vendredi, mars 31, 2006

En écriture

J’ai toujours écrit. C’est, à ce jour, ma plus grande drogue. Je ne sais pas comment on vit sans écriture. Peu importait au fond que j’écrive bien ou pas. Il me fallait écrire. Je suis revenue vers le papier souvent, me pencher sur la feuille, me recroqueviller sur les mots. J’ai toujours pensé que je m’exprimais mieux par écrit que de toute autre façon. Je me blindais derrière cette certitude. Elle avait l’avantage de me permettre de fuir, sans trop en avoir l’air. Je suis couillonne. Si j’écris à quelqu’un ce que je ressens de négatif, cette personne ne peut pas me faire des gros yeux ou me parler fort. Je me donne donc l’illusion d’avoir un certain contrôle. Au fond de moi, je sais que je fuis. J’ai toujours tout affronté par écrit, pour me donner une distance. Pour me donner le sentiment d’être protégée. En me disant que je suis plus claire, plus calme, plus détachée de cette manière.

Écrire pour me raconter la vie de la manière dont j’aimerais qu’elle soit. Écrire pour sortir les maux qui me hantent et me narguent. Écrire. Au présent, au passé, au futur, à tous les temps mêlés, comme aujourd’hui. Parce que je ne peux pas me raconter seulement au passé. J’ai toujours écrit. Je me suis créé des personnages sans trop m’en apercevoir parce que je correspondais avec certaines personnes et que je lisais dans leurs mots ce que je voulais bien voir plutôt que ce que ces personnes étaient en réalité. Je me confortais dans mes fadaises en interprétant ce que je voulais bien y voir. Parce que je n’avais pas le langage de la gestuelle pour me ramener à l’ordre. Pas envie de voir. Pas envie de savoir. Je me suis meublé des châteaux dans les nuages et me suis retrouvée, plus souvent qu’à mon tour, seule dans les vents qui déchiraient mes images. Et je me mettais en colère. Sans me rendre à l’évidence que c’était de ma faute.

Écrire pour perdre du temps, écrire pour passer le temps. Écrire pour avoir l’air de faire quelque chose, pour me donner un style. Écrire parce qu’il le faut. Fondamentalement. J’ai tissé des mensonges pour vos yeux. Des petites histoires que ne sont pas les miennes. J’ai créé une Mathilde qui n’est pas tout à fait moi, plus grande que ce que la personne qui trace les lignes sur cette page ne l’est en réalité. J’ai donné l’impression d’être forte, drôle, sensible. J’ai dansé sur la ligne chevauchant la réalité et la fiction tant de fois que j’en arrive à ne plus trop savoir qui je suis. Je suis peut-être cette personne-là. J’en doute parfois.

Écrire à m’en fendre l’âme, à me déverser les veines. Écrire pour mieux taire mes silences. Ceux que je ne partage pas. Écrire pour monter un écran entre la femme qui a peur et le monde qui l’entoure. Écrire pour donner en pâture aux vautours des aventures croquantes qui ne me blesseront pas tant que cela. Écrire pour avoir le dernier mot. Pour que les hommes qui m’ont rejetée sachent que je suis une femme comme il s’en fait peu. Pour qu’ils mesurent la perte. Écrire pour admettre mes propres pertes, trop tard certes, mais admises au bout du compte. Écrire jusqu’au fond des mots.

Aujourd’hui, j’aurais eu envie de dire. De déjeuner tranquillement et de me raconter de vive voix. Alors, je suis venue ici, et j’ai écrit.

jeudi, mars 30, 2006

Chasse humaine

Ses yeux mi-clos épient la foule. À la recherche de sa prochaine proie. Elle se sent belle et féminine. Sur sa peau, une odeur saline traîne langoureusement. Elle a barbouillé ses lèvres charnues d’un rouge éclatant, rappelant le sang qui monte sous le coup d’un désir soudain. Aujourd’hui, elle se sent féline. Elle ne veut pas d’amour, pas de baise, seulement un jeu. Elle veut savoir qu’elle a encore ce petit quelque chose qui éclaire un sourire, attise une envie. Quand il s’assoit, elle le remarque tout de suite. Elle fera voile vers lui dès que possible, en débarquant avec une affirmation, comme si elle était convaincue que ça présence serait désirée. Elle aura eu raison. Entre deux verres elle ira chercher des compliments, parce que c’est tout ce qu’elle veut, en fait. Quand il tirera sa révérence, elle le laissera partir sans échanger d’informations personnelles et se dira que la prochaine fois, elle pourra se transformer en requin.

Ses yeux mi-clos épient la foule. À la recherche de sa prochaine proie. Il est carnassier ce soir. Il le sait. Tout dans son attitude dénote le mâle. Ses dents sont longues. Il a des envies de mordre. Des cous se ploient sous ses prunelles exploratrices. Des gorges tressaillent devant tant d’attention. Il sourit, conquérant. Il ne parle pas, pas tout de suite. Le jeu consistant à attirer les dames autour de lui sans qu’il n’ait levé le petit doigt. Il se désintéresse de la salle, lui tourne le dos. Il sait bien que les papillons volèteront autour de lui dans quelques instants. Fragiles et hésitants. Quand il tiendra la proie dans sa gueule, quand elle se sera offerte à lui de son plein gré, il sortira ses griffes pour marteler le corps consentant, il plongera ses canines dans la chair, se délectant de chaque parcelle de peau. Il est un loup.

Elle a des envies de mordre. Elle grogne dès que l’Autre s’approche. Elle connaît son félin. Elle sait à quel point il est friable sous sa fourrure. Elle reconnaît la femme requin dès qu’elle la voit louvoyer entre les tables. Elle voit l’envie de sang. Elle sait que la femme requin ne laissera rien de la carcasse. Tout sera consommé. Jusqu’à l’os. Elle ne peut pas laisser faire cela. Elle est louve. Elle protège ses petits. Elle défend le territoire âprement. Quitte à avoir l’air jalouse. Peu lui importe. Elle sent que la douleur et l’éclatement sont proches. Elle a peur pour lui. Peur de ne plus jamais le retrouver intact. Elle sort ses griffes, prête à se battre avec tout l’acharnement qui la caractérise. Et elle sait que si elle perd et qu’il part avec le requin, la louve en elle, maternelle, sera toujours là pour lécher ses plaies.

Dans la chasse qui s’agite autour des célibataires, toutes les comparaisons animales sont bonnes. Étrangement, il me semble que les hommes et les femmes ne sont pas les mêmes prédateurs. À mes yeux, les femmes sont impitoyables et ne laissent pas de restes. Surtout pas pour les suivantes. Pour une raison obscure j’ai toujours vu les hommes en loups. Et je leur trouve quelque chose de sensuel dans l’approche.

Peut-être est-ce simplement parce que j’aimerais bien en être la proie.

mercredi, mars 29, 2006

Un soir de bouette

T’es entrée quelques minutes avant l’heure. Tu t’étais un peu maquillée parce que tu te trouvais bouette depuis le début de la journée. Tu t’étais même pas assise que ce gars, au bar, te faisait des signes de reconnaissance. Oh, d’ordinaire il te parle, un peu. Mais généralement il garde le nez plongé dans ses livres et te sourit à peine. Mais ce soir-là, il t’as envoyée valser entre le tables tellement ses fossettes étaient sincères. T’as toujours eu un faible pour les fossettes, de toute manière. T’as refusé de t’asseoir avec lui parce que tu attendais quelqu’un, mais tu t’es retournée avec un demi-sourire, caché derrière ton épaule, flattée de cette attention que tu n’attendais plus.

Quand il est arrivé, tu t’es pas levée pour le saluer, clouée au sol par la gêne, et cette impression d’imposture parce que non contente de t’être maquillée, tu t’étais parfumée un peu. Et dans l’atmosphère boucanée du bar, tu te disais que c’était de trop. Mais tu te sentais passablement épaisse de ne pas faire d’effort pour accueillir ton invité. À peine s’était-il installé que la discussion est partie sur des chapeaux de roues, dans toutes les directions, dans toutes les digressions. Le langage a fleurit sous vos mots et les rires ont construit l’ambiance sonore. Vous avez disséqué les erreurs les plus courantes, tergiversé sur les mauvais emplois, revisité vos études, sans vous apercevoir que le temps passait. Tu savais, la première fois, que t’avais rencontré un pair. Mais cette soirée-là te confirmait que franchement, t’aimes discuter avec des gens qui ont du répondant.

Il est allé se promener un moment donné et là, t’as vu. Cette étincelle que tu connais si bien dans les prunelles masculines, chasseresses. C’était la première fois que tu les voyais depuis des mois. Comme si tu t’étais blindée contre ces attaques. T’avais la confiance en mille miettes, la certitude que tu n’étais plus jamais jolie. Tu t’étais crevé le sens de l’observation de ces détails. Parce qu’après tout, tu n’étais qu’une femme parmi tant d’autres, pas mal plus ordinaire que tu voulais bien te le faire croire. En tout cas, c’est ce que tu pensais. Tu t’es levée à ton tour et, dans le court espace entre la toilette et ta table, t’as intercepté d’autres clins d’oeils aussi appuyés que sincères. Et tu t’es demandée si c’était parce que tu étais assise toute seule avec un gars, et que ce n’est pas tellement dans tes habitudes, pour que soudainement les autres te remarquent.

T’as des amis qui se sont assis à votre table. Tu ne leur as porté que peu d'attention. De toute manière, ils ne sont pas restés longtemps. Juste assez pour prendre un verre histoire de faire passer le stress d’une soirée agitée. Ailleurs, tu t’amusais beaucoup à commenter et questionner parce que tu trouves toujours intéressant de voir la réaction des gens qui se vautrent dans le silence. Un moment donné, t’as trouvé que ça payait parce que la discussion avançant, il t’a envoyé chier; trois fois.

Et quand vous êtes partis, il t’as dit que par ta faute, il serait magané le lendemain matin. T’as refusé la culpabilité, mais t’es partie avec le compliment. Très contente de l’avoir mérité.

mardi, mars 28, 2006

Rumeurs de loups

Elles se hâtent dans le froid de la nuit pour gagner leur destination. Le vent claque autour d’elles en rosissant leurs pommettes et elles doivent s’arrêter de parler, de temps à autres, pour respirer un peu. La glace de l’air leur scie les poumons, autrement. En cheminant, celle de droite raconte un vieux bout d’histoire incomplet de leurs confidences et lorsqu’elles entrent dans le dépanneur, pour acheter des cigarettes, la personne dont il est question traverse la porte dans l’autre sens. La narratrice, saisie, se tait, complète ses achats et ne revient sur le sujet que lorsqu’elles sont confortablement assises devant une bière.

C’est un soir de pleine lune, les loups affluent dans la ville. Partout où elles se rendent, ils sont-là. Ces vieux souvenirs qui restent d’ordinaire intangibles et vaporeux, sont matérialisés dans toutes les sphères de leurs habitudes. Elles rient jaune de le constater. Cette nuit, la meute s’est donnée le mot pour envahir les rues du Plateau. Les yeux brillants les suivent du regard, attendant un signe pour se joindre à leur conversation tandis qu’elles font tout en leur possible pour ne pas rencontrer les étincelles qui les épient. Elles n’ont pas peur, les loups urbains sont bien nourris.

Les bruits ambiants augmentent au même rythme que l’alcool ingéré. Lorsqu’elles se tournent vers le bar, elles les voient tous, en rang. Comme si le rendez-vous était concerté. Pourtant, ils ne s’adressent pas la parole; ils ne se connaissent pas. Dans la lumière tamisée, étouffée par les volutes, ils sourient de leurs grandes dents tandis qu’elles sentent remonter la chenille de l’appréhension le long de leur colonne. Que vont-ils faire, que vont-ils dire? Plus le temps passe, plus ils semblent conquérants. Elles baissent la tête et le ton. Les confidences se parcheminent peu à peu comme si elles avaient craignaient de se faire voler une parcelle d’elles-mêmes si les loups les entendaient.

Dehors des nuages alourdissent la lune. Elles quittent l’endroit serrées l’une contre l’autre. Elles marchent d’un pas pressé qui se voudrait désinvolte. Malgré le froid et la neige, elles traverseront la nuit montréalaise jusqu’au lever du jour. Les astres nocturnes perdent leur influence sur les bêtes pendant que les rayons joyeux du soleil taquinent le pavé. Elles s’endorment en sécurité.

Désormais, elles portent les marques des griffes sur la blancheur de leur peau et quand la pleine lune se lève sur la première nuit du printemps, elles savent que les loups hurlent dans le silence des mots qui ne seront pas dits.

lundi, mars 27, 2006

Une enfant du béton

La Matou Déphasée se demandait d’où nous venons et son texte m’a inspiré ceci.

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À l’arrière, de la maison, il y avait une piscine dans laquelle les enfants couraient, hurlaient, riaient dans tous les sens. Il y avait souvent la foule, les jours d’été, il fallait même parfois attribuer des heures de plaisance aux garçons et aux filles, parce que la flaque bleue artificielle était trop remplie pour que les enfants puissent s’y prélasser convenablement. Les filles, plus âgées, en majorité, partaient bras dessus bras dessous sillonner les rues avoisinantes, courant faire du lèche-vitrine sur la promenade toute proche. Elles revenaient, les yeux rieurs et la langue colorée par les slush et autres friandises glacées qui leur étaient tombées sous la main. Les jours de pluies, les rassemblements se faisaient dans les sous-sols et dans les chambres. Là, elles sortaient les poupées et les jeux de société. L’hiver, les bancs de neige se transformaient en forts, la cours en patinoire et à l’intérieur, Maman avait toujours un peu de chocolat pour réchauffer les enfants frigorifiés.

À l’adolescence, les filles se sont mises à parcourir le béton. Elles étaient déjà des habituées du transport et connaissaient toutes les ruses pour ne pas manquer les correspondances. Les samedis étaient consacrés à des expéditions en ville. Suivant toujours les mêmes trajets, comportant des arrêts dans des boutiques spécifiques et des casse-croûtes très précis. Elles revenaient à la maison, exténuées d’une journée de marche et de la turbulence d’un trop grand contact avec la meute humaine. Elles passaient la soirée dans leurs chambres à parler au téléphone, tout en écoutant la télé et la radio en même temps et en feuilletant distraitement une revue pour préparer le prochain samedi. Elles étaient fières, se sentaient incroyablement indépendantes, parce que les filles du bitume pouvaient partir seules dans Montréal, en vélo ou en métro, pour toute une journée sans avoir besoin de l’aide parentale pour revenir à la maison.

Dans une ville anonyme, elles trichaient sur leur âge pour se faire admettre dans des bars où on ne les connaissait pas. Elles meublaient les pistes de danse en s’agitant jusqu’à ce qu’elles finissent par tomber de fatigue et retourner à la maison avant le couvre feu que Maman avait élégamment étendu de façon à ce que toutes la communauté féminine dorme sous son toit. Les petits déjeuners du dimanche étaient nourris de croissants et de brioches, comme les jours de fêtes. Elles étiraient le temps le plus possible avant de se séparer pour se plonger dans les devoirs qu’elles auraient à rendre le lendemain. Un peu plus tard, elles se sont gavées de la vie culturelle. Elles étaient de tous les festivals, de toutes les fêtes en plein air et se faisaient un devoir d’aller à la Ronde au moins une fois dans l’été pour se confirmer qu’elles étaient dans le coup.

Aujourd’hui encore, quand elles arpentent les rues de la ville dans ses printemps agités, elles se reconnaissent dans les petites qu’elles croisent. L’odeur du métro a quelque chose de réconfortant à leurs narines; le caoutchouc usé sur les rail leur fait comprendre que la maison n’est jamais loin.

Malgré le fait que je me sente toujours aussi étouffée par la foule, je suis une enfant du béton, mon appartenance est aux trottoirs et à la mouvance humaine.

vendredi, mars 24, 2006

Quatorze livres

Il régnait une atmosphère d’euphorie dans la librairie. Les libraires avaient l’air d’enfants attendant de sortir dans la première tempête de neige de l’hiver. Au-delà de toute cette effervescence, il y avait moi qui sautillais dans toutes les directions, excitée comme une puce sur le dos d’un chien. Une collègue a dit avec justesse : « Wow! C’est Noël pour Mathilde aujourd’hui! » Et c’était exactement ça. Je suis le type de femme qui garde un cœur naïf et l’émerveillement facile. Quand on m’offre quelque chose qui me fait plaisir, il est impossible de ne pas s’apercevoir de mon bonheur : celui-ci explose généralement en bulles autour de moi. De plus, il est contagieux je crois; je le sème avec mon rire sincère qui égaie mon environnement.

J’ai des plaisirs coupables. Le plus grand de ceux-ci c’est que mes lectures ne sont pas toujours dignes d’une libraire aguerrie. J’ai toujours affirmé que je lis de tout et de n’importe quoi. Pendant longtemps, je lisais cinq livres par semaine. Depuis cette page de web, ce n’est plus vrai. Parce que le temps que je passais à lire des bouquin doit désormais être partagé avec le temps que je mets à vous lire et à écrire : c’est que ça ne se fait pas tout seul. Ajoutons à cela que j’ai désormais la télé dans ma chambre, la lecture en prend pour son rhume un tantinet. Évidemment quand je dis cinq livres par semaine, je ne lis pas cinq briques de 1000 pages! Dans cet ensemble, il y a des romans jeunesses, des livres de poésie, des albums, des bandes dessinées, des romans simples et des romans touffus qui me font perdre la notion de l’espace et du temps.

Un des avantages à être libraire, c’est qu’on peut demander des services de presse. De cette manière, on obtient gratuitement des volumes. Dans le but, j’imagine, des nous inciter à les vendre le mieux possible à la clientèle. Comme tout le monde, je demande mon lot de SP. Romans jeunesses et d’aventure avec un peu de policier aussi. J’affectionne particulièrement les auteurs québécois et j’ai plaisir à les lire pour ensuite les conseiller aux gens qui me demandent de leur trouver un bon livre. Quand ces derniers repartent avec un Gravel, Beauchemin, Itani, Côté, Doclin ou autre, je suis satisfaite de mon travail. Les auteurs de chez nous ont un public restreint alors j’aime l’élargir le plus possible.

J’ai des plaisirs coupables, je l’ai déjà dit. Des plaisirs de lecture qui sont inadmissibles pour une libraire issue d’une famille d’intellectuels. Je ne sais pas si vous avez remarqué mais Laurie s’est ouvert un blogue ailleurs. Elle y poste les réflexions qu’elle n’a jamais voulu mettre ici parce qu’elle craint de vous faire peur et de vous décevoir, vous qui venez lire ma plume. Il y a peut-être un peu de vrai dans ce qu’elle dit. Mais je pense qu’à partir de maintenant, vous la regarderez d’un autre œil. Parce que mon plus grand plaisir coupable c’est que je lis des romans de la collection Aventures et passion chez J’ai lu. Ce sont des romans savons franchement mauvais. Mais j’aime ça et je m’assume.

Hier j’ai reçu 14 livres de cette collection en service de presse. C’était Noël pour moi, dans la librairie.

jeudi, mars 23, 2006

Le miel de la vie

texte écrit pour le Coïtus impromptus.

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Il y a des hommes qu’on croise et que, pour des raisons qui nous échappent, on a envie d’embrasser comme ça, sans les connaître. Comme si une étrange phéromone s’agitait autour d’eux poussant nos propres hormones vers des sommets inégalés, mais qu’on oublie aussitôt le prochain coin de rue passé. Il y a des hommes auxquels on a le goût de chanter la pomme le temps d’une soirée, pour les voir rougir un peu. Ces hommes qui ne sont pas pour soi, pris ailleurs ou simplement de passage dans la région et qu’on sait qu’on ne reverra plus. Il y a des hommes à qui on a soif de dire : « je voudrais que tu me prennes dans tes bras pour faire taire les tempêtes qui hurlent dans ma tête » quand on n’aime pas particulièrement les contacts physiques de prime abord.

Il y a des hommes pour qui on décrocherait la lune, si on avait le droit à un sourire qui veuille dire quelque chose. Il y a des hommes qui viennent voir, juste pour savoir si on est aussi maternelle qu’ils se l’imaginent. Alors on prend toute la douceur possible à bras le corps et on les enveloppe doucement dedans. Ensuite, ensuite ils nous jettent des étoiles dans les yeux... Il y a des hommes qui s’agenouillent devant soi au premier regard, en nous racontant la beauté que l’on dégage tandis qu’on s’enlise dans l’embarras. Et on s’en veut tellement de créer cette réaction, parce qu’on ne la partage pas. On voudrait tellement être ailleurs, quelqu’un d’autre, le temps que ce troubadour retrouve ses esprits et trouve une autre dame à admirer.

Il y a des hommes avec qui on partage des rires et des complicités à la minute où ils sont entrés dans notre champ de vision. Ceux-là se sont assis dans le centre de notre tour intérieure, les pieds sur la table basse, confortablement installés pour nous observer. Ils nous donnent espoir de retrouver la foi en l’humanité, cet appétit de vivre qui fait en sorte qu’au lieu de s’enterrer dans les hésitations, on recommence à se dire que ça se pourrait. Il y a des hommes qui nous démangent la sensualité; ils nous donnent faim de séduction, de tentation, ils nous donnent envie de nous pousser un peu plus loin qu’à l’habitude, histoire de les marquer un peu. Dans ces moments, on touche un peu de ciel. Je crois.

Il y a des hommes qui nous blessent parce qu’ils ne nous aiment pas comme on le voudrait. Dès lors, on se retrouve dans le rôle confortable qu’on connaît trop bien, celui de l’admiratrice énamourée et ça nous rassure d’avoir les deux pieds dans ce costume-là; la tête en chimères et le cœur en foutaises. Il y a des hommes qui nous jettent comme une vieille chaussette sale avant même qu’on ait été portées. Ces hommes-là, on ne les aimera plus jamais, on ne les respectera plus jamais. Et on verse des larmes amères sur ces déceptions prévisibles tout en dressant un mur de plus entre soi et les autres, et une maille de plus dans notre armure.

Tôt ou tard, cependant on laisse de nouveau porter notre regard, puis on s’aperçoit qu’il y a des cous dans lesquels on a envie de mordre, de se pourlécher de leur sève, afin de vérifier qu’ils portent bien le miel de la vie.

mercredi, mars 22, 2006

Le trac

Il est 6h00 du matin, j’ai tourné dans mon lit jusqu’à minuit la veille. Mes yeux sont grands ouverts pourtant. Il commence à peine à faire clair. Le monde est en gris et blanc. J’ai mal à tous les muscles de mon corps, comme si j’avais fait une randonnée de vélo sans m’être entraînée. Je sens mes trapèzes tendus. Tendus jusqu’à la lourdeur. Mon dos n’est que douleurs. Il est 6h00 du matin, j’ai le cœur qui s’en va dans toutes les directions. Je reste dans mon lit à réfléchir à une stratégie. Je revois ma tenue vestimentaire pour la énième fois en 5 jours. J’essais de me visualiser dans toutes les tenues possibles. J’allume la radio pour me laisser porter par les commentateurs plutôt que par mon stress. À 7h00 je saute dans la douche. Évidemment, j’ai la chevelure rébarbative. Il y a un party de nœuds sur ma nuque et j’ai la sensation que je n’arriverai jamais à en venir à bout. Pourtant je suis toute habillée à 7h20.

Dans l’appartement, le silence du matin que j’aime tant règne en maître, mais aujourd’hui je voudrais hurler. J’ouvre l’ordinateur pour vérifier une dernière fois l’horaire d’autobus. Je le connais pourtant par cœur, depuis vendredi que j’étudie mes possibilités de déplacement. Les cinq derniers jours ont passé tellement lentement que c’en était presque de la torture. Je suis prête, plus que prête je le sais. À 8h00 je décide de me maquiller (chose que je ne fais pratiquement jamais), ce faisant je me mets un peu en retard pour le foutu bus. Je finis donc par sortir de la maison en catastrophe et je courre comme une perdue jusqu’à l’arrêt. La course a d’ailleurs été une excellente initiative puisque je suis arrivée sur le coin de la rue juste à temps pour me faire accrocher l’arrière de la tête par le rétroviseur de l’autobus.

Je regarde ma montre à toutes les minutes. Pourtant je n’ai aucune chance d’être en retard. Arrivée à destination j’entreprends la courte marche jusqu’à mon point final en fumant une cigarette. Les mètres passent trop vite et je me retrouve rapidement devant le 306. Avant d’entrer je prends une grande respiration pour chercher une espèce de contenance et je m’étouffe avec ma dernière bouffée de cigarette, ce qui a un effet plutôt désastreux pour mes yeux fraîchement maquillés. J’annonce à la réceptionniste que je suis là pour l’entrevue de 9h00 avec 15 bonnes minutes d’avance. On me fait patienter dans une minuscule salle d’attente et je regrette de ne pas avoir apporter de livre avec moi. Dans ma tête, les idées se bousculent, j’ai les mains moites et le cœur en vadrouille. On me fait monter.

Devant moi, il y a deux personnes. Deux personnes qui vont scruter mon potentiel de directrice adjointe. Je connais le principe de entrevues, j’en ai déjà passé plusieurs pour le groupe Renaud-Bray. Je réponds assez calmement et je prends le temps de réfléchir avant de donner une réponse. J’ai quelques coups de génie de dernière seconde. Je crois que je me suis assez bien débrouillée mais j’ai des doutes parce que les cases contenant mes réponses ne sont pas toutes remplies à ras bord. Arrrrrrrgggggggghhhh!

Sur le chemin du retour, un millier de réponses au moins, me sautent à la mémoire. Je ne peux plus rien faire et je dois combattre de toutes mes forces l’envie de retourner ajouter mes réponses. Maintenant commence l’attente. Je ne peux plus rien faire, le dossier n’est plus dans mes mains. Je suis démunie et j'ai un trac gros comme ça.

mardi, mars 21, 2006

Journées cicatrices

Des fois je me dis que c’est vachement compliqué les jeux de séduction. Quand t’es une fille et que tu veux rencontrer quelqu’un, tu te retrouves toujours dans des situations presque impossibles. L’ironie du sort te guette à chaque tournant et tu ne sais pas trop comment interpréter les signes. J’ai, comme toi, fréquenté les sites de rencontres, pendant un certain temps. Tu le sais, tu me suivais pas à pas dans mes démarches. À cette époque, c’est toi qui ne voulais rien savoir et comme de raison tu as trouvé un partenaire, sans trop t’en apercevoir, au détour d’un sourire qui te disait : « t’es belle. » Pendant que je me morcelais à tout vents pour essayer de ne plus être seule. Je croyais sincèrement que j’avais besoin d’avoir un homme dans ma vie pour me réaliser. Comme si je cherchais, en réalité, une parcelle de moi dans quelqu’un d’autre. Et j’ai cru à des histoires sans queue ni tête, plus abracadabrantes les unes que les autres, pour donner une chance à l’autre. Pour me faire croire qu’on m’aimait, quand, en fait, on m’usait.

Le nombre de fois où je suis arrivée chez toi après un rendez-vous, morte de rire parce qu’entre la fiche et la réalité il y a avait des étages de 12 pieds Alors tu m’écoutais en souriant, contente de ne pas t’être foutu les pieds dans ce jeu de faux-semblants qui ressemblent d’avantage à un processus de vente qu’à toute autre chose. Tranquillement, je me suis mise à vivre. J’ai laissé derrière moi ces périodes noires durant lesquelles mon âme s’éteignait. J’ai oublié d’avoir besoin d’un homme pour penser que j’étais une femme. Mes horaires se sont remplis d’eux-mêmes et un jour, j’ai oublié de l’attendre. J’ai compris qu’il arrive parfois qu’on rencontre l’homme de sa vie à un mauvais moment. Alors j’ai laissé aller. Sans amertume, sans rancœur. Finissant par voir jusqu’à quel point cette certitude était une création de mon esprit. Puis, je ne tombais sous le charme que des hommes que je connaissais sur papier, ce qui me permettait de les modeler comme bon me semblait. Je crois que ça me rassurait quand je finissais par frapper le mur qui se dressait inéluctablement entre mes chimères et la réalité.

Aujourd’hui, c’est à mon tour de t’écouter me narrer tes rencontres qui n’en sont pas vraiment. Tu as l’avantage sur moi de ne pas trop te prendre au sérieux et surtout de ne pas chercher vraiment, si ce n’est une espèce de quête de diversité d’activités sociales et culturelles. Et tu passes à la rencontre en vis-à-vis beaucoup plus rapidement que moi. Ayant probablement appris de mes erreurs; celles qui provoquent la cristallisation. Avant même de partir tu me dis souvent que tu sais que ça ne marchera pas. Et tu ne te trompes que rarement. J’en suis même venue à être d’accord avec toi : les cafés du dimanche soir sentent l’échec à plein nez, comme si ces mecs que tu vois cette journée-là, empestaient encore des relents de bière et des déceptions des chasses qui n’ont pas fonctionné. Comme s’ils donnaient une dernière chance à la fin de semaine. Toi, tu les renvoies gentiment.

Plus tard, quand on s’en parle, quand on ri sous cape de ces dimanches décousus, on se dit toujours qu’en fait les seuls bon soirs pour rencontrer des mecs sont les mercredis. Les mercredis, perdus, comme ça dans le milieu de la semaine, pas plus animés qu’il ne le faut et surtout assez loin des samedis soirs qui balafrent le cœur des mecs qui ne sont pas encore amoureux.

lundi, mars 20, 2006

L'imperfection

Quand il s’est assis à côté de moi, la première question qu’il m’a posée était : « C’est quand que t’as scoré avec Boudrias? » Je l’ai regardé avec des points d’interrogation dans les yeux, qu’il a interprété comme une demande de spécification de l’identité du personnage susmentionné. Il n’en était rien. En réalité j’étais plutôt estomaquée qu’on présuppose, en me donnant une tape dans le dos, que j’avais eu une aventure avec Boudrias, quelque part dans le temps. Il fait du charme à toutes et chacune, m’incluant quelquefois au passage. La plupart du temps, il me parle de choses sérieuses et assommantes auxquelles je ne comprends pas grand-chose. Et surtout, il a ce tic de langage qui m’énerve. Je suis snob, je l’ai toujours été et je m’assume assez bien là-dedans. Il n’est pas du type d’homme avec lequel je pourrais jouer, même si je sais pertinemment qu’il ne ferait que jouer avec moi. Parallèlement, il n’est pas le type d’homme avec lequel je m’engagerais non plus. Et puis, nous n’en sommes qu’au stade de la rumeur, n’est-ce pas?

Ce qu’il y avait d’ironique dans cette histoire, c’est que je me tiens tranquille depuis des mois. Plus de chasse, plus de pêche. Plus l’envie de me retrouver dans des draps souillés de sueurs qui ne m’appartiennent pas, fatiguée de chercher mon chemin dans les nuits de la ville pour retrouver mon havre tout personnel. Et puis j’ai goûté au plaisir fugace d’avoir une relation qui à défaut d’être amoureuse, se conjuguait en tendresse et en rire. Alors les éphémères alcoolisés, les rencontres de coin de table, les désirs qui consument et que l’on assouvi sur le champ, trop peu pour moi désormais. Lasse, je suis. Lasse, et pour être honnête, plus tout à fait assez courageuse pour me lancer. Mais peut-être que je portais d’avantage de l’inconscience que du courage à ce moment là : de l’inconscience de moi.

Aujourd’hui, j’ai la sensation d’être branchée en tout temps sur mes émotions. Je me prends à verser des larmes sur tous les sujets. Quelquefois, je me retiens encore. Surtout en public. Quelquefois, je sens que mes larmes ne feraient qu’alimenter des fontaines qui nous tarissent à force d’épuisement. Alors je plaque un sourire sur mes lèvres et je fais comme si ça ne me dérangeait pas. Il y a des jours durant lesquels je me surprends encore à crâner. Mauvaise habitude sans doute. Mais ces jours-là voient mes soirs se noyer dans les peines que je ne sais plus endiguer. Bizarrement, tous ces bouleversements semblent avoir un lien direct avec ma manière d’agir avec les gens qui me plaisent. Autant avant je me lançais tête baissée vers les quidams qui m’entourent pour leur annoncer qu’ils me plaisaient, autant désormais je reste figée, un peu envieuse de ne pas profiter pleinement des présences qui m’attirent.

Et pourtant, j’ai croisé tant de regards qui allumaient mes antennes, tant de phrases percutantes qui me harponnaient le cœur en m’attirant aussi sûrement qu’un aimant. Mais je suis restée muette, consciente de n’être, après tout, qu’un petit bout de femme, pas parfait du tout.

vendredi, mars 17, 2006

Rituel d'écriture

Texte écrit pour le Coïtus impromptus .

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Quand j’ouvre les yeux, il fait frais dans la chambre, la fenêtre laisse passer la bise de l’hiver et le bout de mon nez est gelé. Je n’ai pas envie de me sortir de mes couvertes, pas envie d’aller voir le monde. Pas envie d’être sortie des bras qui m’enserrent. Il ouvre à peine les yeux, et il me lorgne de ce demi sourire qui attendrit mon cœur depuis cette soirée trop fraîche qui a croisé nos regards. Il me demande combien de temps il lui reste et je calcule. Je finis toujours par me rouler sur moi-même, entraînant un peu la douillette avec moi, ce qui le fait ronchonner sur son oreiller. Alors je ris et je plante un baiser sur le bout de peau qu’il me présente avant de lui donner son minutage. Chaque fois, il regarde vaguement le cadran et retourne dans le sommeil. J’attrape mes vêtements du jour et m’enferme dans la salle de bain. Au passage, dans la cuisine, je mets l’eau du café à bouillir.

Je démarre l’ordinateur, puis j’ouvre les persiennes et j’observe la ville qui s’éveille, les deux mains calées sur la tasse de café pendant que la chaleur du calorifère remonte à mon visage et me caresse la peau. Quand je parviens à m’extirper des lunes où mon esprit vagabonde, j’ouvre mes fenêtres de discussion et mon navigateur. Ensuite, je fais ma tournée quotidienne de blogues. Je les lis avec intérêt et attention. Tous les jours de la semaine. Je puise des idées un peu partout. Que j’utilise rarement la journée même puisque j’établis, en début de semaine, les sujets que j’aborderai dans mon écriture. Je fais un tour dans mes fichiers, là où sont conservées mes histoires plus longues, celles qui veulent devenir un projet hors du web.

Je lis ma correspondance et réponds à la plupart des messages. Quelquefois, je me perds dans les méandres des phrases à construire, des idées à dire. Je m’épivarde dans toutes les directions et je dois m’arrêter, faire un plan et tout recommencer. Pendant tout ce temps, les structures créatrices se sont mises en place dans mon esprit. Alors je pars la musique, et je me lance dans la page blanche. Certains matins, je recommence ma phrase d’entrée une dizaine de fois avant de trouver la tournure qui me convienne. La plupart du temps, je laisse mes doigts courir sur le clavier une première fois. Quand j’ai noirci deux paragraphes, je relis. Souvent, je biffe, je rature, mais je n’efface pas à cette étape. Parfois je me dis que ça ne vaut vraiment pas la peine, que le texte est mauvais et je sais que mon censeur intérieur est en train de crier victoire. Ces matins-là, je fais une nouvelle introduction, je ponds encore deux paragraphes et lorsqu’ils sont terminés, je les mêle à la première mouture.

J’aborde ma seconde tasse de café en observant le texte que j’ai fait naître. Je ne suis satisfaite que lorsqu’une ou deux images me parlent et que j’ai bien mêlé la fiction à la réalité. Généralement, l’Homme s’est levé pendant que j’écrivais. Je l’entends se mouvoir dans les autres pièces. Je sens aussi sa présence dans mon dos à quelques reprises. Il se taira. Car, il a compris depuis longtemps que je ne pourrais pas l’aimer s’il ne m’accordait pas tous les matins du monde.

jeudi, mars 16, 2006

How to become a Porn Star

Certaines fin de semaines à la librairie sont agitées, d’autres sont, si calmes qu’on a le temps de nettoyer tous les coins de nos espaces de travail. La première fin de semaine qui nous présente un après-midi doux et ensoleillé est généralement complètement folle. Autant sur le nombre de client que par les spécimens qui se retrouvent dans nos rangées, à bouquiner. À chaque question, on se demande jusqu’où peut aller la bêtise humaine. Étrangement, les clients sont en congé, il fait beau et doux, on s’imagine qu’ils ont le temps de flâner, mais j’ai appris avec le temps que les Montréalais flânent pressés : il faut leur répondre immédiatement. Ils poussent des soupirs épouvantables quand on ne peut pas les servir dans la minute pour cause d’impossibilité d’ubiquité.

Il y a des jeunes qui s’installent près du comptoir et se mettent à parler de leur écriture de manière nonchalante. Ils expliquent qu’un roman s’écrit en cinq minutes par jour, sur le coin d’une table et que ça reste un hobby qu’il ne faudrait pas pratiquer à plein temps. Le tout dit sur un ton tellement condescendant que je me demande pourquoi il y a cette flamme qui me lèche les entrailles depuis que je suis toute petite, pourquoi je dois écrire pour vivre, pas pour gagner ma vie, pour vivre, respirer, être heureuse. Je me recroqueville derrière mon rôle de libraire et je me dis que pour moi l’écriture ne sera jamais ça. Et je me dis que j’aimerais vraiment pouvoir ne faire que cela, pour aller jusqu’au bout des idées qui me trottent dans la tête, sans avoir l’obligation de me lever pour travailler 35 heures par semaine. Le pire, c’est que les jeunes susmentionnés, sont publiés. J’ai de l’urticaire, rien que d’y penser.

Il y ces gens qui viennent me demander des livres en ésotérisme/religion et qui tenteront de me convertir à leur croyance durant tout le temps où je les sert. Il doit être marqué au fer rouge sur mon visage que je suis athée pour que toutes ces personnes entreprennent de me montrer l’importance de Dieu. Il n’y a rien à faire, je n’y crois pas, et je n’ai pas envie d’y croire. Ça m’irrite un peu d’ailleurs. J’ai tellement l’impression que je ne suis pas respectée dans mes choix et mes valeurs. Je ne juge pas les croyances, j’aimerais qu’on ne juge pas mon incroyance. Quand je me montrerai un peu indifférente, ils me diront qu’un jour je serai assez évoluée pour trouver la foi.

Mais il y aussi tout ceux qui me donnent l’impression d’être des internés en permission. Comme cet homme qui portait un vêtement de sport à la mode au début des années 1970. Il a les yeux cernés, la peau diaphane, les dents pourries. Ses cheveux sont blonds filasse et répandus n’importe comment sur ses épaules. Il porte un bandeau blanc tout taché pour les retenir. Avec sa barbe, on dirait vraiment un Jésus sur l’acide. Il me demande de lui trouver de la documentation sur la pornographie, des recherche sérieuses, sociologiques et psychologiques. Je dois lui expliquer trois fois que je ne peux pas faire de recherche par sujet mais il ne semble pas comprendre. Et il finit par me glisser, comme un secret longtemps gardé, qu’en réalité il se cherche un manuel pour trouver « how to become a Porn Star. »

Décidemment, la première fin de semaine de redoux est riche en événements.

mercredi, mars 15, 2006

L'intermède du libraire

Il promenait son escabeau d’ampoule en ampoule, pendant que je le regardais bouger, amusée. Il me disait des « Quoi!!! » un peu exaspérés et moi je continuais à rire sous cape. Il me demandait quelque chose que je ne comprenais pas parce qu’il parlait trop vite. Je l’écoutais laisser un message sur le répondeur d’un client et j’avais toutes les peines du monde à garder mon sérieux : il tournait en rond et expliquait tout le temps les mêmes détails, comme intimidé de parler à une machine. Ce jour-là, je le tannais un peu avec mon rire évident à chaque fois que je le regardais. J’ai fini par lui dire que je le voyais comme le personnage ligné des intermèdes de mon enfance. Ce bonhomme qui faisait corps avec son décor et qui finissait toujours par engueuler son dessinateur, insatisfait de ce qu’il lui avait dessiné. Mon chef libraire est un peu comme lui, on dirait qu’il évolue dans l’environnement comme un patineur sur la glace tellement le mouvement est fluide : il n’y pas d’espace entre la ligne du plancher et lui. Et il parle tellement vite qu’on a peine à déchiffrer les grommellements confus qui s’échappent de sa bouche.

Quand je lui raconte la dernière niaiserie que j’ai fait pour avoir l’air folle, du genre que je me suis retrouvée en train de chanter (faux) que ma table était laide devant des clients, il me raconte toujours un truc encore plus ridicule qu’il a fait, un peu pour me rassurer on dirait. Pour ne pas que je me déprécie et que j’oublie que malgré tout, je suis un bon élément dans son équipe. Je l’entends souvent demander, avec un réel intérêt, à ses équipiers ce qu’ils ont fait dans les derniers jours, faisant sentir à chacun, l’importance qu’il occupe dans cette fratrie. Quand je l’ai rencontré, je travaillais à la caisse, loin de son équipe, mais en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, j’avais découvert qu’il était un voleur de crayon hors pair, un oublieux de pile de livres à des endroits improbables, un homme doté d’un solide sens de l’humour, mais surtout un excellent libraire.

Tous les matins, quelle que soit la température, il arrive chevauchant son précieux destrier à pédales. Il débarque un peu à la dernière seconde, tout réveillé et presque pas essoufflé, heureux de l’exercice accompli. Quand on lui dit qu’il est un peu fou parce qu’il fait moins 30 dehors, il nous répond que c’est une question d’habitude, comme si tout le monde pouvait avoir le courage de faire cela. Quelquefois, je parle de vélo avec lui, mais je sais que je n’y comprends rien, que je n’ai pas la flamme qui l’habite. N’empêche que c’est agréable de le voir allumer son regard parce qu’il est question de randonnée et de dépassement de soi. Le plus souvent, je me contente de lui raconter n’importe quoi et il m’écoute exactement comme si je disais quelque chose d’important.

C’est un étrange personnage, un peu confiant et très nerveux. Assuré et maladroit. Mais lorsque vous lui demandez s’il connaît un livre, il se transformera, l’espace d’un instant, en érudit. Mais n’allez pas le lui faire remarquer : il ne s’en aperçoit pas.

lundi, mars 13, 2006

Mode d'interprétation

J’ai le cœur qui tremble et les mains moites, t’es là devant moi, comme une apparition sortie de mon imagination. Un peu trop charmant pour être vrai, un peu trop vrai pour n’être qu’un fantasme tout droit issu de ma caboche pleine d’idées. J’ai la tête qui tourne, tout passe trop vite. Je ne sais plus. Je parle à une vitesse vertigineuse pour combler les silences qui me semblent assourdissants. Autour de nous, il y a la foule d’un samedi après-midi qui baigne dans les rayons d’un premier jour printanier. Il faut que je parle, il me semble que je te dis n’importe quoi. La dernière fois que je t’ai vu, on s’est à peine échangé des salutations, gênée que j’étais d’avoir servi de cible à tes iris perçants. Et je me trouvais mille raisons qui pouvaient expliquer cette attention. Et je me convainquais que tu devais chercher d’où tu me connaissais. C’était simple. Et ça impliquait que tu ne savais pas qui j’étais. C’était simple et ça impliquait que je ne t’intéressais certainement pas.

Mais là, maintenant que t’as décroché l’écouteur de ton oreille pour me parler et que tu m’as gratifié d’un « Salut » qui signifiait clairement que tu sais très bien qui je suis, j’ai les émotions en montagnes russes. Je me dis que tu es peut-être là pour moi. Mais moi? Qui suis-je? Depuis quelques mois, je me trouve laide, laide, laide. Je dois me botter le cul tous les jours pour aller travailler, mettre un sourire sur mon visage et assumer l’air que j’ai. Je me trouve laide à en pourrir. Tout de mon apparence physique m’énerve. J’ai les joues trop rondes, trop de gras tout le tour du ventre, les yeux trop petits, les cheveux trop noirs. Et ce menton affreux, fuyant et rond. Tu ne peux quand même pas être devant moi parce que tu me trouves jolie? Ça ne se peut pas! Tu ne peux quand même pas être là parce que tu me trouves intéressante, ou charmante : tu ne me connais pas.

Mais maintenant que t’es là, j’ai l’impression de dire toutes les pires insipidités de la planète en rafale. Tu me dis que tu es super occupé et je ne suis même pas foutu de te demander à quoi. Comme si de te poser une telle question était d’entrer dans un cercle de ta vie qui m’est inaccessible. Tu souris et, bien entendu, tu découvres des fossettes qui me mettent dans tous mes états. J’essaie de ne pas porter attention aux gens qui sont autour de nous, surtout pas à ceux que je connais, parce que si je lis une quelconque question dans les yeux curieux qui nous épient, je vais rougir à coup sûr. Je ne suis même pas certaine que tu connaisses mon nom. On sait très bien que je connais le tien. Je me dis que je suis complètement ridicule, avec ma nuée de papillons dans la cage thoracique qui battent de l’aile tellement rapidement que tu dois en voir l’ombre tout autour de moi.

La dernière fois qu’on s’était croisés, on se vouvoyait. Aujourd’hui, je t’ai dit « tu » par inadvertance, glissant dans une nouvelle dimension qui me fou la trouille. Tu es parti sur un au revoir, sans que je sache quoique ce soit de plus que la dernière fois. J’aimerais avoir un lexique d’interprétation de ce moment. Je ne suis tellement pas certaine de comprendre ce que je vois.

Tu es parti faire un tour au soleil pendant que je restais prise dans mon intérieur, tiraillée entre l’envie que tu repasses dans pas trop longtemps et celle de ne plus jamais te revoir. Pour oublier que je suis ridicule quand je suis plantée dans tes mers amusées.

vendredi, mars 10, 2006

Comment créer un monstre

Elle pleurait en averse devant moi. Elle me racontait sa dernière déception. Ce gars, si merveilleux qu’elle avait rencontré récemment. Elle le voyait dans sa soupe après le premier rendez-vous, se bâtissait des châteaux dans les nuages, avait prénommé ses enfants et tout. Pas lui. Quand elle l’avait rappelé, il lui avait dit : « je suis désolé, j’ai rencontré quelqu’un d’autre. » Elle était sidérée, elle avait mis sa vie en points de suspension depuis la soirée de la semaine précédente. Je ne savais plus trop quoi faire. Parce que je trouvais un peu ridicule qu’elle se mette dans des états pareils pour un mec qu’elle rencontrait via une agence. Et que ce soit comme ça à toutes les fois. J’avais bien essayé de lui dire qu’elle s’investissait trop au premier contact, elle me répondait toujours qu’elle était romantique et qu’elle n’avait pas envie de changer. Et moi, je pensais « dam it! c’est pas une question d’être romantique ou non! C’est une question de prendre un peu le temps de faire la connaissance de l’autre avant de mettre son cœur dans le hachoir à viande! »

Je ne me rappelle plus exactement ce que je lui ai dit, j’ai perdu patience et un peu paniqué. J’ai levé le ton et lui ai dit que je la trouvais complètement déphasée dans sa manière de gérer les relations humaines. Je lui ai dit qu’au XXIe siècle, la premier rendez-vous n’était pas garant de longévité entre deux personnes. Ce n’était pas très gentil et je n’étais pas particulièrement fière de moi quand je l’ai laissée en plan, toute seule devant son café. En même temps, j’étais soulagée parce que j’ai tendance à perdre patience avec les gens qui font de l’immobilisme dans leur vie. Je ne sais plus comment nous avons fini par devenir amies. Il y avait une telle dichotomie entre sa personnalité et la mienne que nous frisions l’absurde à chaque fois qu’on échangeais sur quelque chose.

Les années ont passé sans qu’on ne se revoit. J’imaginais bien qu’elle était très en colère contre moi. Il y avait de quoi. Hier, on s’est rentrées dedans sur le coin d’une rue. Un hasard. Nous n’avions rien de bien précis à faire dans les minutes qui suivaient, alors nous sommes retournées sur les lieux de notre dernière discussion pour la reprendre, la refaire un peu. Devant moi, ce n’était clairement plus la même fille. Elle était assurée, drôle, pimpante. Elle venait de quitter un gars qu’elle avait fréquenté pendant huit mois et me racontait comment elle jouait avec les autres. Je l’ai vu à l’œuvre d’ailleurs. Le serveur y est vraiment passé. J’étais totalement renversée de la voir agir avec cette grâce nonchalante qui lui allait comme un gant.

Je lui ai demandé ce qui s’était passé pour qu’elle modifie son comportement à ce point. Elle m’a dit que notre dernière discussion l’avait fait réfléchir et qu’elle avait essayer d’adopter l’attitude inverse pour voir ce que ça donnerait. Et qu’au bout du compte, elle s’était prise au jeu et elle aimait beaucoup son nouveau elle-même. Quand le serveur est venu porter la note, elle lui a lancé un de ces regards obliques qui tuent. Elle a pris la facture et l’a mise dans ses poches en me montrant le numéro de téléphone que le mec avait laissé.

Elle est partie en battant des cils et moi je me suis dit que finalement, j’avais créé un monstre.

jeudi, mars 09, 2006

Miroir de moi

Quand elle faisait le tour de la librairie en processus de présentations, j’ai eu un choc. Cette étrange impression de me retrouver des deux côtés du comptoir en même temps. Elle est repartie en me jetant un coup d’œil par-dessus son épaule qui signifiait « je n’oublierai pas ton nom ». Moi, je suis restée ébahie, à la regarder continuer sa route, en me disant que franchement, on se ressemblait trop. Quelques jours plus tard, à sa toute première journée officielle, je lui ai dit qu’elle portait un beau chandail et elle m’a répondu dans un souffle « Oh oui, tu l’aimes? C’est mon green de golf !» Je suis partie à rire, reconnaissant le patern, cette toute mauvaise habitude qui consiste à faire une blague d’un compliment, pour pouvoir le prendre. Parce qu’un compliment tout seul comme ça, c’est bien trop gros pour soi.

Quand elle passe à côté de moi, je lui fais des grimaces dignes d’un enfant de 5 ans. Ses yeux bleus me transpercent et elle me répond par pire. Le coin droit de mon sourire se relève et je continue ma journée. Lorsqu’elle s’arrête, j’ai toujours l’impression de voir une figure des Loony tunes. Il n’y a jamais de décélération dans son mouvement. Que deux options : en action ou arrêté. Forcément quand on la regarde passer du mouvement à l’arrêt, on s’attend presque à voir un petit nuage de poussière, s’amonceler à ses pieds. Et elle repart, sur le même élan, comme si son arrêt avait été causé par une suspension du temps. Elle pourrait me dire : « patate pilée » sur le même ton qu’elle me demanderait de faire une vérification d’inventaire, juste pour voir la réaction. Je lui répondrais sans doute « bouillie pour chat » et on se comprendrait.

Quelquefois, elle arrive avec le regard tout chaviré, une énorme peine inscrite dans ses pupilles imbibées des déluges qui ne peuvent pas couler. Moi je suis désemparée parce que je sens tout ce que ça lui coûte d’être dans un pareil état. Alors je l’accroche et je lui raconte n’importe quoi. Particulièrement les dernières fois où je me suis rendue ridicule. Ou n’importe qu’elle considération absurde qui me passe pas l’esprit. Et je vois fleurir sur son visage, les éclats des joies qui l’habitent d’ordinaire. C’est un processus tranquille et long, sauf que je suis toujours très fière d’y être parvenue quand je la vois reprendre son énergie à bout de bras pour la traîner comme un vieux jeans confortable, finalement.

La plupart du temps, on échange sur tout et rien. On se dit qu’on a mille points communs. Des intérêts que peu de gens partagent : une passion pour l’histoire, un féminisme évident, un amour incroyable pour les livres, cette propension à se jeter dans une admiration sans limite pour ces gens qui sont devenus les artistes qu’ils voulaient être. On se dira qu’on est athées toutes les deux, mais on disséquera tout ce que nous connaissons des croyances d’ici et d’ailleurs, d’hier et d’aujourd’hui. On s’expliquera les travers du monde par les valises culturelles qu’il transporte en portant une attention toute particulière à l’aspect religieux de son développement.

La toute première fois que je l’ai vue, je me suis dit : ah tien, on se ressemble. Maintenant, je sais bien qu’elle est mon second coup de foudre amical en moins d’un an.

mercredi, mars 08, 2006

Histoire de jalousie (ou de chiffon J)

« T’es jalouse » qu’elle m’a dit quand elle m’a vu quitter la table où Marie s’était installée avec les gars. Je déteste quand on me dit des choses pareilles et que ce n’est pas vrai du tout. Je ne suis pas jalouse. Je la trouve très jolie mais joyeusement insignifiante. Honnêtement, je crois qu’elle est beaucoup plus belle que moi et je n’ai aucune difficulté à l’admettre. Je trouve que c’est de faciliter les rapports que d’établir immédiatement que je n’ai rien à lui dire parce que je suis jalouse. Jalouse de quoi d’abord? Ce n’est pas comparable : elle a l’ai de Claudia Shiffer et moi d’un chiffon J à côté. C’est que je suis tout de même minimalement lucide. Mais qu’est-ce que je peux y faire à sa beauté? Rien du tout. Les gars se rincent l’œil allègrement en la regardant, tant pis! De toute manière, si c’est le type de filles qu’ils veulent dans leur vie, je ne suis pas dans la compétition pour deux cennes. Alors je préfère me retirer immédiatement.

Je retourne à la table où Vincent, Félix et Alexis sont toujours en pamoison devant Marie. Je suis bien obligée d’admettre que dans l’art de la séduction, elle sait s’y faire. Elle pose son rire comme une colombe fragile sur les silences qu’ils laissent planer avec soin. Elle rosit à chaque compliment et regarde les gars tour à tour à travers ses longs cils épais, leur donnant l’impression d’être les seuls hommes au monde au cours cette fraction de seconde durant laquelle se croisent leur regard. Elle s’accroche à toutes les manches disponibles et se penche élégamment vers son public en laissant voir le galbe de ses seins, le plus souvent possible. Le plus stupéfiant c’est qu’elle le fait avec un naturel qui coule de source. Moi je sirote ma bière en silence puisque de toute manière mes propos n’intéressent personne.

Le pire, c’est que nous savons exactement comment toute cette histoire va se terminer. Elle ne choisira personne, du moins personne à cette table bien précise. Parce que quoiqu’il arrive, les gars ne sont pas assez bien pour Marie. C’est un grand classique. Il y a un mec friqué qui va débarquer un moment donné, ou un exceptionnellement beau garçon, alors elle se lèvera l’air de rien pour aller aux toilettes et ne reviendra jamais avec nous. Les mecs la regarderont de loin, déçus pendant un temps. Puis ils se mettront à raconter n’importe quoi, les discussions d’usages reprendront leurs formes normales. Annabelle trouvera le courage de venir s’assoire avec nous pour bénéficier de la présence de Félix qui ne voit jamais rien. Au bout d’une bière ou deux, les gars vont avoir oublié Marie parce que c’est vrai qu’elle est insipide et qu’elle n’a rien à dire. Ce n’est pas avec elle qu’on va pouvoir retourner le monde dans toutes les directions comme on se plaît à le faire d’ordinaire.

Quand la soirée sera terminée, Marie aura été une comète dans notre ciel. Je partirai en me serrant contre Vincent, sachant pertinemment que je suis un second choix. Mais ça fait tellement longtemps que je suis là, que dans le fond, il ne me remplacerait pas.

mardi, mars 07, 2006

L'art de perdre son temps

Voici une petite participation au Coïtus impromptus pour la semaine. Le thème était, évidemment L'art de perdre son temps.

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Je sentais sa présence derrière moi, comme une chape de plomb sur mon inconscient. J’essayais, tant bien que mal de rempoter mes géraniums, moi qui ne suis déjà pas très à l’aise, les deux mains plongées dans la texture humide des terreaux. Je n’avais pas besoin de regarder dans sa direction pour savoir qu’il arborait ce sourire en coin qui a le dont de me faire enrager. Je soufflai sur la mèche rebelle qui me tombait dans les yeux pour ne pas me mettre de plus de terre sur le visage et retournai à ma besogne en essayant de ne pas me soucier de cet observateur attentif. De temps à autres, je percevais l’ombre de sa silhouette ondoyer au rythme de ses changements de positions. Selon mon habitude, je discourais avec les pousses que je mettais dans de la nouvelle terre et je me tendais à toutes les fois où je percevais les notes des grains de rires qu’il laissait s’échapper. Il m’avait toujours trouvée particulièrement ridicule de parler à mes plantes. Ce qui ne l’empêchait pas d’assister le plus souvent possible à mes acrobaties florales.

Lorsque mon géranium eût dûment été transformé en famille de géraniums, je l’ai regardé l’air de dire : « mais que fais-tu donc-là? » en m’abstenant, bien sûr, de poser la question parce que je savais pertinemment qu’il se contenterait de prendre une gorgée supplémentaire de café, bien calé sur le cadre de la porte, les cheveux encore tout fripés de sommeil, et l’œil pétillant dans le soleil matinal. Sous son regard taquin, je rangeais les débris de mon travail, excédée de le savoir en train de m’observer comme un prédateur épie sa proie. Quand j’en fus à passer le balai, il me tendit l’objet d’un geste nonchalant, contribuant ainsi à mes occupations estivales. Dans la cuisine, le comptoir pimpant me faisait de l’œil, encombré qu’il était des gerbes de fleurs à tailler, occupation que l’homme avait laissée en plan pour venir s’amuser à mes dépends.

Je suis passée à la salle de travail pour répondre à mon courrier tandis qu’il me suivait encore. Je commençais à être sincèrement énervée de le savoir en train de se prélasser dans mon sillage. Je me suis installée à l’ordinateur, dans le grand fauteuil qui était à mon père et qui faisait dire à mon énergumène que c’était mon trône de personne sérieuse. Lui, s’est tiré une chaise tout à côté de moi et s’est mis à lire par-dessus mon épaule. À bout de patience je lui ai dit : « Ça va hein? Tu trouves pas que tu empiètes un petit peu sur mon espace vital? T’as rien de mieux à faire aujourd’hui que de jouer au chien de poche? » Il n’a évidemment rien dit et a rapproché davantage la chaise de l’écran. J’ai ajouté : « Tu n’es plus drôle, ça fait deux heures que tu me talonnes en silence! Je peux tu avoir juste une heure de bulle à moi toute seule? » Il a secoué la tête en riant et m’a planté un bec sonore sur le nez. J’allais argumenter encore quand il s’est levé de lui-même.

Soulagée j’ai repris de l’espace devant l’écran et je l’ai regardé sortir de la pièce de sa démarche claudicante. Il s’est arrêté sur le pas de la porte, a penché sa tête sur la gauche, de cette manière qui lui est si particulière et qui me fait toujours craindre la pire niaiserie. C’est à ce moment qu’il m'a affirmé : « J’adore cultiver l’art de perdre mon temps, surtout si c’est pour te regarder vivre.»

Je lui ai lancé une boule de papier pendant qu’il me tirait la langue, très content de son effet.

lundi, mars 06, 2006

Le coeur en boule

Elle était roulée en boule sur le tapis, vautrée dans ses larmes et s’accrochait aux plis de son pantalon. « Reste, qu’elle disait, choisis-moi! » Il la regardait, condescendant en se demandant comment il avait pu en arriver-là. « Comprends-moi, Marc! J’ai de la peine, je n’ai pas envie d’être toute seule. T’es mon chum, t’es supposé de m’aimer. Pas de t’en aller quand je pleure! Moi, je ne te fais pas ça, je reste toujours avec toi quand t’es tout croche! » Il se disait justement que tout le problème était-là : depuis quelque temps, elle n’avait plus de vie en dehors de lui. Toujours accrochée à ses basques, toujours à le vouloir plus à elle. Se tordant dans les pleurs les plus dramatisés. À toutes les fois où il prenait une petite distance, elle lui faisait le coup du besoin. Toujours plus lourd. Désormais, Marc n’avait plus de patience. Plus d’amour pour cette femme qu’il avait portée aux nues. Jusqu’à la chute.

Ça avait commencé quand, lassé de toujours faire les mêmes activités, il avait commencé à jouer au billard avec des copains une fois par semaine. Au début, au tout début, Violaine ne sourcillait pas quand sa soirée de gars se présentait, mais les soirées s’étirant de plus en plus souvent elle s’était mise à poser mille questions et à douter. De tout. Elle l’attendait, l’Inquisition dans le salon. Il avait de moins en moins envie de rentrer, et elle essayait à toutes les semaines de le convaincre de rester avec elle cette soirée-là. Elle disait : « Tu sortiras demain. Demain ça ne me dérangera pas. Mais ce soir, j’ai besoin de toi. » Il lui disait de faire quelque chose, de s’occuper un peu. Il lui disait d’aller voir des amies, de retourner faire de la peinture dans l’atelier où ils s’étaient rencontré, d’aller prendre un verre, au cinéma, chez ses parents. Mais Violaine restait seule à la maison à compter les heures.

Dans la soirée, Marc se sentait un peu coupable. Mais au bout d’une partie ou deux, de quelques blagues ou de quelques bières, il finissait par éteindre son cellulaire, incapable de l’entendre sonner à toutes les demi-heures. Et ses amis le regardaient se débattre dans cette relation étouffante. Ils lui présentaient mille filles pour qu’il lâche Violaine. Mais il était incapable de quitter sa belle; il l’avait tant aimée. Il ne savait surtout pas s’il pourrait un jour, retrouver cette communion de l’esprit comme celle qui avait déjà existé dans leur couple. Mais voilà que tout était mort depuis longtemps. Il ne restait que l’habitude et le parfum du désespoir. Il ne restait plus rien d’eux que des souvenirs.

Ce soir-là, il s’était accroupi à sa hauteur, caressant ses larmes du pouce. Il lui avait dit : « Violaine, ça ne marche plus. T’es la femme la plus extraordinaire du monde, mais on s’étouffe maintenant. Je ne rentrerai pas ce soir. Je vais aller chez JF. On va venir chercher des trucs en fin de semaine et je vais me trouver un appartement. Je ne sais pas pourquoi, j’ai arrêté de t’aimer, mais c’est arrivé. »

Elle le savait. Alors elle n’a rien dit et s’est contentée de le laisser partir. Soulagée au fond, de ne plus avoir à l’attendre, jamais.

Nouveauté

Désormais le lundi, je vais participer à un débat sur des sujets variés. Nous somme 14 et on nous trouve à www.debats.ca.

Bonne visite

vendredi, mars 03, 2006

L'image morte

Il y avait cette femme plantureuse dans le champ de leurs visions embrumées. Elle portait un décolleté à faire mordre la poussière au premier homme qui aurait posé un regard sur elle. Elle le savait. Il y avait quelque chose d’indécent dans sa manière de se déhancher pour passer d’une table à l’autre, d’un homme à l’autre dans la soirée. On savait, à la voir déambuler, qu’elle avait envie. Envie de peau, de luxure et d’hommes. Elle avait d’ailleurs de choix. Les gars continuaient à supputer sur elle. Ils se demandaient lequel d’entre eux irait l’aborder en premier. Ils parlaient de son corps en évaluant la marchandise. Ils n’étaient pas vraiment sérieux, sachant très bien tous les deux qu’elle n’était pas leur genre, mais ils étaient sensibles à cette aura qui l’entourait. Magnétisé par une poitrine mise en valeur et des boucles souples qui encadraient avec soin un visage avenant.

Dans l’éthylique de leurs discussions, ils faisaient les coqs pour un public inapproprié puisque la seule fille à leur table, n’entrait visiblement pas en compétition avec cette jeune demoiselle. Parce qu’il y a toujours deux catégories de filles, les baisables et celles qui ne le sont pas. Quand deux gars parlent sans gène de la fille qui les fait baver depuis le début de la soirée à une femme assise à leurs côtés, c’est évident qu’ils la voient davantage comme un gars dans la gang de gars que comme une proie potentielle pouvant succomber à leur charme. La seule chose qui reste à faire dans ce cas, là c’est de prendre la situation avec un brin d’humour et de se dire que ce n’est pas dirigé contre soi. De toute manière, la discussion finit toujours par bifurquer vers quelque chose de plus intéressant, mais à chaque fois qu’un des gars voit passer la dame sexy, on y revient.

Quand je les écoute parler, j’ai tendance à les encourager à se lever. J’ai tendance à leur dire d’aller la voir, cette fille qui dérange leurs pupilles et leur libido. La plupart du temps ils me font rire dans leurs dénégations. Ce n’est pas SI pire. Juste comme ça l’intérêt qui pointe. Moi je me marre dans ma barbe imaginaire parce qu’à leur discours détaché contredit leur attitude. Et je sais que le lendemain matin, ils ne voudront pas que je leur rappelle cette étrange fixation, qui au bout du compte ne leur ressemble pas du tout. Je sais aussi qu’arrivé chez eux, loin des projecteurs que les discussions braquent sur eux, ils s’ouvriront le cœur à coup de pinces, en arracheront toutes les échardes, bien installés dans le fond de leur peine. À ce moment-là, la jolie blonde sera disparue de leurs mémoires. Loin des yeux, l’image sera morte. Dans leur canot de solitude, de toute manière, il n’y a la place que pour ces histoires un peu plus vraies, qu’ils voudraient bien ne pas avoir étampées dans la peau.

Au lever du jour, ils m’appellent pour dire qu’ils ont passés une bien chouette soirée en ma compagnie. Et moi, je souris.

jeudi, mars 02, 2006

À tâtons

Il y a un an, j’avançais en aveugle sur une surface glissante. J’avais mon petit paquet tout fragile à la main et me demandais quand est-ce que j’allais me ramasser sur les fesses, trempée dans mes désillusions. Il y a un an j’aurai payé cher pour reconquérir le cœur d’un homme. Cœur que je n’ai probablement jamais tenu entre mes mains. Je ne saurai jamais ce qui était vrai dans tout ce qu’il m’a raconté. Mais je sais dans le fond de mes tripes que c’était vrai quand il me disait qu’il m’aimait. Ce qui est, au fond, la seule chose d’importance dans l’histoire. Il y a un an, je titubais dans la brume prise entre mes amours impossibles et les ambitions que je nourrissais, mais auxquelles je ne croyais pas.

Malgré la frousse qui me secouait toute entière, je me suis avancée. Je n’avais ni canne, ni lanterne. Je ne voyais rien à l’itinéraire qui s’ouvrait sous mes pas. J’avais une nausée persistante, mais je me disais que si je n’avais pas le courage d’avancer à ce moment-là, je ne pourrais jamais approcher la personne que j’aspirais à être. Alors j’ai crié, comme tout en haut d’un manège quand tout va lâcher et qu’on va se retrouver sans dessus dessous, en pleine vitesse, les boyaux dans la bouche. Ça a fait passer l’adrénaline, les sueurs et autre chose aussi; mais ce n’était pas mon dernier souper.

Je me suis attardée à la fascination du pire. Je l’ai regardée de tous les angles mais nous étions nombreux cette semaine-là à nous avancer, à la disséquer. C’était le 1er mars 2005. Pour la première fois je lançais une bouteille à la mer du web. Sans savoir quelles réponses j’allais récolter. À ma grande surprise, elles sont venues de partout. Ça leur aura pris un certain temps, mais aujourd’hui on me dit qu’on me lit d’endroits plus improbables les uns que les autres. Des yeux qui portent le spleen, des yeux qui sont aussi noirs que les abysses des douleurs dans lesquelles ils s’engagent. Des yeux qui rient jaune, qui sont sarcastiques, coquins, vilains mêmes parfois. Moi qui pensais que je n’étais que candeur et innocence, essentiellement féminine dans ma plume, j’ai trouvé beaucoup d’hommes arpentant mes chemins. Quelques uns me laissent la trace de leur passage, d’autres se contentent de prendre un peu d’air au passage. Mais je sais qu’en un an, j’ai traversé des frontières que je n’aurais jamais cru atteindre à prime abord.

Hier soir, on me demandait : « Depuis quand on se connaît? Ça doit faire un an maintenant. » Et j’ai réalisé que ça ne se pouvait pas, parce qu’il y a un an, je ne savais pas que j’étais bloggueuse. Aujourd’hui, je ne peux pas rire trop fort, parce qu’il y a quelqu’un qui fait dodo dans ma maison. Quelqu’un que je n’aurais jamais rencontré si je n’avais creusé les ornières de mes chemins.

mercredi, mars 01, 2006

Don Quichotte et l'humanité

Des fois, je trouve que l’humanité est une bien drôle de bébite. On dirait qu’on passe notre vie à courir après les étoiles de Don Quichotte sans s’apercevoir à quel point elles sont filantes. Et on coure à en perdre nos mots et notre identité. Et on coure à en perdre l’esprit. Un beau matin, on se réveille dans le milieu d’un désert, à des kilomètres de la prochaine oasis, assis sur le dos d’un chameau qu’on ne sait pas mener et qui est le seul à pouvoir nous sortir du pétrin. L’étoile qu’on suivait, évidemment, s’est éteinte. Et on ne comprend plus trop ce qu’on fait là. À cheval sur notre peine, toute neuve et toute immense, on se dit qu’on aurait pu voir venir, qu’on aurait pu se douter qu’on en arriverait là, mais à la prochaine occasion, on reprendra la course, comme si ce qui se passe dans le ciel est plus intéressant que ce qui se passe sur la terre.

Toutes les étoiles ne sont pas les mêmes. Quelquefois elles sont le fruit de rencontres qui nous jettent en bas de notre chaise, comme ça. Alors on regarde autour de nous, un peu hébétés sans trop comprendre comment ça se fait qu’on se retrouve affalés dans sur le sol, la tête au ras de la table et qu’on ne voit plus très bien ce qui se passe autour de nous, parce qu’on a le regard encombré de toutes les pattes et de toutes les jambes qui nous enserrent. Quelquefois, les étoiles sont ces visages connus, qui ressurgissent dans notre présent, mais qui sentent ce parfum chéri entre tous, celui dans lequel on avait été si bien. Le parfum des amours qui ne veulent pas mourir, mais qui, étrangement, ne veulent plus vraiment de nous.

J’ai souvent dit que je n’étais pas Don Quichotte et que je n’avais pas envie de me battre contre des moulins à vent. J’ai souvent dit que je savais que ce n’était pas vraiment des géants, mais de grandes statures qui sont inoffensives au bout du compte. Mais je suis la première à partir à la quête de l’étoile, quand elle passe, aussi éphémère soit-elle. Alors j’ai vu les déserts, je sais qu’ils se nourrissent de la sève de nos dépendances et de nos déceptions. Je sais que les mirages sont grands et les oasis rares. Et je sais que l’aide est parcimonieuse et ne vient pas souvent de là où on l’attend. Par conséquent on se dit que la vie c’est chacun pour soi et qu’on doit être égoïste en maudit pour arriver à tirer son épingle du jeu.

Le problème dans tout cela, c’est qu’à force de courir les étoiles, on tombe de déception en déceptions. Pour cette raison on se dit qu’on ne se fera plus prendre et on se barricade derrière mille façades. J’en connais quelque chose. J’ai au moins cent sourires et une armure de rechange pour toutes les occasions. Bien évidemment, on est beaucoup plus difficile à atteindre et on devient à notre tour l’étoile filante dans le firmament de quelqu’un d’autre. Un autre Don Quichotte en quête d’amour qui ne s’est pas attardé à la bonne personne.

Et si on prenait le temps de regarder où on pose les pieds? Et si on prenait le vivre un peu plus lentement en profitant de la présence de ceux qui nous entourent? Peut-être alors, aurions nous des chances d’être moins seuls dans nos amours.