l'avoir fait rire. Parce que j'ai de la gueule, parce que, surtout, je répondais des trucs improbables aux mecs qui me draguaient, effrontée que j'étais, dans ma candeur adolescente. Tranquillement, elle a laissé s'évaporer ses souvenirs d'été qui la retenaient dans un ailleurs que personne d'autre qu'elle ne pouvait visiter. Tranquillement, nous sommes devenues amies.

Elle était la fille que tout le monde appréciait, dont tous avaient envie de faire leur amie. Encore aujourd'hui, losrque je parle d'elle à des gens que nous connaissions à l'époque, ils me disent à quel point ils l'appréciaient. Moi j'étais un peu trop fonceuse et directive pour avoir un tel succès. On m'aimait ou on me détestait. Rares étaient les personnes que je laissais indifférentes. Je fonçais dans les portes ouvertes sans tenir compte des vagues que je soulevais autour de moi. Mais elle me choisissait, encore et toujours. Et j'en étais ravie. Elle était mon Petit-Oiseau-des-Îles et j'étais son Bulldozer. La vie nous a amenées loin de nos premiers lieux de rencontres, tour à tour. Aujourd'hui, elle reste aux État-Unis. Et mon Oiseau n'écrit pas beaucoup, ne téléphone pas davantage. Mais depuis plus de dix ans que les distances géographiques s'accumulent, j'écris. Pas toujours rien que pour elle, en fait c'est plutôt rare. Mais que ce soit par mon blogue ou par des courriels collectifs, elle a de mes nouvelles.

Il y a quelques années, lorsque j'errais au pays des zombies, lorsque mon estime de moi traînait en lambeaux à mes pieds, j'avais cessé d'écrire. Et elle me demandait, de son bout du monde, ce qui se passait avec moi. On ne s'était pas vues depuis de longues années. Je lui répondais que je n'avais rien à dire. Alors elle me disait que c'était impossible, qu'il y avait autre chose certainement, que si Mathilde n'écrivait pas, c'est qu'elle n'allait pas bien du tout. Elle était celle qui voyait, de loin, ce que tous les gens autour de moi ne voyaient pas : que j'allais très, très mal. Ça aura pris encore sept mois avant que je finisse devant un psy et que, lentement, je remonte la pente.

Depuis, je suis entrée dans la blogosphère, et j'écris beaucoup moins souvent mes coups de gueule dans le journal qui fut mon premier tremplin public. Mais je sais qu'elle me lit de temps à autres, histoire de se tenir au courant. Et je sais qu'elle fait partie de rares personnes qui peuvent lire entre mes lignes et trouver les frontières entre fiction et réalité. Son frère se marie cet été. Actuellement, elle est à Montréal. On m'a dit qu'une jolie fille était passée à la libraire cette semaine, mais que toutes les fois, je n'y étais pas. Je ne l'aurai pas vu, faute de hasards complaisants. Mais je sais bien que c'est elle. Je sais bien qu'elle voulait me faire la surprise de son sourire. Au moment où je l'ai compris, j'avais à la fois le goût de rire et de pleurer. Parce que malgré un horaire surchargé, il y a un oiseau qui s'est posé sur une branche en essayant de m'apercevoir.

La roue tourne, mais elle prend son temps. Je ne sais pas lorsqu'elle nous permettra de nous revoir, mais je garde en mémoire des centaines de souvenirs qui me réchauffent le coeur toutes les fois où je m'attarde à y penser.

lundi, juillet 17, 2006

D'orages et de contes

C'était en plein après-midi quand le ciel s'est couvert de ses atours d'orages. La nuit s'est abattue sur les enfants tandis que le vent faisait ployer les branches des arbres qui venaient obstruer les fenêtres, comme si la forêt se refermait sur eux. Les eaux du lac tournaient au gris charbon, annonçant, de ce fait, une tempête comme le chalet n'en avait vu depuis longtemps. Les murs craquaient fortement, laissant croire que la batisse pouvait s'écrouler. Dans ce coin perdu, l'électricité n'a pas tenu. C'était un après-midi noir comme la nuit, les enfants étaient seuls parce que les adultes étaient pris au village où ils étaient aller faire les courses. Le temps s'était arrêté sur les murs de l'orage qui emprisonnaient les enfants à l'intérieur. À cause de la violence des éléments, ils n'auraient pas mis le nez dehors de toute manière.

C'étaient des enfants de l'oral. Par l'éducation qu'ils partageaient, ont leur avait appris à écouter les histoires, comme la plupart de leurs contemporains avaient appris à se laisser bercer par la télévision. C'étaient des enfants de l'orage et dans la brèche d'un éclair un des garçon pris un taille-crayon et un crayon pour en faire un semblant de pipe, qu'il appelait sa pipe de cent ans, il s'est assis dans la chaisse berçante de son grand-père, s'installant confortablement pour raconter ses souvenirs de vieil homme. D'une voix chevrottante, aux forts accents du terroir il demanda :

« Te souviens-tu, mon homme, quand on avait douze ans, on s'était fait prendre par un déluge épouventable, au camp? Ce jour-là, non content de nous tomber sur la tête, le ciel du jour s'est transformé en manteau de nuit, aussi noir que le fond de nos vieux fours à bois. On était quatre dans les murs branlants du shak qui menaçaient de nous tomber dessus à chaque nouvelle bourasque. Il y avait nous, deux bien sûr, ma soeur et une de ses amies qui tremblait de peur toutes les fois où un éclair traversait le ciel et que le bruit du tonnerre nous rappellait que les éléments s'abattaient sur nous. Nous, on se moquait de sa trouille en lui jouant les fantômes pour ajouter à l'horreur et elle s'enfuyait en courant à travers la maison. »

Et l'autre garçon s'est mis à répondre au conteur, comme s'il revoyait aussi des images d'une enfance révolue passer sous ses yeux, donnant ainsi à son compère, le loisir de continuer, pendant, qu'assises sur le tapis usé, les fillettes n'entendaient plus les tumultes environnant, oubliant tout ce qui n'étaient pas les paroles de ce conteur improvisé.

« Te souviens-tu que la jeunette avait tellement peur que tout la faisait sursauter, et que pour nous amuser nous nous étions armés de chaînes qu'on laissait traîner sur le plancher fatigué qui craquait à chaque pas pour la suivre à travers la maison afin d'accroître sa peur? Te souviens-tu que nous avions tellement bien réussi qu'elle s'est précipitée dehors, sous la pluie battante, pour fuir les spectres que nous étions et même quand nous avions tenter de la rappeler pour lui dire que ce n'était qu'une mauvaise plaisanterie, elle ne s'est pas retournée continuant de s'enfoncer, inexorablement, vers le fond des bois environnants en criant de toute son âme, sa détresse et sa peur? »

Il a baissé la voix pour conclure de manière dramatique :

« Eh bien, on ne l'a jamais revue et depuis, les villageois savent bien que les pleurs qu'on entends durant les nuits d'orages sont les siens et qu'elle tente encore aujourd'hui de retrouver le chemin de sa maison, en courant à perdre haleine à travers les arbres menaçants ».

Bien entendu, cette partie de l'histoire était fausse. Les fillettes étaient sagement agenouillées sur le tapis. Mais l'espace d'un instant, elles ont cru que c'était vrai.

Et vingt ans plus tard, lors d'une rencontre bien improbable, la peureuse rappelait au conteur cette journée d'orage dont elle gardait une intacte souvenance. Elle lui dit, que déjà enfant il était un grand conteur et lui de répondre : « À bien y penser, ce doit être l'influence du village, parce que le lac où nous allions est situé à Saint-Élie-de-Caxton*.»

* Pour les non Québécois, il y a un conteur Québécois qui connaît actuellement un très grand succès. Il se nomme Fred Pellerin et toutes ses histoires abracadabrantes se déroulent dans le village de Saint-Élie, où il a grandit.

mercredi, juillet 12, 2006

Des fantômes à Rosemont

L'appartement avait l'air d'un champ de bataille, entre les meubles qui étaient restés en place et ceux qui essayaient de prendre la leur. Nulle part, on ne pouvait poser les pieds en toute sécurité. Le salon était encombré de boîtes, de planches et autres éléments disparates qui laissaient deviner, ça et là, des fauteuils devenus inaccessibles. La chambre que j'allais occuper était dans un état pitoyable. J'aurais bien voulu pouvoir y mettre une couche de peinture, mais cette entreprise s'avérait impossible puisque trop d'objets hétéroclites tapissaient les murs et le plancher. Je savais que j'étais prise pour vivre durant un an dans une chambre aux allures d'un chandail de hockey, arborant les couleurs des Trashers d'Atanta.

Les anciens locataires avaient délaissé l'appartement depuis quelques semaines sans pour autant avoir déménagé leurs gros morceaux. On savait qu'ils passaient de temps à autres puisque nous retrouvions des pièces de vaisselle sale sur le comptoir qui avaient poussées à cet endroit pendant que nous étions au travail. Il nous arrivait aussi de rentrer épuisées et de trouver une mare sur le carelage de la salle de bain, indice probant que quelqu'un s'y était douché. Cela nous donnait l'impression qu'un fantôme habitait les lieux et nous riions comme des folles, enfoncées dans le divan retrouvé, à nous conter des histoires de peur, comme nous le faisions aux rives de l'adolescence, à la nuit tombée, et que Maman descendait nous dire d'arrêter de parler parce que le matin allait nous réveiller trop tôt.

Un jour, vers l'heure du souper, nous sommes rentrées lessivées par la température trop chaude et humide qui écrasait la ville. Nous avions eu l'idée saugrenue d'aller nous balader en vélo ce qui nous avait passablement affaiblies et nous ne rêvions que de nous laver, à l'eau savonneuse, pour faire partir les traces de poussière qui s'étaient collées sur nos peaux gorgées de sueur. Nous étions passées sur une route de terre, ensuite dans une zone de construction et nous nous sentions dans un état lamentable. Quand nous avons poussé la porte, nous avons immédiatement constaté que les fantômes étaient passés parce que certains éléments encombrant de notre décors dépareillé s'étaient volatilisés durant notre absence.

Incapable de supporter plus longtemps la couche gluante qui me collait au corps, je me me suis précipitée vers la salle de bain et c'est là que j'ai vu l'étendue du désastre. Le lavabo était plein de poils de barbe, comme si on y avait rasé 6 hommes un à la suite de l'autre sans penser à le rincer. On aurait dit qu'il s'était transformé en bête et qu'il allait décampé sous peu, de son propre chef. J'ai eu un haut le corps en voyant cela et je suis ressortie aussi vite que j'étais entrée, pour m'armer de nettoyants en tout genre, afin de nous débarassées de ces signes du passages de nos colocataires impromptus. C'est en revenant que j'ai remarqué l'odeur acide que dégageait la baignoire. J'ai tiré le rideau pour m'apercevoir qu'une flaque d'eau croupie en s'y était formée. Pourtant, je voyais bien le bouchon juste à côté de l'évier. Je me suis penchée pour voir de plus près ce qui obtruait le drain et j'ai lâché un « Ouache, c'est ben dégeulasse! Vas chercher des gants de vaiselle » Ma compagne s'est ramenée munie des précieux gants et a tiré du drain un vieux condom, visibement usagé.


Depuis, quand on prend une douche, on porte des sandales d'eau, au cas où...

lundi, juillet 10, 2006

Mon orgueil traînait dans la boue

Voici ma contribution au coitus de la semaine.
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C'était l'été de ses 15 ans et elle n'était pas arrivée, au long de l'année écoulée à changer l'espace que qu'elle occupait parmi les siens. À peine avait-elle mis les pieds dans cette nouvelle école que déjà, elle retrouvait la peu confortable position de la tête de turc. Son dos se voutait sous les quolibets des adolescents populaires qui la narguaient. Et elle nous en redonnait en partage en se choquant toutes les fois où l'un d'entre eux lui faisait une pique. Son père avait beau lui répéter que la seule façon d'y échapper était de pratiquer l'indifférence, rien ni faisait, elle répliquait avec colère et acharnement ce qui déclenchait invariablement des slaves de rires. Je la connaissais depuis longtemps puisque nous avions passé ensemble plusieurs étés dans la même colonie de vacances. Chaque année, j'étais surprise de la voir se transformer en une leader qui n'a peur de rien et dont tous les vacanciers cherchaient la compagnie. C'étaient les moments de ma vie durant lesquels je me rongeais de jalousie en la regardant aller, en voyant les regards admirateurs que lui lançaient les mecs les plus intéressants.

Cet été-là, plutôt que de venir au camp, elle est restée en ville pour garder des enfants. J'en ai profité pour prendre l'espace qu'elle avait toujours occupé, ou plutôt de le tenter. Mais je me suis rapidement aperçue que ce n'était pas si facile d'être continuellement de bonne humeur et d'entraîner tout le monde dans un sillage. Je me suis lassée au bout de 4 jours, laissant à d'autres le soins d'être les bouts en train. Lorsque la cloche a sonné la rentrée des classes, je l'ai vue revenir et reprendre ses vieilles chaussures confortables de la fille dont tout le monde se moque. Mais elle cessa brusquement de se mettre en colère, ce que je ne m'expliquais pas. Après les cours, je la voyais se précipiter vers la sortie pour se jeter au cou du plus beau mec que j'avais jamais vu. Et je me disais qu'elle devait avoir fait des trucs pas catholiques pour qu'un tel garçon s'intéresse à elle. C'est d'ailleurs ce que je m'amusais à répendre comme bruit. Personne ne douta jamais de ma parole. Après tout, j'étais ce que j'étais : petite reine de mon monde.

Un jour, j'ai recontré un garçon extraordinaire. Il n'allait pas dans la même école que nous : il allait dans la polyvalente adjacente. Quand je l'ai vu, je me suis noyée dans le vert de ses yeux. J'aurais donné la Lune pour lui. J'aurais fait n'importe quoi pour le garder. Et puis, Étienne m'amena dans un party chez des gens que je ne connaissais pas. Cela devait faire deux semaines que nous nous fréquentions. Lorsqu'on m'a demandé à quelle école j'allais et que j'eus répondu, des exclamations ont fusées de toutes part, joyeuses et pleine d'entrain. Et des Sophie, par ici, et des Sophie par là. À les entendre, elle était la fille la plus merveilleuse de l'Univers. J'étais interloquée, mais je ne me suis pas laissée impressionnée. J'ai alors raconté comment elle était perçue dans notre école et semé un peu de tout ce qui se disait sur elle.

J'étais en plein récit quand je me suis fait interrompre par un garçon qui devait avoir deux ans de plus que moi. Il m'a dit : « Je ne sais pas qui tu es, ni pour quelle raison tu es ici, mais il faut que tu saches que Sophie est quelqu'un de très respecté ici, c'est notre amie, une très bonne amie même. Je me fou de ce qu'on dit d'elle ailleurs, mais ici, je ne le prends pas. Tu n'es pas la bienvenue ici. Je veux que tu partes. » J'étais sidérée. J'ai cherché Étienne des yeux et il s'est contenté de me montrer la porte sans rien dire. Je me suis retrouvée sous un orage de juillet, détrempée sur le paillasson sans comprendre ce qui se passait.

J'étais encore à me demander quoi faire lorsque j'ai vu Sophie entrer dans la maison. Mon orgeuil traînait dans la boue et tous mes repères avaient disparus.

samedi, juillet 08, 2006

À l'ombre du figuier

Voici ma contribution pour le Coïtus impromptus de la semaine. J'espère que vous aurez autant de plaisir à le lire que j'en ai eu à l'écrire.

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On ne se connaissait presque pas lorqu'elle a ouvert la première fenêtre vers moi. C'était un matin d'hiver et j'avais moi-même maille à partir avec la vie. J'avais récemment pris la décision de boulverser mon environnement pour le meubler de gestes et de gens plus sain. Une amie, perdue depuis longtemps, m'avait seriné pendant des années qu'il n'est pas nécessaire de garder près de soi des gens qui nous sont nocifs, mais j'avais la culpabilité latente et les attentes impossibles. Je n'y arrivais pas. Ce n'est que quelque part au coeur de la bise que je me suis defait de mes vieux manteaux qui ne me couvraient pas correctement. J'ai troqué des couches et des couches de lourdeurs qui ne me gardaient pas du froid pour une douillette aussi légère que la plume qui, enfin, n'entravait plus mes mouvements.

Je ne sais pas si elle sait. Je ne sais pas si elle a lu mon mouvement d'humeur. Je ne sais pas si elle fait partie des quelques personnes qui sont tombées par inadvertance sur cette partie très privée de moi que j'avais égarée quelque part dans l'infini de la toile. Mais un matin, quand je me suis levée, il y avait ce texte dans ma boîte de courriel. Un texte qui parlait d'elle. Que je ne connaissais pas. Chaque détours des mots, chaque revers de phrase, me racontait une partie de son histoire. Une histoire que je n'aurais pas pu connaîte si elle ne me l'avait pas confiée comme un bijoux chargé de valeurs. Il y avait dans le tissage des lettres, quelque chose de langoureux et de lancinant, comme un chant de sirène qui nous reste en mémoire.

On ne se connaissait presque pas lorsqu'elle a ouvert cette fenêtre vers moi pour me partager non seulement une part de son univers, mais aussi, sinon surtout, une charge de ses peines. Un don de confiance vers une planète étrangère; vers une idée de confiance. Et moi je lisais ces lignes, abassourdie par cette offrande généreuse qui traversait les espaces jusqu'à moi. Alors je me suis dit qu'elle serait sans doute une des rares personnes que je regretterais de n'avoir jamais vu de visu après mes aventures sur le web, quel que soit le moment où celles-ci s'arrêteront. Avec, collé au fond de l'esprit, cette impression qu'il y avait une part de moi en elle. Que nos peines, malgré les silences qui les entourent, malgré les kilomètres qui les séparent, étaient soeurs. Un point de chute dans la douleur. Et je sentais bien que mon regard caressait les nostalgies de cette femmes comme une maman triture les cheveux de ses enfants.

Nous n'avons jamais reparlé de ce lettre qu'elle m'avait envoyée comme une bouteille à la mer. C'était inutile, nous le savions toutes les deux. Depuis ce temps, il lui est arrivé de comprendre des situations que je ne lui racontais pas, comme si ce partage d'elle vers moi avait dessiné un canal qui transcende l'espace et le temps. Et quelquefois, on se confie que l'existence n'est pas toujours tendre envers nous. Sans ajouter le superflu des détails qui ne nous mènerait nulle part. Toutes les fois où elle me dit qu'elle a mal à l'âme, j'ai envie de prendre un peu de cette douleurs qui l'enracine au réel et l'emporter jusque chez-moi, très loin d'elle.

Alors, elle me murmure qu'elle m'aime. Dans le silence de sa chambre. Alors elle me dit qu'elle m'aime et je l'entend d'ici.

Dans le silence des nuits qui me couvent, je lui fredonne que moi aussi en espérant qu'un jour, nous pourrons nous regarder dans les yeux à l'ombre d'un figuier et que les mots que nous n'aurons pas dit, seron plus forts encore que toutes les promesses que nous rêvons d'échanger.

jeudi, juillet 06, 2006

La Coupe du monde et un lama

Il y a une drôle de frénésie qui coure dans les rues de Montréal depuis quelques semaines. La frénésie du soccer. Les rues se font régulièrement envahir par des partisants en liesse, heureux que leur équipe ait remporté une partie et qu'elle ait pu passer au tour suivant. Les Français ont établi leurs pénates sur la rue Saint-Denis, à la hauteur de la librairie ce qui fait que la circulation automobile est bloquée pendant plusieurs heures lors de chaque nouvelle victoire. Cette année, je n'ai pas fêté le 24 juin. En réalité, j'ai davantage noté la présence des Espagnols qui fêtaient la victoire de leur équipe que celles de mes compatriotes qui se célébraient eux-mêmes. Multi-ethnique Montréal, vous dites? Et là, je ne vous parle pas du 1er juillet, fête du Canada dont je me fou comme de ma dernière chausette, qui vibrait au son de l'hymne national français.

La première fois que j'ai eu conscience de la Coupe du monde de soccer, c'était en 1998. Cet été-là j'instaurais une tradition toute personnelle : celle d'aller m'évader à Québec toute seule pour des vacances que je n'ai pas les moyens de me payer. Je m'installe au Café de la Paix, dans le Vieux, et je fraie avec des touristes comme si j'en était une moi-même. Ça me donne réellement l'impression d'être en vacances. Comme si le fait de dormir parmi un paquets d'étrangers qui ne connaissent pas du tout la ville, changeait totalement ma perspective de cette dernière. Cette année, là donc, j'étais à Québec pour mes premières vacances en solitaire. Mon amoureux de l'époque travaillait à l'extérieur de Sherbrooke, ville où nous vivions, et j'avais besoin de me sortir de mon cocon quotidien pour ne pas imploser.


À ce moment-là, la Vieille Capitale, m'était étrangère, je n'en connaissais ni les coins ni les recoins et j'étais presque aussi perdue que les gens avec qui j'ai cohabité quelques jours. Mon seul avantage était que je parlais le même français qu'eux. Parce qu'il vous faut savoir qu'un Européen, même francophone, ou francophile, a un peu de peine à se faire à l'accent d'ici. Surtout les Parisiens qui ont tendance à mettre tous les accents dans le même panier. Aussi je me rappelle très bien que l'un d'entre eux pensait que j'avais un accent suisse, ce qui a fallit me faire hurler de rire puisque le Suisse à mes côtés perdait un mot sur deux de ce que je disais.

Bref, c'était un dimanche de juillet, chaud et agréable avec les brises qui s'élancent du fleuve vers la ville, traînant dans leur sillage des odeurs salines qui vous rappellent encore davantage que l'été étend ses bras sur vos pensées. Soudainement, comme si un magicien les avait fait sortir en masse d'un coup de baguette magique, les rues se sont remplies de supporteurs des Français. Une mer humaine qui se déversait sur la ville de Québec en quelques secondes. Je n'y comprennais rien. Je savais, bien entendu, ce qu'était le soccer, mais je n'y avait jamais porté une attention particulière. Pour moi, c'était un sport vaguement pratiqué dans les cours d'écoles. J'ai eu l'impression que des Français poussaient à chaque coin de rue. Il me semblait qu'il y avait plus d'habitants de l'Hexagone au mètre carré que de Québécois pure laine. C'était un avant goût de ce qui se passe aujourd'hui parce que dans ce temps-là, les supporteurs se contentaient d'envahir la place publique quand leur équipe gagnait la Coupe du Monde.

Ce matin-là, en prenant mon café sur une terrase qui donne sur le port, j'ai vu un lama passer.

mercredi, juillet 05, 2006

De peines et d'été

Tu m'as dit que tu ne te comprennais plus. Je voyais bien dans le noir de tes prunelles que l'insondable était atteint. Je me sentais démunie devant tes questionnements pour lesquels je n'avais pas de réponses. Souvent, lorsque le coeur est en jeu, le rationnel fout le camp et les réponses préprogammées n'ont plus de sens. Tu te lovais dans mes bras pour me dire que tes émotions étaient plus grandes que nature, que tu le la croyais pas, que ça ne se pouvait pas qu'elle te voit comme cela. Je n'ai pas posé de question parce que je sais depuis longtemps que lorsque tu viens me rejoindre dans ma couette pour te coller contre ma peau sans rien dire, c'est que tes idées tanguent et que ton coeur est dans la flotte.

Je sais bien que tu aurais voulu pouvoir reprendre les premiers coups de la partie sur l'échiquier de cette relation. Je sais bien que tu aurais préféré pouvoir la garder dans ta vie à l'endroit où tu l'avais déniché il y a quelques années. Je sais bien que tu aurais voulu que les boussoles pointent moins souvent le nord des impossibles. Je sais que tu aurais trouvé plus simple que son opinion sur toi ait moins d'ascendant, que tu aurais préféré que ça ne te renverse pas les tripes de savoir qu'elle te juge de ne pas avoir envie de la remettre dans la case confortable des amitiés qui continuent, malgré un partage plus intime. Je sais que tu as une impression d'échec et que ça te frustre jusqu'au dégoût de toi-même.

J'ai glissé ma main dans les boucles de ta tignasse emmêlée pour attraper des poings quelques unes de tes idées noires, mais rien n'y faisait, je sentais bien que le spleen et la colère étaient les plus que présents. Je sentais bien que je n'arriverais pas à erradiquer ces douleurs que tu portes et qui ressurgissent à chaque fois que quelqu'un d'important passe le pas de ton intimité. Chaque fois que tu les regardes partir au matin en scrutant ce corps qui te déplaît si fort. Chaque fois que tu me dis que tu ne comprendras jamais pourquoi je t'aime. Comment je suis capable d'ouvrir une fenêtre sur ton inconscient et voir au delà des stigmates que tu portes en étendard, comme des couleurs vives dans un univers fané, pour ne pas nous laisser voir le décors.

Tu t'es collé un peu plus en me parlant des contradictions de ta vie. Entre ce désir lancinant d'aimer et de l'être de retour et les souvenirs de peurs qui engluent tes élans, les ancrant au sol plus fortement que le lest des mongolfières. Entre ces envies de liberté et la crainte des chaînes qui te font hésiter sur la frontière en l'amour et l'absence.

Tu te trouves étrange et complexe tandis que je crois que nous sommes tous comme toi, mais que nous ne l'exprimons pas souvent. Et ce matin, quand je t'ai laissé endormi sous mes couvertures, j'aurais beaucoup aimé porter une parcelle de ta peine et la dorer sous le soleil de l'été.


Au coin de la rue, les pompiers plantaient des fleurs tandis que je respirais un peu de ta vie, et de la mienne.

mardi, juillet 04, 2006

Une poule pas de tête

J'ai le corps qui me rappelle chaque instant qu'il est constitué de pièces rouillées. Depuis une semaine que je m'active davantage que ce que j'ai pu faire dans les 7 dernières années, je dirais. Entre les boîtes à faire, le déménagement en soi et l'installation, il y a eu les promenades de 3/4 d'heure entre le travail et la maison. Je me sens bien dans tout cela. C'est l'été, ça se fait sans qu'on s'en aperçoive. C'est l'été et je suis enfin rendue chez moi. Mais mon corps se rappelle à moi continuellement. Rien qu'à vous écrire, je me sens courbaturée. Je survivrai, c'est certain, mais en attendant, il faut bien que je geigne un peu.

Dimanche soir, c'était l'anniversaire de mon beau-frère. Nous soupions chez ma mère à cette occasion. Je me sentais déjà épuisée. Je me disais que ce serait bien de ne pas avoir à revenir à la maison à pied, après une très longue journée. Ma mère habite entre la librairie et mon nouveau chez-moi. M. finissait de travailler à 22 heures et Lew passait la chercher. Je lui ai demandé un lift et nous avons convenu qu'il me prendrait devant le Vidéotron à l'angle de Mont-Royal et De Lanaudière. Jusqu'ici, tout va bien.

Je quitte donc la maison maternelle et je me rend au point de rendez-vous où j'arrive avec 15 bonnes minutes d'avance. Il ne fait pas froid, pas vraiment, mais l'humidité me transperce les chairs. C'est très désagréable comme sensation. Je fais des longueurs devant le Vidéotron pour me réchauffer un peu. Et les minutes passent à une vitesse de tortue enrhumée. Je grommelle intérieurement. Pestant contre les températures québécoises qui vous réveillent par un 35 degrés à l'ombre et vous bercent de soirées qui oscillent autour du 20 degrés, l'air saturé d'humidité. Je commence à me décourager quand je vois la voiture ralentir et s'approcher du trottoir sur lequel je perds mon temps. Très soulagée, je m'avance vers mes colocs dans la rue et c'est à ce moment que tout tourne au vinaigre : Lew ACCÉLÈRE en me doublant.

Alors, je me mets à gesticuler comme une folle dans la rue pour me faire voir. Je crie à perdre haleine les noms de mes comparses. Je me mets à courir comme une poule pas de tête dans l'avenue Mont-Royal pendant quatre coins de rue en hurlant à qui mieux mieux. Très chic! Je réussi presque à rattraper la voiture au coin de Papineau quand la lumière vire au vert pour elle et que je vois mes colocs repartir vers la maison, sans moi. Là, je suis un tantinet de mauvaise humeur. J'attrape la première cabine téléphonique venue pour me rendre compte que je connais TOUS les chiffres du numéro de cellulaire de M, mais que je ne sais pas dans quel ordre ils se placent. Ça en fait des possibilités! Alors j'essaie d'appeler à la maison, où Juli nous attends, mais le nombre de sonneries d'un nouvel abonné, par défaut, n'est que de trois. Alors la pauvre n'a JAMAIS le temps de se rendre au téléphone pour me répondre. Grommelle, et regrommelle.

Je me suis donc mise en route et je finis par arriver à l'appartement, en sueur et passablement déconfite. Juli est enfoncée dans le divan (c'est un gobbeur de jeunes filles). Elle attrape son téléphone et appelle les deux autres, qui sont revenus sur leurs pas et me cherchent dans les rues de Montréal. Lorsqu'ils arrivent, ils ont un air piteux et se confondent en excuses. Mais je vais déjà mieux, j'ai ventilé et je sais que j'ai une bonne histoire à bloguer.

Par contre, je demeure convaincue que le Plateau n'aura jamais vu une aussi singulière poulette pas de tête se faire aller les baguettes au milieu de la rue...

dimanche, juillet 02, 2006

Histoire de geek

Dans ma nouvelle maison, il y a un monsieur qui connaît les ordinateurs. Moi, j'ai un vieux truc de 2,5 gig qui est né en 1997. Internet, sur ma vieille bête c'est un grand rêve irréalisable. En tout cas, à la vitesse requise par cette autoroute de nos jours. En plus il n'a pas vraiment de mémoire vive. 32 meg de RAM. Parraît que c'est pas très performant... Hier soir, j'étais fatiguée. Très fatiguée. Et l'Homme de la situation a entrepris de parler avec mon ordinateur qui s'appelait incidemment Usager. Mais, je n'aime pas beaucoup ce nom et que trouve que ça rend très mal hommage à son petit côté diablotin. Donc, je préférerais qu'il s'appelle Belzébuth. Toujours est-il que l'Homme a déshabillé mon Belzébuth pour regarder ce qu'il avait dans le ventre. Aux dires de l'Homme, ce n'était pas grand chose.

Moi, je n'aimais pas que mon Belzébuth soit tout nu, comme cela, devant un inconnu qui lui fouillait les tripes et l'âme. J'avais un peu peur qu'il perde toute sa tête et que l'embryon de maîtrise qu'il a en mémoire, les projets d'écriture et autres babioles qui me tiennent à coeur disparaissent dans un vortex sans fin. Alors, je posais des question sans arrêts à l'Homme. Il me fallait tout savoir et tout comprendre des manipulations qu'il effectuait dans le coeur de ma bête. Quelquefois, elle se mettait à hurler et je demandais d'une toute petite voix: « qu'est-ce qui se passe? » Alors, il m'expliquait. Lentement pour calmer mes images cauchemardesques.

On a passé une couple d'heures comme ça, devant mon Belzébuth éventré. À la fin, l'Homme a dit qu'il fallait faire une épicerie d'ordinateur pour abreuver la panse de ma bébitte. Que si on lui changeait l'intérieur, pour 150$ canadiens, j'aurais un super-turbo-ordi bien à moi. Et qu'avec le temps, on pourrait y ajouter des périphériques tels que des graveurs et lecteurs dvd. Ou même une imprimante

J'ai pris un grand souffle pour résumer la situation. Passant du coup du rôle de la fillette appeurée à celui de la femme trentenaire qui comprend très bien de quoi on lui parle. J'ai minutieusement fait le tour de la question en utilisant les termes techinques appropriés, en sus. Devant l'air ahuri de mon docteur ès ordinateurs, j'ai dit en souriant : « Je m'en viens une bonne geekette hein?»

Il a été obligé de me répondre que oui.